LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 11 mai 2015), que la société Prosura immo, créée le 29 octobre 1998 et ayant pour associés, M. [E] [H] et Mme [V] [H], ayants cause à titre universel de [D] [H], a acquis, de ses associés, un immeuble dépendant de la succession de leur auteur ; que, par acte sous seing privé du 10 mai 1994, celui-ci avait concédé à Mme [R] un titre d'occupation d'un appartement, pour une durée indéterminée et au plus tard jusqu'en 2094 ; que, la société Prosura immo, invoquant l'inopposabilité de l'acte à son égard, a assigné Mme [R] en expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen :
Vu le principe fraus omnia corrumpit, ensemble l'article 1743 du code civil ;
Attendu que, pour rejeter la demande de la société Prosura immo, l'arrêt retient que M. [E] [H] et Mme [V] [H], ayants cause à titre universel de [E] [H], ont constitué entre eux la société à laquelle ils ont vendu divers biens immobiliers dont celui occupé par Mme [R], que, si la société est juridiquement une personne morale distincte, la vente à une société que l'on a soi-même constituée représente une forme de vente à soi-même et que, si la validité de l'opération n'est pas en cause, compte tenu du conflit opposant les parties, l'invocation de l'inopposabilité du bail a été faite de mauvaise foi, ce qui la prive d'efficacité ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que la société avait été créée dans le seul but de faire expulser Mme [R], n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ;
Condamne Mme [R] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente mars deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat aux Conseils, pour la société Prosura immo
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Prosura Immo de sa demande tendant à ce qu'il soit dit que Mme [R] n'a aucun titre d'occupation du lot n° 1 de l'immeuble [Adresse 3] à [Localité 1], qu'elle soit déclarée occupante sans droit ni titre, que la libération des lieux soit ordonnée et que Mme [R] soit condamnée à payer les charges de copropriété depuis juin 2007 et une indemnité d'occupation depuis le 1er juillet 2007 jusqu'à libération effective des lieux ;
AUX MOTIFS QUE, sur l'existence d'un titre de location, le tribunal, par un jugement avant dire droit, avait ordonné une expertise graphologique et du document intitulé ‘‘Engagement de location'' et avait mis la consignation à la charge de la société Prosura Immo ; que la consignation n'a pas été effectuée et l'expertise graphologique n'a pas eu lieu ; que la société Prosura Immo conteste la valeur probante de l'acte en cause dont elle observe que l'original n'est pas produit et qu'elle qualifie de montage technique, indiquant que le seul examen visuel du document permettait de démontrer l'absence de sincérité et de validité de celui-ci ; que s'il est exact qu'il appartient en premier lieu à Mme [R] de rapporter la preuve de ce que la photocopie du document est assortie d'une force probante lui permettant de s'en prévaloir, il apparaît que tel est bien le cas en l'espèce ; que Mme [R] produit, en effet, et en copie, l'engagement de location signé le 10 mai 1994 à [Localité 2], entre M. [D] [H], propriétaire, et elle-même, consentant la location d'un appartement situé [Adresse 3], accompagné d'un studio annexe, pour une durée qualifiée d'indéterminée, commençant à courir le 10 mai 1994 pour se terminer au plus tard le 10 mai 2094, à titre gratuit avec exonération de toutes charges, taxes et redevances ou prestations ; qu'elle explique que ce bail lui a permis, compte tenu de la possibilité de sous-location expressément mentionnée, de donner à son tour l'appartement annexe en location à un tiers, selon un contrat dont elle produit la copie, signé le 23 août 1996 ; que Mme [R] produit également en copie un autre engagement de location signé le 10 mai 1994 dont les termes sont similaires même s'ils ne sont pas strictement identiques, par lequel M. [D] [H] lui a consenti la location d'un appartement situé à [Localité 3], à titre gratuit, pour une durée qualifiée d'illimitée commençant à courir le 10 mai 1994 pour se terminer au plus tard le 10 mai 2094 ; qu'il apparaît que sur chacun des documents, les signatures de M. [H] et de Mme [R] ne sont pas totalement identiques ce qui exclut un montage pur et simple mais sont suffisamment ressemblantes pour avoir été apposées par les mêmes personnes ; que Mme [R] produit enfin la copie du passeport de M. [D] [H] et la signature est à nouveau tout à fait ressemblante avec celle apposée sur l'engagement de location litigieux ; qu'elle explique ne produire que des copies dans la mesure où tous les documents originaux lui auraient été substitués ; qu'il n'est par ailleurs pas contesté que Mme [R], née en 1945, vivait avec M. [D] [H], né en 1940, depuis de très nombreux années à savoir, selon les conclusions de celle-ci, de 1979 jusqu'au décès de M. [H] survenu le [Date décès 1] 1997 ; qu'il n'est pas contesté non plus, ainsi qu'elle le relate dans ses conclusions, que l'immeuble actuellement connu sous le nom de [Adresse 3] a été construit en 1986 par M. [D] [H], sur un terrain qu'il avait acheté en 1976 et divisé en plusieurs appartements, dont celui objet du litige ; que l'ensemble des éléments ci-dessus analysés permet de juger que Mme [R] rapporte la preuve de la force probante attachée à l'engagement de location dont elle se prévaut ; qu'en outre, la société Prosura Immo n'a pas procédé à la consignation mise à charge compte tenu des contestations qu'elle formulait à l'encontre de ce document mais encore qu'elle remet en cause les mentions et qu'elle affirme que le seul examen visuel du document permettrait de démontrer l'absence de sincérité et de validité de celui-ci lequel ne serait autre chose qu'un montage technique sans effectuer toutefois la moindre démonstration de ses affirmations de nature à étayer et à combattre les éléments de preuve rapportés par Mme [R] ; qu'en conséquence, il est établi que Mme [R] dispose effectivement d'un titre de location sur l'appartement litigieux ;
ALORS QUE nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; que, dans ses conclusions d'appel (p. 5 et 6), la société Prosura Immo faisait valoir que Mme [R] ne pouvait pas plaider une chose et son contraire et que, ayant, pour justifier de son occupation des locaux litigieux, soutenu, dans plusieurs procédures antérieures et notamment dans une assignation en partage de communauté, avoir été mariée à [D] [H], elle ne pouvait tout d'un coup se prévaloir d'un engagement de location qui signifierait que son prétendu mari lui aurait consenti un bail sur leur domicile conjugal ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Prosura Immo de sa demande tendant à ce qu'il soit dit que Mme [R] n'a aucun titre d'occupation du lot n° 1 de l'immeuble [Adresse 3] à [Localité 1], qu'elle soit déclarée occupante sans droit ni titre, que la libération des lieux soit ordonnée et que Mme [R] soit condamnée à payer les charges de copropriété depuis juin 2007 et une indemnité d'occupation depuis le 1er juillet 2007 jusqu'à libération effective des lieux ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur l'opposabilité du titre de location, il n'est pas contesté que le bail signé le 10 mai 1994, pour une durée supérieure à 12 ans, n'a pas fait l'objet de la publication prévue par l'article 28 b du décret du 4 janvier 1955 pour permettre son opposabilité aux tiers qui ont acquis, du même auteur sur le même immeuble, des droits concurrents en vertu d'un acte publié, conformément à l'article 30 du même décret ; que toutefois, au décès de [D] [H] le [Date décès 1] 1997, ses biens ont été transmis à ses héritiers, à savoir son frère et sa soeur, M. [E] [H] et Mme [V] [H], ayants cause à titre universel qui ne sont donc pas des tiers ; que ces derniers ont ensuite constitué entre eux une SARL Prosura Immo dont ils étaient les deux seuls associés et par acte notarié du 29 octobre 1998, M. [E] [H] et Mme [V] [H] ont vendu à la SARL Prosura Immo, représentée par Mme [V] [H], en qualité de gérante, plusieurs biens immobiliers dont la totalité en pleine propriété des lots constituant l'immeuble [Adresse 3], pour la somme de 1 900 000 F ; que la partie du prix payée comptant par l'acquéreur provenait d'un emprunt et le solde devait être réglé en 8 annuités constantes, sans intérêt, du 1er janvier 2001 au 1er janvier 2008 ; que si la SARL Prosura Immo est juridiquement une personne morale distincte, il n'en demeure pas moins que la vente à une société que l'on a soi-même constituée représente une forme de vente à soi-même ; que si la validité de l'opération n'est aucunement en cause dans le cadre de la présente instance et si la SARL Prosura Immo, devenue ensuite la SAS Prosura Immo, présidée par [H] [H], fils de [E] [H] et neveu de [V] [H], est juridiquement un tiers, le tribunal d'instance a pu légitimement considérer que l'écran social ne devait pas occulter qu'une société agit dans l'intérêt de ses associés et que compte tenu du contexte et du conflit opposant Mme [R] au frère et à la soeur de [D] [H] depuis le décès de celui-ci, l'invocation de l'inopposabilité du bail est faite de mauvaise foi, ce qui la privait d'efficacité ; qu'en outre, la SAS Prosura Immo verse aux débats une copie de l'acte notarié du 29 octobre 1998, copie qui, d'une part, ne comporte pas toutes les pages et surtout ne comporte pas la note annexée expressément prévue au paragraphe intitulé ‘‘Sur l'occupation du bien vendu'', rédigé de la façon suivante en pages 20 et 21 de l'acte : « L'acquéreur déclare avoir une parfaite connaissance de l'état et de la situation locative ou non des immeubles et biens immobiliers objets des présentes. Les renseignements concernant cette location sont énoncés en une note ci-annexée, visée par le vendeur et l'acquéreur » ; que des renseignements ont donc été portés à la connaissance de la SARL Prosura Immo sur la situation locative des biens vendus dans des termes dont l'appelante ne permet pas la vérification alors que, nonobstant sa qualité de tiers et outre la question de la mauvaise foi, elle ne peut en toute hypothèse plus se prévaloir de l'inopposabilité d'un bail ou d'une situation locative portée à sa connaissance lors de la vente ; que, dans ces conditions, le bail du 10 mai 1994 ne sera pas déclaré inopposable à la SAS Prosura Immo ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE si le conflit oppose bien deux ayants cause à titre particulier titulaires de droits sur un même immeuble, acquis d'un auteur commun, à savoir M. [D] [H] auquel sont assimilés ses ayants cause à titre universel qui continuent sa personne, la question qui est soulevée est celle de la mauvaise foi de la demanderesse ; que de fait, la société Prosura Immo a été constituée en octobre 1998 et a pour président M. [H] [H] ; qu'elle était représentée lors de l'acte d'acquisition du 29 octobre 1998 par Mme [V] [H] agissant en tant que gérante ; qu'il n'est pas contesté qu'il s'agit d'une société de type familial destinée à l'exploitation de biens immobiliers, notamment ceux issus de la succession de M. [D] [H] ; que Mme [R] ne rapporte pas la preuve de ce que la société aurait été constituée dans le seul but de faire expulser du logement litigieux, cette démarche de mise en société pouvant répondre à de nombreux autres objectifs financiers ; que pour autant l'écran social ne doit pas occulter le fait que la société agit dans l'intérêt de ses associés qui sont notamment les ayants cause à titre universel de M. [D] [H] ; qu'or ces derniers ne constituent pas des tiers pouvant se prévaloir de l'inopposabilité du l'acte non publié, mais sont bien au contraire tenus d'exercer les engagements pris par leur auteur dont ils recueillent l'intégralité du patrimoine dans ses éléments d'actif comme de passif ; que dans ce contexte et compte tenu du conflit qui oppose Mme [R] aux frères et soeurs de M. [D] [H] depuis son décès qui se traduit par la volonté résolue de ces derniers de parvenir à l'expulsion de celle-ci, ce dont atteste la posture procédurale opportuniste adoptée par la société Prosura Immo, l'invocation de l'inopposabilité du bail apparaît faite de mauvaise foi ;
ALORS, D'UNE PART, QUE celui qui, par un acte authentique de vente dûment publié, est devenu propriétaire d'un bien faisant l'objet d'un bail de plus de douze années non publié, ne peut, même s'il en connaissait l'existence lors de la vente et quand même serait-il de mauvaise foi, se voir opposer ce bail, au moins pour la période excédant douze ans ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 28, 1°, b et 30, 3 du décret du 4 janvier 1955 ;
ALORS, D'AUTRE PART, et en tout état de cause, QU'en se bornant à déduire la mauvaise foi de la société Prosura Immo du fait que cette société, de type familial, avait été, dans un contexte conflictuel, constituée par les seuls ayants cause à titre universel du propriétaire du logement donné à bail et s'était vu céder le bien par ses associés eux-mêmes tout en considérant que la validité de cette cession n'était pas en cause, que la société Prosura Immo était une personne morale distincte et qu'il n'était pas établi qu'elle ait été créée dans le but de faire expulser Mme [R], la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à justifier légalement sa décision au regard des articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955 ensemble l'article 1743 du code civil ;
ALORS, D'UNE TROISIEME PART, QU'en relevant d'office, sans provoquer les observations contradictoires de parties, le moyen tiré de ce que, indépendamment de la question de la mauvaise foi, la société Prosura Immo, renseignée sur la situation locative du bien, ainsi qu'il en résultait, selon elle, des termes de l'acte de vente du 29 octobre 1998, ne pouvait pas se prévaloir de l'inopposabilité du bail litigieux, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
ALORS, ENFIN, et en toute hypothèse, QU'en retenant qu'il résultait de la copie incomplète de l'acte de vente du 29 octobre 1998 versée aux débats par la société Prosura Immo que des renseignements avaient été portés à sa connaissance sur la situation locative des biens vendus mais que la société, qui n'avait pas produit toutes les pages de l'acte ni la note y annexée, n'avait pas permis la vérification des termes de ces renseignements, la cour d'appel, qui a affranchi Mme [R] de la preuve de ce que la société Prosura Immo avait, lors de la cession du bien, eu connaissance de l'engagement de location du 10 mai 1994 dont elle se prévalait, a violé l'article 1315 du code civil.