LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en février 2004 les plans d'eau appartenant à M. et Mme [G] sur lesquels la société [Adresse 2] exploite un parcours de pêche ont subi une pollution dont a été déclaré responsable le groupement agricole d'exploitation en commun [Adresse 3] (le GAEC), assuré auprès de la société AGF, devenue la société Allianz IARD (l'assureur) ; que la société [Adresse 2] et M. et Mme [G] ayant assigné le GAEC et son assureur en indemnisation, la cour d'appel a statué par un premier arrêt du 26 octobre 2010 sur l'indemnisation de certains de leurs préjudices ; que le GAEC et son assureur se sont désistés du pourvoi qu'ils avaient formé ; qu'après dépôt du rapport d'expertise précédemment ordonné, l'instance s'est poursuivie sur l'indemnisation des pertes d'exploitations subies par la société [Adresse 2] ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses quatre premières branches :
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que, pour dire que l'assureur avait renoncé à se prévaloir du plafond de garantie prévu au contrat d'assurance souscrit par le GAEC et devrait garantir ce dernier de la totalité des condamnations prononcées au bénéfice de M. et Mme [G] et de la société [Adresse 2], le débouter de sa demande de restitution des sommes supérieures au plafond de garantie versées à ceux-ci, le condamner in solidum avec le GAEC à payer à la société [Adresse 2] une certaine somme au titre du préjudice de la perte d'exploitation pour les années 2004 à 2009, l'arrêt retient que l'assureur, qui avait adressé à son conseil une lettre datée du 27 août 2008 dans laquelle il lui demandait de se prévaloir en cause d'appel du plafond de garantie et de la franchise contractuelle de 10 %, avait, dès le début du sinistre, pris la direction du procès et assisté son assuré lors de toutes les opérations d'expertise et lors des instances judiciaires, jusqu'au pourvoi en cassation, dont il s'était ensuite désisté, formé contre l'arrêt d'appel du 26 octobre 2010 qui le condamnait in solidum avec son assuré à payer des sommes qui dépassaient déjà largement le plafond contractuel de garantie et qu'il avait exécuté, et que ce n'est que très tardivement, et alors qu'il savait depuis longtemps que la société [Adresse 2] formait des demandes le dépassant largement, qu'il avait opposé à son assuré ce plafond de garantie prévu au contrat ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que l'assureur avait manifesté sans équivoque son intention de renoncer à opposer le plafond contractuel de garantie à son assuré, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt, sans énoncer de motifs, décide que l'assureur a renoncé à se prévaloir de l'application de la franchise contractuelle ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
Et encore sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux premières branches :
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu que pour rejeter la demande d'indemnisation des pertes d'exploitation consécutives aux six mois de fermeture à prévoir pour
effectuer le curage et la vidange, formée par la société [Adresse 2], l'arrêt retient que ce préjudice n'est pas caractérisé, dès lors que les opérations de vidange et de curage n'ont toujours pas été réalisées bien que les fonds pour les réaliser aient été versés, de sorte que cette perte d'exploitation liée au curage et à la vidange n'est, à ce jour, pas certaine, ni réellement évaluable ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces motifs que les opérations de vidange et de curage ayant fait l'objet d'une indemnisation entraînaient nécessairement, pendant leur durée, une perte d'exploitation, de sorte que ce préjudice, bien que futur, était certain, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois principal et incident :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la société Allianz IARD a renoncé à se prévaloir du plafond de garantie prévu au contrat d'assurance souscrit par le GAEC [Adresse 3] et devra garantir ce dernier de la totalité des condamnations prononcées au bénéfice de M. et Mme [G] et de la société [Adresse 2], en ce qu'il condamne en conséquence in solidum les premiers à payer à cette dernière la somme de 1 093 951 euros au titre du préjudice de perte d'exploitation pour les années 2004 à 2009, déduction faite de la somme déjà versée, et en ce qu'il déboute, d'une part, la société Allianz IARD de sa demande de restitution des sommes supérieures au plafond de garantie versées à M. et Mme [G] et à la société [Adresse 2], d'autre part, cette dernière, de sa demande de réparation du préjudice de pertes d'exploitation consécutif à la fermeture du site à prévoir pour les opérations de curage et de vidange, l'arrêt rendu le 8 octobre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mars deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la société Allianz IARD, demanderesse au pourvoi principal.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir dit que la société Allianz IARD, antérieurement dénommé AGF IART, avait renoncé à se prévaloir du plafond de garantie prévu au contrat d'assurance souscrit par le GAEC [Adresse 3], et devrait garantir ce dernier de la totalité des condamnations prononcées au bénéfice des époux [G] et de la SARL [Adresse 2], d'avoir débouté la société Allianz IARD de sa demande de restitution des sommes supérieures au plafond de garantie versées aux époux [G] et à la SARL [Adresse 2], d'avoir condamné in solidum la société Allianz IARD et le GAEC [Adresse 3] à payer à la SARL [Adresse 2] la somme de 1.093.951 € au titre du préjudice de la perte d'exploitation pour les années 2004 à 2009, déduction faite de la somme de 150.000 € déjà versée, et d'avoir débouté la société Allianz IARD de sa demande tendant à l'application d'une franchise de 10% dans la limite de 600 € ;
AUX MOTIFS QU' il ressort des pièces produites que dès le début du sinistre, l'assureur du GAEC [Adresse 3] a pris la direction du procès et assisté son assuré lors de toutes les opérations d'expertise et lors des instances judiciaires jusqu'à l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 26 octobre 2010, et même jusqu'au pourvoi en cassation formé contre cet arrêt dont il s'est ensuite désisté ; que dans le cadre de l'exécution de cet arrêt du 26 octobre 2010, la société Allianz, condamnée in solidum avec son assuré à indemniser la SARL [Adresse 2], a payé les causes de cet arrêt qui dépassaient déjà largement le plafond contractuel de garantie ; que ce n'est que dans le cadre de l'instance ayant abouti au jugement du 10 octobre 2013 (dont appel) et après dépôt du rapport [O], que la société Allianz, a opposé clairement et judiciairement à son assuré le plafond de garantie prévu au contrat ; que la compagnie Allianz produit comme preuve de sa non renonciation les correspondances échangées avec son conseil notamment une lettre du 27 août 2008 dans laquelle elle indique pour la première fois : « j'attire votre attention sur le fait que notre garantie est plafonnée, et que jusqu'à maintenant, ce point n'a jamais été évoqué que ce soit auprès de notre assuré, ou dans la procédure. Notre garantie est limitée à 305.000 € avec une franchise de 10% et un maximum de 3045 €. Pouvez-vous invoquer ce problème pour la première fois en appel ? Pour l'instant nous sommes condamnés in solidum avec notre assuré » ; qu'elle produit encore deux autres correspondances du 25 février 2009, puis du 7 septembre 2009 dans lesquelles elle discute avec son conseil des conséquences du dépassement du plafond de garantie, notamment de la restitution des indemnités versées au delà du plafond ; qu'il ressort de ces éléments que la société Allianz n'a opposé à son assuré que très tardivement le plafond de garantie prévu au contrat alors qu'elle savait depuis longtemps (après l'expertise [E] et pendant le cours de l'instance ayant abouti au jugement de 2008) que la SARL [Adresse 2] formait des demandes dépassant largement le plafond de garantie ; qu'en tout état de cause, en renonçant à son pourvoi en cassation contre l'arrêt du 10 octobre 2010, lequel confirmait et prononçait un ensemble de condamnations largement supérieur aux maxima garantis, la société Allianz a manifesté sans équivoque pendant plusieurs années (de 2004 à 2010) son intention de ne pas se prévaloir du plafond de garantie prévu au contrat, ce qui équivaut à une renonciation compte tenu de la tardiveté ; qu'elle a réglé la condamnation du 26 octobre 2010 prononcée in solidum contre son assuré et elle, condamnation à laquelle elle a acquiescé en se désistant de son pourvoi en cassation ; que dans ces circonstances, la société Allianz doit être condamnée à garantir le GAEC [Adresse 3] des condamnations prononcées contre lui et déboutée des demandes de remboursement formées à l'encontre des époux [G] et de la SARL [Adresse 2] ; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société Allianz était fondée à opposer le plafond de garantie de 305.000 € par sinistre et l'application de la franchise de 10% du montant des dommages avec un maximum de 600 €, et en ce qu'il a condamné les époux [G] et la SARL [Adresse 2] à restituer les sommes versées par l'assureur dépassant le montant du plafond et de la franchise (arrêt, p. 14 et 15) ;
1°) ALORS QUE la renonciation par l'assureur au plafond de garantie stipulé dans le contrat d'assurance ne peut résulter que d'une volonté dépourvue d'équivoque ; qu'en l'espèce, la société Allianz faisait valoir qu'elle avait contesté la recevabilité comme le bien-fondé des demandes indemnitaires de la société [Adresse 2] et des époux [G] devant le tribunal, en sorte qu'avant le prononcé du jugement du 26 juin 2008, la question effective de la limitation de garantie n'était pas d'actualité (concl., p. 26 § 9) ; qu'elle soulignait qu'elle avait ensuite, dans le cadre de l'appel, demandé à plusieurs reprises à son conseil d'opposer le plafond de garantie, ce qu'il n'avait pas fait (concl., p. 26) ; qu'elle ajoutait que les paiements effectués en exécution de l'arrêt du 26 octobre 2010 l'avaient été en raison du caractère exécutoire de cette décision (concl., p. 27 § 1) ; qu'elle en déduisait qu'elle avait ainsi manifesté sa volonté d'opposer le plafond de garantie, ce qui excluait toute renonciation dépourvue d'équivoque à ce plafond ; que la cour d'appel a décidé au contraire que la société Allianz n'avait opposé que très tardivement le plafond de garantie tandis qu'elle savait que les demandes indemnitaires formées contre elle excédait ce plafond et qu'elle avait acquiescé à la condamnation prononcée contre elle par l'arrêt du 26 octobre 2010 en se désistant de son pourvoi contre cette décision, laquelle mettait à sa charge des sommes largement supérieures aux maxima garantis (arrêt, p. 15 § 1 et 2) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Allianz n'avait aucune raison d'opposer le plafond de garantie avant le jugement du 26 juin 2008, et s'il résultait de ses échanges avec son avocat qu'elle avait entendu, ensuite, se prévaloir de ce plafond, même si son mandataire n'avait pas fait diligence, ce qui excluait toute volonté dépourvue d'équivoque de renoncer au plafond de garantie dans le cadre de l'instance ayant conduit à l'arrêt attaqué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
2°) ALORS QUE la connaissance par l'assureur de responsabilité du montant des demandes du tiers lésé ne saurait suffire à caractériser son intention dépourvue d'équivoque d'opposer le plafond de garantie stipulé au contrat, lorsque ces demandes excèdent ce plafond, dès lors qu'elles ne présagent ni d'une condamnation au profit du tiers lésé, ni du montant d'une telle condamnation ; qu'en décidant que la société Allianz avait renoncé à se prévaloir du plafond de garantie puisqu'elle ne l'avait opposé que « très tardivement […] alors qu'elle savait depuis longtemps (après l'expertise [E] et pendant le cours de l'instance ayant abouti au jugement de 2008) que la SARL [Adresse 2] formait des demandes dépassant largement le plafond de garantie » (arrêt, p. 15 § 1), la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif impropre à caractériser la volonté dépourvue d'équivoque de l'assureur à renoncer au plafond de garantie, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
3°) ALORS QUE l'exécution par l'assureur d'une condamnation judiciaire prononcée contre lui et devenue définitive, dont le montant excède le plafond de garantie, ne suffit pas à caractériser sa volonté de ne pas se prévaloir de ce plafond ultérieurement ; que la cour d'appel a considéré que la société Allianz avait renoncé à se prévaloir du plafond de garantie dès lors qu'elle avait réglé la condamnation du 26 octobre 2010 prononcée in solidum contre son assuré et elle (arrêt, p. 15 § 1) ; qu'en se fondant sur une circonstance impropre à caractériser la volonté dépourvue d'équivoque de la société Allianz de renoncer au plafond de garantie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
4°) ALORS QUE le fait pour l'assureur de se désister d'une voie de recours à l'encontre d'une décision prononçant à son encontre une condamnation à payer une certaine somme in solidum avec son assuré, excédant le plafond de sa garantie, ne le prive pas de la possibilité d'opposer ce plafond de garantie dans une instance ultérieure tendant à l'indemnisation d'un préjudice distinct ; que la cour d'appel a considéré que la société Allianz avait renoncé à se prévaloir du plafond de garantie en se désistant de son pourvoi en cassation contre l'arrêt du 26 octobre 2010, auquel elle avait donc acquiescé (arrêt, p. 15 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que l'acquiescement à la condamnation prononcée le 26 octobre 2010 ne s'étendait pas à la condamnation éventuelle à intervenir, dans le cadre d'une autre instance, au titre des pertes d'exploitation alléguées par la société [Adresse 2], la cour d'appel, qui s'est fondée sur une circonstance impropre à caractériser une volonté dépourvue d'équivoque de la société Allianz de renoncer au plafond de garantie, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
5°) ALORS QUE tout jugement doit être motivé ; qu'en l'espèce, la société Allianz opposait à son assuré comme aux demandeurs à l'indemnisation une franchise de 10% dans la limite de 600 € prévue par le contrat d'assurance ;
que la cour d'appel a infirmé le jugement en ce qu'il avait « dit que la société Allianz était fondée à opposer […] l'application de la franchise de 10% du montant des dommages avec un maximum de 600 € » (arrêt, p. 15 § 4) ; qu'en se prononçant, sans énoncer les motifs propres à écarter l'application de la franchise, pourtant opposable aux tiers, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE) :IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné in solidum la société Allianz IARD et le GAEC [Adresse 3] à payer à la SARL [Adresse 2] la somme de 1.093.951 € au titre du préjudice de la perte d'exploitation pour les années 2004 à 2009, déduction faite de la somme de 150.000 € déjà versée ;
AUX MOTIFS QUE, s'agissant de la perte d'exploitation proprement dite, l'expert avait reçu pour mission :
- d'examiner les chiffre d'affaires réalisés par la SARL [Adresse 2] depuis son ouverture jusqu'au 24 février 2004, date de la pollution des étangs de pêche, ainsi que les bilans et tous documents comptables utiles,
- dire quelle était la marge bénéficiaire et le chiffre d'affaire lié au parcours de pisciculture,
- déterminer pour les années 2004 à 2009 inclus la perte de chiffre d'affaires engendrée par la pollution,
- déterminer le montant de la perte de chiffre d'affaires engendrée par la fermeture du parcours de pisciculture pendant les 6 mois de fermeture nécessaire au curage et à la vidange et préciser la période la plus opportune pour la réalisation de ces travaux afin de réduire les pertes de chiffre d'affaires,
- fournir plus généralement tous éléments utiles pour déterminer aussi précisément que possible les pertes d'exploitation et de chiffre d'affaires de la SARL [Adresse 2],
- rechercher dans la comptabilité de la SARL si son gérant percevait une rémunération ou s'il avait ou non été rémunéré à compter du 22 février 2004 et faire la même chose pour Mme [G],
- préciser le taux horaire moyen en 2004 de la rémunération d'une salarié employé dans une entreprise réalisant des travaux de faucardage,
- répondre aux dires des parties en précisant les motifs d'acceptation ou de rejet des chiffres et moyens soumis ; que l'expert n'a pas été en mesure, au vu de la comptabilité de la SARL [Adresse 2], de faire le simple constat en lecture des comptes de chiffre d'affaire et de la marge bénéficiaire sectoriel du parcours de pisciculture. Il a estimé qu'un travail analytique de traitement était nécessaire pour répondre à la question posée. Il a cependant donné son avis au terme des travaux et échanges contradictoires dans les conclusions sur les chefs de mission impliquant un avis technique. Il a notamment expliqué que la SARL [Adresse 2] était une très petite entreprise tenant une comptabilité régulière, mais sans identification analytique de la contribution des différentes branches contribuant à la construction du résultat; que cette entreprise était dans une période émergente de création d'activité où les résultats évoluaient fortement d'une année à l'autre, en partant de zéro avec des spécificités non récurrentes d'une période de démarrage et sans avoir atteint la stabilité d'activité permettant de pertinentes projections au vu des années récentes passées pour apprécier ce qu'auraient été, sans sinistre, les années suivantes ; qu'il a estimé cependant globalement à 1.250.000 € la perte d'exploitation résultant de la pollution pour l'ensemble des années 2004 à 2009, soit une perte nette de résultat de l'ordre de 520.000 € sur le cumul des 6 années après la prise en charge de la couverture sur les mêmes 6 années de 727.661 € de frais fixes ; que s'agissant de la rémunération des gérants, l'expert a précisé que Mme [G] avait été seule gérante jusqu'en 2007, puis avait exercé à compter du 1er octobre 2007 la gérance conjointement avec son fils [I]; que la gérance n'avait pas été rémunérée et n'avait donné lieu à aucune charge jusqu'au 31 décembre 2006; que pour les années postérieures elle avait perçu par inscription en compte courant 8.150 € en 2007, 8.520 € en 2008 et 10.000 € en 2009; que son fils avait quant à lui perçu une rémunération effective de 2.130 € en 2007, 14.160 € en 2008 et 18.000 € en 2009. L'expert a indiqué que les charges liées à ces rémunérations n'avaient pas été comptabilisées dans le respect des règles d'une comptabilité d'engagement, mais sur la base du rythme des appels provisionnels et de régularisation a posteriori retenues par les organismes sociaux, soit 6.557 € pour 2007, 7.145 € 2008 et 20.928 € pour 2009; que s'y ajoutaient les régularisations complémentaires ultérieurement appelées, soit :
- 1.580 € au titre de 2008 et 6528 € en 2009 pour [I] [G] ,
- 1.746 € pour Mme [G] en 2009 ; que l'expert a indiqué que pour la rémunération d'un salarié employé dans une entreprise réalisant des travaux de faucardage, il y avait lieu de retenir de l'avis général des parties, un taux horaire de 15 € de l'heure ; que s'agissant de la fermeture pour la réalisation des travaux de curage, l'expert a retenu que la meilleure période était l'hiver de novembre à avril ; que l'expert n'a pas précisé la perte d'exploitation à prévoir engendrée par la fermeture du parcours de pisciculture pendant les 6 mois de fermeture nécessaire au curage et à la vidange ; qu'il résulte du jugement du 26 juin 2008 confirmé par l'arrêt de la Cour du 26 octobre 2010 que le principe de l'indemnisation du préjudice d'exploitation est acquis pour les années 2004 et 2005, mais restait en discussion pour les périodes postérieures ; que s'agissant de l'évaluation du préjudice d'exploitation pour la période de 2004 à 2009 incluse telle que chiffrée par le rapport [O], les premiers juges ont considéré que les progressions du chiffre d'affaires envisagées par l'expert [O] étaient insuffisamment étayées ce dernier ayant fait une évaluation globale de la perte sans la détailler par exercice. Ils ont relevé que l'expert ne s'était pas référé au niveau d'activité pour la période antérieure à la pollution (c'est-à-dire antérieure à février 2004), ni au niveau d'activité des années postérieures de 2010, pour laquelle plus rien n'était demandé au niveau de la pollution ; qu'en l'absence d'éléments exploitables le tribunal a décidé de s'en tenir à l'évaluation fixée dans le jugement du 26 juin 2008 à partie de l'expertise de M. [E], en retenant une perte d'exploitation de 60.000 € pour 2004 et de 90.000 € pour 2005 ; qu'il est certain que l'expertise [O] n'indique pas de façon détaillée, année par année, comment a été évalué le préjudice de la perte d'exploitation. Cependant la lecture et la réponse aux dires des parties, qui ont chacune fait valoir d'autres expertises réalisées à leurs frais (In extenso pour les appelants, [W] pour le GAEC et Allianz) nous fournit cependant un certain nombre d'indications:
- tout d'abord que les parties ont été d'accord pour privilégier une approche du préjudice de la perte d'exploitation par une estimation du résultat sectoriel d'exploitation perdu, augmenté du constat des charges fixes du secteur d'activité sinistré (restés à charge depuis l'arrêt de l'exploitation) et faire masse des rémunérations de gérance servies, intérêts de comptes courants, dividendes distribués et résultats mis en réserve, prise en compte des charges supplétives ;
- que les parties ont donné également leur accord pour sectoriser les familles de chiffres d'affaires en distinguant l'activité pêche (produit d'un nombre d'entrées par un prix moyen HT pour chaque entrée, avec éventuelle précision complémentaire utile) l'activité accueil hébergement (en dissociant la part d'activité induite par la pêche et le reste de l'activité), et les autres activités ;
- que l'expert a écarté l'affirmation (selon lui gratuite du rapport [W]) de progression linéaire des chiffres d'affaires conduisant à affirmer qu'il n'y avait plus d'effet après 2005. Il a au contraire affirmé que la pollution s'était poursuivie bien au-delà de cette date ;
- qu'il a considéré que les données, explications et projections fournies par les appelants et leur comptable pour apprécier leur perte de chance traduisaient un futur qui était une cible possible, sans que l'on puisse toutefois en être certain puisque la pollution avait figé dans son état initial et encore balbutiant un projet en développement ;
- l'expert a écarté également la comparaison avec d'autres entreprises (par exemple l'entreprise du domaine [Localité 1]) ayant prétendument une activité comparable, au motif que les réservoirs de ces entreprises étaient gérés en association ou entreprises individuelles ne publiant pas de comptes et qu'il était très difficile d'obtenir des éléments de comparaison, chacune des activités ayant des spécificités propres ;
- qu'il fallait retenir le caractère central des conséquences à tirer de la seule hypothèse du nombre des entrées perdues et la grande difficulté à toute appréciation des comptes qui auraient existé sans sinistre, compte tenu du fait de la survenue d'un sinistre en période de démarrage alors que la courbe de croissance n'était pas construite ni stabilisée, que l'entreprise disposait d'une activité de très petite PME sans identification de l'activité sectorielle sinistrée ;
- que l'expert a précisé qu'il n'avait fait que quantifier les conséquences financières de la pollution et n'avait donné suite à aucune des productions et observations sur l'origine de la pollution et toutes autres considérations techniques de causalité; qu'il avait également écarté tout avis sur la question tranchée dans l'arrêt de la Cour rendu le 26 octobre fixant à 218.479,40 €
l'indemnisation à verser à la SARL [Adresse 2] au titre des frais de vidange et de curage des étangs ; qu'au vu de cet ensemble d'éléments, il apparaît clairement que l'expert n'a analysé que la perte d'exploitation en lien avec la pollution ; qu'il n'y a pas lieu comme le demande le GAEC, de revenir sur d'autres causes prétendument à l'origine de cette pollution en ordonnant une expertise pour les établir ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, il ne peut être soutenu comme l'ont fait les premiers juges que l'évaluation proposée par l'expert devait être écartée au motif que celui-ci n'avait pas pris en compte :
- le niveau d'activité antérieur à février 2004, alors que l'expert explique clairement pourquoi cette comparaison n'était pas significative, au regard du fait que l'entreprise était en cours de démarrage,
- le niveau d'activité des périodes postérieures à 2010, alors que cela ne faisait pas partie de sa mission ; qu'il est certain selon l'expert que la pollution a eu des conséquences financières au delà de l'année 2005 ; qu'il ne peut donc être admis, alors que l'expertise concernait expressément les périodes de 2005 à 2009 d'exclure d'emblée les périodes 2006 à 2009 alors que les parties s'étaient clairement mises d'accord sur la méthode d'évaluation retenue et les critères sélectionnés et que l'expert a analysé toutes les données chiffrées fournies contradictoirement par les parties en expliquant ce qu'il avait exclu et ce qui ne relevait pas de sa mission ; que bien que le GAEC [Adresse 3] et la compagnie Allianz contestent longuement l'évaluation de l'expert en s'appuyant notamment sur la synthèse [W], rejetée par l'expert pour des raisons pourtant pertinentes, la Cour entérinera l'évaluation du préjudice d'exploitation de M. [O] sur les années 2004 à 2009, en s'en tenant toutefois à la demande précise des appelants portant en définitive sur une somme totale au titre de cette période de 1.243.951 € ; que, déduction faite de la provision de 150.000 € déjà allouée par le jugement du 26 juin 2008 (et confirmée par arrêt de la Cour du 26 octobre 2010), il revient à la SARL [Adresse 2] une somme de 1.093.951 € au titre du préjudice de la perte d'exploitation pour les années 2004 à 2009 ; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a limité la perte d'exploitation subie par le [Adresse 2] à la somme de 150.000 € ; […] qu'il y a donc lieu de condamner le GAEC [Adresse 3], responsable la pollution, à payer à la SARL [Adresse 2] la somme de 1.093.951 € au titre du préjudice de la perte d'exploitation pour les années 2004 à 2009, déduction faite de la somme de 150.000 € déjà versée (arrêt, p. 9 à 12) ;
1°) ALORS QUE le juge doit réparer le préjudice dans son intégralité, sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; que seul le préjudice en relation de causalité avec le fait générateur de responsabilité peut être mis à la charge du responsable ; qu'en l'espèce, la société Allianz se prévalait dans ses écritures d'une attestation émanant de la préfecture de l'Orne, selon laquelle l'épisode de pollution survenu en mars 2004 avait eu un caractère accidentel, dès lors que les visites ultérieurement réalisées par le service départemental de l'Office national de l'Eau et des Milieux Aquatiques n'avaient révélé en aval de l'exploitation aucune trace de lisier (concl., p. 33) ; qu'elle en déduisait qu'en l'absence de persistance de la pollution audelà de 2005, il n'était pas possible à la société [Adresse 2] d'invoquer des pertes d'exploitation pour la période 2006-2009 ; qu'en décidant le contraire, au motif que l'expert avait affirmé que la pollution s'était poursuivie bien au-delà de 2005 (arrêt, p. 11 § 2) et qu'il était certain selon l'expert que la pollution avait eu des conséquences financières au-delà de l'année 2005 (arrêt, p. 11 dernier §), tout en relevant que ce dernier « n'avait donné suite à aucune des productions et observations sur l'origine de la pollution et toutes autres considérations techniques de causalité » (arrêt, p. 11 § 6), sans rechercher, comme elle y était invitée, si la pollution avait cessé ses effets après 2005, ainsi qu'il résultait d'un courrier de la préfecture de l'Orne, et si, dès lors, les pertes d'exploitation alléguées après cette date ne pouvaient pas être liées à l'épisode de pollution initiale, seul imputable au GAEC [Adresse 3], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
2°) ALORS QUE le juge qui ordonne une mesure d'expertise ne tranche aucune partie du principal en précisant la mission confiée à l'expert ; qu'en énonçant qu'il « ne peut donc être admis, alors que l'expertise concernait expressément les périodes de 2005 à 2009 d'exclure d'emblée les périodes 2006 à 2009 » (arrêt, p. 11 dernier §), pour considérer qu'il convenait d'indemniser les pertes d'exploitation prétendument subies par la société [Adresse 2] de 2006 à 2009, tandis que ni le jugement du 26 juin 2008 ayant ordonné l'expertise, ni l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant étendu sa mission n'étaient assortis de l'autorité de chose jugée relativement à la prise en considération de cette période pour l'évaluation des pertes d'exploitation, en sorte qu'il demeurait possible de contester le principe même d'une indemnisation au titre de prétendues pertes d'exploitation survenues au cours de cette période, la cour d'appel a violé les articles 1351 du code civil et 480 et 775 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU' il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, l'expert judiciaire avait relevé l'existence d'un désaccord des parties concernant la durée de la perte d'exploitation imputable à l'épisode de pollution, le conseil de la société Allianz ayant soutenu, en se fondant sur le rapport établi par M. [W], expert de l'assureur, que la pollution n'avait plus eu d'effet après la fin du premier trimestre 2005 (prod. 7, p. 12 § 8) ; qu'en jugeant qu'il n'y avait pas lieu « d'exclure d'emblée les périodes 2006 à 2009 alors que les parties s'étaient clairement mises d'accord sur la méthode d'évaluation retenue et les critères sélectionnés » (arrêt, p. 11 dernier §), tandis qu'il résultait au contraire du rapport d'expertise que les parties ne s'étaient pas accordées sur la période indemnisable, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet écrit et violé l'article 1134 du code civil ;
4°) ALORS QU'EN TOUTE HYPOTHÈSE, la société Allianz contestait l'existence de tout accord de sa part concernant l'extension de la mission d'expertise à la période 2006 à 2009 et soulignait que son expert avait contesté l'analyse selon laquelle les pertes d'exploitation se seraient poursuivies après 2005 par le biais de dires (concl., p. 31) ; qu'en énonçant que « les parties s'étaient clairement mises d'accord sur la méthode d'évaluation retenue et les critères sélectionnés » (arrêt, p. 11 dernier §) pour en déduire qu'il convenait de retenir l'existence de pertes d'exploitation sur la période 2006-2009, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'expert de la société Allianz avait contesté l'existence d'un accord par le biais d'un dire adressé à l'expert judiciaire, lequel en avait pris acte (rapport, p. 28), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [G] et la société [Adresse 2], demandeurs au pourvoi incident.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'écarter la demande d'indemnisation formée par la société [Adresse 2] au titre de la compensation des pertes d'exploitation consécutives aux six mois de fermeture à prévoir pour effectuer le curage et la vidange ;
AUX MOTIFS QU'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a considéré comme non caractérisé ce préjudice d'exploitation puisque les opérations de vidange et de curage n'ont toujours pas été réalisées alors que les fonds pour le faire ont été versés ; que cette perte d'exploitation liée au curage et à la vidange n'est donc à ce jour pas certaine, ni réellement évaluable (arrêt attaqué, p. 12, § 4) ;
1°) ALORS QUE le préjudice futur, dont la réalisation est certaine, est indemnisable ; qu'en écartant l'indemnisation de la perte d'exploitation qu'engendreraient les travaux de curage déjà indemnisés au prétexte que ces travaux n'étaient toujours pas intervenus, la cour d'appel a fait dépendre la certitude du dommage de son actualité, en violation du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ensemble l'article 1382 du code civil ;
2°) ALORS QUE le principe de la réparation intégrale exclut tout contrôle sur l'utilisation des fonds alloués à la victime, qui conserve leur libre utilisation ; qu'en refusant de réparer la perte d'exploitation durant les travaux de curage en raison de l'absence de réalisation desdits travaux, la cour d'appel a subordonné l'allocation de l'indemnité au contrôle juridictionnel de l'affectation des sommes allouées en réparation du dommage subi et ainsi violé le principe de la réparation intégrale ensemble l'article 1382 du code civil ;
3°) ALORS QU'en estimant que la perte d'exploitation future n'était pas « réellement évaluable », sans s'expliquer sur les éléments d'évaluation comptable produits d'un poste de préjudice dont elle avait pourtant reconnu l'existence et l'importance pour les exercices 2004 à 2009, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
4°) ALORS QUE le juge qui constate un préjudice dont la réalisation est future mais certaine doit, s'il ne dispose pas d'élément permettant de l'évaluer, sursoir à statuer sur l'évaluation de ce préjudice et allouer, si besoin, une provision à valoir sur l'indemnisation à venir ; qu'en rejetant la demande d'indemnisation de la perte d'exploitation qu'engendrera l'arrêt de l'exploitation durant les travaux de curage, au motif qu'il ne serait pas « réellement évaluable », la cour d'appel a violé les article 4 et 1382 du code civil.