LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon le jugement attaqué (juridiction de proximité d'Avignon, 4 janvier 2016, n° 7), rendu en dernier ressort, que, contestant le montant de la redevance qui lui a été facturée par la Société avignonnaise des eaux (la société), délégataire du service public de distribution d'eau potable et d'assainissement sur le territoire de la commune d'[Localité 1], M. [N] a saisi la juridiction de proximité aux fins d'obtenir le remboursement de diverses sommes, ainsi que le paiement de dommages-intérêts ; que, soutenant que la délibération du conseil communautaire du [Localité 2] du 13 décembre 2010, fixant les modalités de calcul de la redevance d'assainissement pour les usagers non raccordés au réseau public d'eau potable, devait être interprétée par la juridiction administrative, la société a soulevé une exception préjudicielle ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société fait grief au jugement de rejeter cette exception et d'accueillir les demandes de M. [N], alors, selon le moyen, qu'une question préjudicielle tend à la saisine de la juridiction compétente pour statuer sur une question ne relevant pas de la compétence du juge initialement saisi et ne suppose donc pas la saisine préalable de cette juridiction ; que l'article 49 du code de procédure civile, tel que modifié par le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles et applicable, conformément à l'article 50 de ce décret, aux jugements rendus à compter du 1er avril 2015, prévoit, désormais, qu'il appartient à la juridiction judiciaire initialement saisie de transmettre à la juridiction administrative une question préjudicielle de sorte qu'en se fondant, pour rejeter la question préjudicielle relative à l'interprétation de la délibération du 13 décembre 2010, sur la circonstance que faute de saisine préalable de la juridiction administrative à cette fin, la question préjudicielle ne pouvait subsister, la juridiction de proximité a violé les dispositions de l'article 49 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il entre dans les pouvoirs du juge judiciaire d'interpréter les actes administratifs réglementaires ; que, par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux justement critiqués par le moyen, la décision de ne pas renvoyer à la juridiction administrative la question de l'interprétation de la délibération litigieuse, laquelle a une portée générale, se trouve légalement justifiée ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société avignonnaise des eaux aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. [N] la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la Société avignonnaise des eaux.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche au jugement attaqué d'avoir rejeté la question préjudicielle posée par la société Avignonnaise des Eaux et tendant à ce que la question de l'interprétation de la délibération du 13 décembre 2010 soit renvoyée au juge administratif et d'avoir, en conséquence, dit que M. [N] s'était vu facturer depuis le 1er janvier 2011, une somme au titre d'un abonnement non justifié, contraire à la délibération du conseil communautaire en date du 13 décembre 2010, condamné la SAE à lui restituer la somme de 200,98 €, et à l'indemniser de son préjudice pour une somme symbolique d'un euro,
AUX MOTIFS QUE
« 1) L'exception soulevée In Limine Litis
ATTENDU qu'en défense l'avocat de la Société Avignonnaise des Eaux (SAE) souhaite que la Juridiction, In limine litis:
- constate que la délibération du 13 décembre 2010 nécessite une interprétation;
- renvoie l'affaire devant le Tribunal administratif de Nîmes pour qu'il se prononce sur la question préjudicielle à savoir: le forfait de consommation institué pour les usagers s'alimentant partiellement ou totalement en eau à une ressource autre que celle du réseau public de distribution d'eau potable, intègre-t-elle la part fixe de la redevance ?
et qu'elle sursoit à statuer dans l'attente d'une décision définitive du juge administratif.
ATTENDU que l'article 49 du Code de procédure civile précise, que toute juridiction saisie d'une demande de sa compétence connaître, même s'ils exigent l'interprétation d'un contrat, de tous les moyens de défense à l'exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction (CAA Bordeaux, Ch. Civ. 1, section B, 30 juillet 2014, n° 13/03101) ;
Qu'en application de cet article, toute juridiction saisie d'une demande de sa compétence doit surseoir à statuer lorsqu'elle a à connaître de moyens de défense relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction;
Que cependant, il n'appartient pas au juge judiciaire de saisir directement la juridiction administrative, seules les parties ont cette faculté (Cass. Civ. l, 21 mai 1986, n° 85-11838).
ATTENDU qu'il n'est pas fait mention dans les écritures des parties et dans leurs plaidoiries de l'existence d'une action en interprétation de la délibération n° 20 du 13 décembre 2010 de la Communauté d'Agglomération du Grand Avignon relative à la facturation de la redevance assainissement au forfait pour les usagers utilisant, pour l'eau potable, des ressources autres que le réseau public à compter du 1er janvier 2011 et annulant la délibération n° 50 du 30 juin 2006;
Que la délibération disputée est exécutoire dans toutes ses énonciations dès lors qu'elle est publiée et définitive.
En conséquence, la question préjudicielle, qui ne peut subsister en l'absence de saisine préalable de la juridiction administrative par une ou les deux parties, est rejetée »,
ALORS QU'une question préjudicielle tend à la saisine de la juridiction compétente pour statuer sur une question ne relevant pas de la compétence du juge initialement saisi et ne suppose donc pas la saisine préalable de cette juridiction ; que l'article 49 du code de procédure civile, tel que modifié par le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles et applicable, conformément à l'article 50 de ce décret, aux jugements rendus à compter du 1er avril 2015, prévoit désormais qu'il appartient à la juridiction judiciaire initialement saisie de transmettre à la juridiction administrative une question préjudicielle de sorte qu'en se fondant, pour rejeter la question préjudicielle relative à l'interprétation de la délibération du 13 décembre 2010, sur la circonstance que faute de saisine préalable de la juridiction administrative à cette fin, la question préjudicielle ne pouvait subsister, le juge de proximité a violé les dispositions de l'article 49 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche au jugement attaqué d'avoir dit que M. [N] s'était vu facturer depuis le 1er janvier 2011 une somme au titre d'un abonnement non justifié, contraire à la délibération du conseil communautaire en date du 13 décembre 2010, et d'avoir en conséquence condamné la SAE à lui restituer la somme de 200,98 €, et à l'indemniser de son préjudice pour une somme symbolique d'un euro,
AUX MOTIFS QUE
« 3) Sur la demande de Monsieur [N]
ATTENDU que l'article R 2224-19-2, alinéa 1, du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que « La redevance d'assainissement collectif comprend une partie variable et, le cas échéant, une partie fixe. »
Qu'ainsi la facturation peut être assise sur deux composantes:
- - une partie variable
- - une partie fixe.
Qu'une telle facturation n'est pas une obligation mais une faculté laissée à la libre appréciation des collectivités et des organes délibérants ayant compétence en la matière.
ATTENDU, par conséquent, que l'appréciation de l'opportunité de cette partie fixe relève de la collectivité qui par ses délibérations, prises comme le prévoit l'article à l'article L2224-l2-2 du CGCT, estime ou non opportun d'établir une facturation sur une partie fixe et une partie variable
ATTENDU que la délibération du Conseil Communautaire du [Localité 2] en date du 13 décembre 2010 prévoit que les personnes qui disposent d'un forage et qui n'utilisent pas le réseau public d'eau potable sont soumises à une redevance assainissement au forfait calculée proportionnellement à la surface de l'immeuble.
ATTENDU que la délibération n° 20 du 13 décembre 2010 n'intervient pas seulement pour amender le mode de calcul de la part variable tout en préservant la partie fixe, mais intervient pour régir la totalité puisque le libellé de la délibération est ainsi rédigé :
« facturation de la redevance Assainissement au forfait pour les usagers utilisant, pour l'eau potable, des ressources autres que le réseau public»;
Que cette délibération ne fait aucune mention de la partie fixe.
ATTENDU qu'il résulte de l'absence d'une telle mention, que le Conseil Communautaire a abandonné le mode de calcul antérieur en écartant la partie fixe de la redevance.
ATTENDU en effet que tous les documents évoquant la partie fixe sont antérieurs à la délibération du 13 décembre 2010 modifiant le calcul de la redevance.
Qu'il en est ainsi notamment de la délibération n° 50 en date du 30 juin 2006, abrogeant la délibération n° du 27 septembre 2010, laquelle a été annulée et remplacée par la délibération du 13 décembre 2010.
ATTENDU que la délibération du 13 décembre 2010 n'est pas intervenue pour préciser les modalités de calcul de la seule part dite « variable» mais pour :
- approuver la base de calcul du forfait applicable à tous les usagers s'alimentant partiellement ou totalement en eau à une ressource autre que celle du réseau public de distribution d'eau potable,
- préciser que ce forfait sera appliqué pour les volumes ne passant pas par un organe de comptage,
- décider que la tarification appliquée sera celle en vigueur au moment de la facturation pour les parts gestion et investissement;
- autoriser les gestionnaires des services d'assainissement de l'ensemble des communes du [Localité 2] à procéder au recouvrement de ces sommes et à effectuer tout contrôle sur les installations de forage des particuliers pour en vérifier les raccordements.
ATTENDU que, dès lors, le principe même de l'application d'une part fixe n'a plus, du fait des annulations successives, aucun fondement textuel.
ATTENDU que la délibération adoptée par le Conseil Communautaire le 13 décembre 2010 amende le mode de calcul de la redevance en retenant pour seule base un forfait applicable selon la surface habitable.
ATTENDU que la société Avignonnaise des Eaux devait adapter son système de facturation afin de se conformer aux directives de la communauté d'agglomération, à savoir les dispositions fixées par la délibération du 13 décembre 2010, applicable à compter du 1er janvier 2011.
ATTENDU que la facturation d'un « abonnement» aux usagers qui ne sont pas abonnés au service de l'eau est contraire à la délibération du 13 décembre 2010 précitée mais également au règlement de service de l'Assainissement collectif actualisé par une délibération en date du 24 septembre 2012 qui prévoit en son article 3-1 « La part variable est calculée en fonction des volumes d'eau prélevés sur te réseau public de distribution d'eau.
Si vous êtes alimenté en eau, totalement ou partiellement, à partir d'un puits ou de toute autre source qui ne relève pas du service public, vous êtes tenus d'en faire la déclaration en Mairie.
Dans ce cas, la redevance d'assainissement applicable à vos rejets est calculée:
- soit par mesure directe au moyen de dispositifs de comptage posés et entretenus par vos soins,
- soit sur la base de critères définis par la Collectivité et permettant d'évaluer les volumes prélevés [...] ».
Que ce règlement de service renvoie pour le calcul de la redevance, et non pas seulement pour la part variable, aux décisions de la Communauté d'Agglomération du Grand Avignon;
Qu'en adoptant les termes de la délibération du 13 décembre 2010 qui fixe pour seule base de la redevance un forfait calculé selon la surface habitable, la Collectivité a entendu exclure toute partie fixe.
Qu'il en résulte que la concluante qui dispose d'un forage lui permettant de se soustraire à tout abonnement au service de l'eau s'est vue facturer, depuis août 2011, une somme au titre d'un abonnement non justifié, contraire à la délibération du Conseil communautaire en date du 13 décembre 2010.
Qu'ainsi le montant total facturé à tort à Monsieur [N] [T] entre août 2011 et juin 2014 peut être chiffré, au vu des pièces justificatives produites aux débats, à 200,98 euros.
Par conséquent, la Société Avignonnaise des Eaux est condamnée à restituer à Monsieur [N] [T] la somme de 200,98 euros. Elle est déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
4) Sur les dommages et intérêts
ATTENDU que la Société Avignonnaise des Eaux, en sa qualité de délégataire de service public, n'a pas respecté les règles fixées par son délégant;
Qu'ainsi elle a porté préjudice aux usagers de l'eau, et en particulier à Monsieur [N] [T] ;
Qu'il paraît équitable que le requérant soit indemnisé à ce titre.
La Société Avignonnaise des Eaux est condamnée à payer à Monsieur [N] [T] la somme symbolique de un (1) euro pour le préjudice subi »
ALORS QUE la délibération du 13 décembre 2010 s'est substituée à la délibération du 27 septembre 2010 qui avait abrogé la délibération du 30 juin 2006 si bien qu'en relevant que la délibération du 30 juin 2006 avait abrogé la délibération du 27 septembre 2010, qui a été annulée et remplacée par la délibération du 13 décembre 2010, le juge de proximité a violé, par fausse interprétation, ces délibérations,
ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le retrait de l'abrogation d'un acte réglementaire vaut rétablissement rétroactif de ce dernier dans l'ordonnancement juridique ; que si le jugement doit être lu, comme ayant retenu que la délibération du 30 juin 2006 avait été abrogée par la délibération du 27 septembre 2010, laquelle avait été annulée et remplacée par la délibération du 13 décembre 2010, sans en déduire que la délibération du 30 juin 2006 avait de ce fait été rétablie dans l'ordonnancement juridique, le juge de proximité, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé ces délibérations,
ALORS QUE seul un acte réglementaire inconciliable avec un précédent acte peut être regardé comme l'ayant implicitement abrogé ; qu'en considérant que la délibération du 13 décembre 2010 s'était substituée à celle du 30 juin 2006 et régissait la totalité du calcul de la redevance et en ayant ainsi consacré l'abrogation implicite de la délibération du 30 juin 2006 par celle du 13 décembre 2010, quand la seconde délibération modifiait seulement la part variable de la redevance en la forfaitisant et qu'elle n'était nullement inconciliable avec le maintien de la part fixe visée dans la première délibération, le juge de proximité a violé, par refus d'application, la délibération du 30 juin 2006 qui n'a pas été abrogée en tant qu'elle prévoyait une part fixe de la redevance et la délibération du 13 décembre 2010, par fausse interprétation,
ALORS QUE l'article 3-1 du règlement du service, qui a valeur réglementaire, dispose que « les montants facturés [au titre de la redevance d'assainissement] se décomposent en une partie fixe (abonnement) et une part variable » et détermine ensuite les modalités de calcul de la part variable pour les personnes alimentées en eau par le réseau public de distribution, puis pour les personnes alimentées en eau depuis une source ne relevant pas du service public, part alors qualifiée de « redevance d'assainissement applicable [aux] rejets », par opposition à la part fixe de l'abonnement qui est indépendante desdits rejets de sorte qu'en retenant que les modalités de calcul ainsi visées concernaient la totalité de la redevance d'assainissement, le juge de proximité a violé, par fausse interprétation, l'article 3-1 du règlement du service.