LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 9 mars 2015), que Mme [A] et M. [Q] sont depuis 1950 respectivement usufruitier pour un quart et nu-propriétaire pour trois quarts et plein propriétaire pour un quart d'une parcelle de terre, dépendant de la succession de leur époux et père, sur laquelle M. [Q] a fait édifier quatre maisons ; que Mme [A] a assigné M. [Q] en paiement de certaines sommes au titre des loyers perçus ; que M. [Q] a invoqué l'extinction de l'usufruit de Mme [A] par non-usage trentenaire ;
Attendu que Mme [A] fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de M. [Q] ;
Mais attendu qu'ayant relevé que Mme [A] et M. [Q] étaient indivisaires en jouissance et constaté que Mme [A] ne justifiait d'aucun acte de jouissance de son chef depuis plus de trente ans, la cour d'appel a retenu à bon droit que les actes de jouissance accomplis par M. [Q] ne pouvaient avoir interrompu la prescription trentenaire pour non-usage de l'usufruit de Mme [A] ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [A] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [A] et la condamne à payer à M. [Q] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept avril deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Rémy-Corlay, avocat aux Conseils, pour Mme [H].
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le droit d'usufruit de Madame [A] s'était éteint par non-usage pendant trente ans, et d'AVOIR déclaré en conséquence irrecevable la demande en fixation d'une indemnité à la charge de Monsieur [Q],
AUX MOTIFS QUE « (…) Le jugement du 13 juin 2013 a été rendu après un premier jugement du 10 décembre 2009 rejetant la fin de non recevoir tirée de la perte de l'usufruit par non usage trentenaire et ordonnant avant-dire droit un complément d'expertise, après dépôt d'un premier rapport dans le cadre d'une mesure d'expertise ordonnée en référé. II n'est pas contesté que M. [Q] a relevé appel du jugement du 10 décembre 2009 mais que par ordonnance du conseiller de la mise en état du 13 janvier 2011, il a été jugé que cette décision n'était pas susceptible d'appel immédiat. Il convient donc d'examiner en premier lieu le moyen tiré de l'extinction de l'usufruit par non usage trentenaire. C'est à juste titre que Mme [H] soutient qu'il y a indivision entre elle-même, usufruitière pour un quart de l'immeuble en cause, dépendant de la succession de son mari, M. [R] [W] [Q], décédé le [Date décès 1] 1950, qui en était propriétaire à titre de bien propre pour l'avoir acquis avant son mariage, ainsi que cela résulte de l'acte de notoriété du 24 octobre 1998 et de l'attestation notariée après décès établie à la même date, et son fils unique, M. [I] [Q], nu-propriétaire à concurrence d'un quart et plein propriétaire à concurrence des trois quarts. En effet, en qualité de plein propriétaire des trois quarts, il cumule les droits de nue-propriété et les droits d'usufruit. Il en résulte une situation d'usufruit indivis avec Mme [H]. Toutefois, en vertu de l'article 617 du code civil, l'usufruit s'éteint notamment par le non usage du droit pendant trente ans. Le droit ne s'éteint que par une absence complète et certaine de jouissance à savoir qu'aucun acte de jouissance ne doit avoir été accompli ni par le titulaire ni de son chef ni en son nom, par un tiers. En l'espèce, Mme [H] n'allègue ni n'établit aucun acte de jouissance de son chef pendant plus de trente ans à compter du décès de son mari mais considère que les actes de jouissance accomplis par son fils ont interrompu la prescription à son égard. Il résulte effectivement de l'article 709 du code civil que si l'héritage en faveur duquel la servitude est établie appartient à plusieurs par indivis, la jouissance de l'un empêche la prescription à l'égard de tous. Il s'agit d'une application du principe d'indivisibilité des servitudes dans la mesure où la servitude profite à un fonds, qu'il soit indivis ou non, de sorte que le droit de tous est conservé. Aucune disposition similaire n'existe toutefois en ce qui concerne le droit d'usufruit lui-même, dans les rapports entre indivisaires alors qu'il ne s'agit plus de la question de l'intérêt commun de l'indivision à l'égard d'un éventuel fonds servant mais de l'intérêt individuel de chaque indivisaire dans ses rapports avec les autres. En particulier, les dispositions de l'article 815-3 du code civil n'ont pas pour effet de conférer aux actes de jouissance d'un indivisaire la qualité d'actes interruptifs de la prescription à
l'égard du droit d'usufruit de l'autre indivisaire, dans leurs rapports entre eux. Il ne s'agit en effet que de la définition des pouvoirs d'un indivisaire pour engager ou non les autres indivisaires. Dans ces conditions, les actes de jouissance exercés par M. [Q], qui a notamment fait construire quatre maisons sur le terrain indivis, ne peuvent avoir eu pour effet de conserver le droit d'usufruit de Mme [H] à l'égard de son co-indivisaire. Il en résulte que le droit d'usufruit de Mme [H] s'est éteint par non usage trentenaire et que sa demande en fixation d'une indemnité n'est plus recevable. Le jugement du 13 juin 2013 sera donc infirmé en toutes ses dispositions ».
ALORS QUE 1°) consistant en un droit réel de jouissance portant directement et immédiatement sur un fonds qui en est l'objet, le droit d'usufruit est conservé par tout acte de jouissance accompli par l'un des usufruitiers indivisaires; qu'il ressortait des propres constatations de la Cour d'appel, d'une part, qu'en qualité de plein propriétaire des trois-quarts, Monsieur [Q] cumulait les droits de nu-propriétaire et les droits d'usufruitier de sorte qu'il en résultait une situation d'usufruit indivis avec Madame [A], usufruitière pour un quart, et d'autre part, que le droit d'usufruit ne s'éteignait qu'en l'absence d'acte de jouissance accompli soit par le titulaire soit de son chef soit en son nom, par un tiers (arrêt attaqué p. 2, dernier § et p. 3, § 2) ; que la Cour d'appel a cependant considéré que les actes de jouissance exercés par Monsieur [Q] lequel avait notamment fait construire quatre maisons sur le terrain indivis, ne pouvaient avoir eu pour effet de conserver le droit d'usufruit de Madame [A] (arrêt attaqué p. 3, § 8), au motif « (…) qu'il ne s'agit plus de la question de l'intérêt commun de l'indivision à l'égard d‘un éventuel fonds servant mais de l'intérêt individuel de chaque indivisaire dans ses rapports avec les autres» (arrêt attaqué p. 3, § 6) ; qu'en statuant ainsi cependant que le droit d'usufruit indivis ne pouvait être réduit au seul rapport existant entre ses cotitulaires, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des dispositions des articles 578, 617 et suivants du Code civil ;
ALORS QUE 2°) consistant en un droit réel de jouissance portant directement et immédiatement sur le fonds qui en est l'objet, le droit d'usufruit est conservé par tout acte de jouissance accompli par l'un des usufruitiers indivisaires; qu'il ressortait des propres constatations de la Cour d'appel, d'une part, que le droit d'usufruit ne s'éteignait qu'en l'absence d'acte de jouissance accompli soit par le titulaire soit de son chef soit en son nom, par un tiers (arrêt attaqué p. 3 § 2), et d'autre part, que Monsieur [Q] avait exercé des actes de jouissance en ayant notamment fait construire quatre maisons sur le terrain indivis (arrêt attaqué p. 3, § 8) ; que la Cour d'appel a cependant considéré que lesdits actes de jouissance ne pouvaient avoir eu pour effet de conserver le droit d'usufruit de Madame [A] (arrêt attaqué p. 3, § 8) au motif inopérant que l'article 815-3 du Code civil ne porterait que « sur la définition des pouvoirs d'un indivisaire pour engager ou non les autres indivisaires » (arrêt attaqué p. 3, § 6) ; qu'en statuant ainsi cependant que tout indivisaire est susceptible d'exercer un acte de jouissance interruptif de prescription à l'égard d'un autre indivisaire, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des dispositions des articles 578, 617, et 815-2 et suivants du Code civil.