LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° V 15-26. 758 et V 15-28. 322 qui sont formés contre le même arrêt ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 447 et 458 du code de procédure civile et L. 312-1 et L. 312-2 du code de l'organisation judiciaire ;
Attendu que, selon ces textes, il appartient aux juges devant lesquels l'affaire a été débattue d'en délibérer, sous peine de nullité du jugement ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par ordonnance du 10 janvier 2012, l'association Alexandra X...(l'association), présidée par M. Y..., a été désignée, en application de l'article L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle, en qualité de mandataire ad hoc chargé de la défense du droit moral du peintre Alexandra X...; qu'à la demande de M. Z..., propriétaire de tableaux attribués à cette dernière, l'ordonnance a été rétractée par arrêt du 25 juin 2013, devenu irrévocable par suite du rejet du pourvoi formé à son encontre (1re Civ., 18 décembre 2014, pourvoi n° 13-24. 808) ; qu'au cours de la procédure de rétractation et à la demande de M. Y...et de l'association, la désignation de celle-ci, ès qualités, a été prorogée pour une durée d'une année, par ordonnance du 9 janvier 2013 ; que M. Z...a assigné M. Y...et l'association en rétractation de cette décision ;
Attendu que l'arrêt énonce que l'affaire a été débattue le 4 juin 2015 devant Mme A..., chargée du rapport, qui a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de M. B..., président, Mme C..., conseillère, et Mme D..., conseillère ;
Qu'en procédant ainsi, alors que, si le registre d'audience et l'attestation du greffier produits aux débats permettent de confirmer que l'affaire a été débattue devant Mme A..., chargée du rapport, ils n'établissent pas, en revanche, que celle-ci en a délibéré ;
D'où il suit que l'arrêt est nul ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt n° RG 14/ 02114 rendu le 10 septembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. Z...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux novembre deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens identiques produits aux pourvois par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. Y...et l'association Alexandra X....
Le premier moyen de cassation fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rétracté l'ordonnance sur requête du 9 janvier 2013, d'avoir débouté M. Y...et l'association Alexandra X...de leur demande incidente d'inscription de faux, de les avoir condamnés aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. Z...la somme de 5. 000 € chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Après avoir énoncé :
« COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 juin 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mlle Mireille A..., Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Frédéric B..., président
Madame Evelyne C..., conseillère
Madame Michèle D..., conseillère
Qui en ont délibéré » (arrêt p. 1) ;
Alors, d'une part, qu'il appartient aux juges devant lesquels l'affaire a été débattue d'en délibérer ; qu'il s'ensuit que le magistrat chargé du rapport qui tient seul l'audience pour entendre les plaidoiries doit appartenir à la formation qui délibère ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que l'affaire a été débattue devant Madame Mireille A..., conseillère chargé du rapport, et que la cour était composée dans son délibéré par trois autres magistrats (Monsieur Frédéric B..., président, Madame Evelyne C..., conseillère, Madame Michèle D..., conseillère) ; qu'en l'état de ces mentions, la décision a été rendue par une formation de jugement ne comprenant pas le magistrat devant lequel l'affaire avait été plaidée, en violation des articles 447 et 458 du code de procédure civile ;
Alors, de seconde part, et à titre subsidiaire, que les arrêts des cours d'appel sont, à peine de nullité, rendus par des magistrats délibérant en nombre impair ; qu'en l'espèce, à supposer même que Madame Mireille A...ait participé au délibéré, la cour d'appel était alors composée du président et de trois conseillers, soit d'un nombre pair de magistrats ; qu'en se prononçant ainsi en méconnaissance de la règle de l'imparité, la cour a violé les articles 430, 447 et 458 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 121-2 et L. 312-1 du code de l'organisation judiciaire.
Le deuxième moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rétracté l'ordonnance sur requête rendue le 9 janvier 2013 ;
Aux motifs que « le délai d'un an de validité de l'ordonnance du 9 janvier 2013 est expiré à ce jour et qu'actuellement l'association Alexandra X...exerce en vertu d'une ordonnance du 14 janvier 2015 les fonctions de mandataire ad hoc chargé de défendre le droit moral d'Alexandra X...;
que cependant, cette circonstance ne prive pas Z...d'un intérêt à agir puisque celui-ci doit être apprécié au moment de l'engagement de l'action, effectué le 21 octobre 2013, et que la rétractation, si elle intervenait, aurait un effet rétroactif, de sorte que la désignation de l'association Alexandra X...comme mandataire ad hoc serait censée n'être jamais intervenue avec toutes les conséquences de droit sur la validité les actes qu'elle a pu accomplir dans l'année qui a suivie l'ordonnance sur requête ;
que toujours sur l'intérêt de M. Z...à agir en rétractation de l'ordonnance du 9 janvier 2013, il résulte des dispositions de l'article 496 du code de procédure civile, que s'il est fait droit à une requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance ;
que dans leur requête, et dans « le rapport moral et financier de l'association Alexandra X...pour l'année 2012 » produit en pièce n° 3, M. Y...et l'association Alexandra X...invoquaient « l'action engagée par Monsieur Z...» parmi les éléments justifiant, selon eux, de la nécessité de proroger l'ordonnance du 10 janvier 2012 ;
qu'ainsi M. Z...justifie d'un intérêt à contester une ordonnance accordant à cette association le droit de « poursuivre en justice toute personne susceptible de porter atteinte aux droits de l'artiste Alexandra X...», et ce notamment dans la perspective d'un procès, puisque si l'affaire pendante devant le juge d'instruction de Tours était renvoyée devant le tribunal correctionnel, celui-ci serait amené à réexaminer la question de la recevabilité de la constitution de partie civile de l'association Alexandra X..., les décisions prises sur ce point par les juridictions d'instruction n'ayant pas autorité de la chose jugée devant la juridiction de jugement ;
qu'il en résulte que M. Z..., qui agit non pas dans le but de se substituer à l'association Alexandra X...pour défendre le droit moral d'Alexandra X..., mais dans but de sauvegarder ses propres droits de propriétaire des tableaux dont la valeur dépend de leur authentification, est au sens de l'article 496 du code de procédure civile, une personne directement intéressée à la rétractation de l'ordonnance sur requête, et qu'il est donc recevable à agir » (arrêt p. 4 et 5) ;
Alors que le défaut d'intérêt entraine l'irrecevabilité de la demande ; que le propriétaire d'une oeuvre n'a pas d'intérêt légitime à s'opposer à la désignation d'un mandataire ad hoc pour défendre le droit moral de l'auteur de cette oeuvre en l'absence d'héritier connu, de vacance ou de déshérence, s'il n'agit pas dans le but d'être désigné à cette fin ; qu'en l'espèce, la cour a retenu que M. Z..., propriétaire de plusieurs oeuvres attribuées à Alexandra X...dont l'authenticité était contestée, avait intérêt à s'opposer à la désignation de l'association Alexandra X...comme mandataire ad hoc pour défendre le droit moral d'Alexandra X...; qu'elle a également relevé que M. Z...n'agissait pas dans le but se substituer à l'association Alexandra X...pour défendre le droit moral d'Alexandra X...; qu'en décidant néanmoins qu'il avait intérêt à la rétractation de l'ordonnance ayant désigné l'association comme mandataire ad hoc, aux motifs inopérants qu'il contestait la recevabilité de la constitution de partie civile de cette association dans le cadre d'une procédure pénale et que la valeur de ses oeuvres dépendait de leur authentification, la cour d'appel a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile, et L. 121-3 du code de la propriété intellectuelle.
Le troisième moyen de cassation, subsidiaire, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rétracté l'ordonnance sur requête rendue le 9 janvier 2013 ;
Aux motifs que « la cour statuant sur l'appel d'une ordonnance de référé-rétractation, se trouve investie des attributions du juge qui l'a rendue et qu'elle doit donc rechercher si les conditions des articles 693 (sic) et suivants et de l'article 812 du code de procédure civile étaient réunies à la date où l'ordonnance sur requête a été rendue, étant précisé que l'instauration d'un débat contradictoire devant le juge de la rétractation ne permet aucunement de régulariser une mesure prise sur requête s'il s'avère qu'elle aurait dû être prise en référé sur assignation ;
que, contrairement aux mesures d'instructions décidées avant tout procès en application de l'article 145 du code de procédure civile, les mesures sollicitées sur le fondement de l'article 812 doivent être urgentes et qu'il incombe alors au requérant de justifier une telle urgence et au juge des requêtes de la constater ;
que cependant ni la requête du 7 janvier 2013, ni l'ordonnance du 9 janvier 2013 n'exposaient d'éléments concrets dont il aurait résulté que la mesure dût être exécutée incessamment, sans le moindre atermoiement ;
qu'en effet, les pièces produites avec la requête se rapportaient d'abord aux activités de M. Y..., à ses relations avec le légataire d'Alexandra X..., aux activités de l'association Alexandra X...et à ses interventions pour défendre l'oeuvre de cette artiste ;
qu'en outre, la requête et d'autres pièces annexées faisaient état des affaires judiciaires dans lesquelles l'association Alexandra X...et M. Z...étaient parties, affaires déjà en cours au 7 janvier 2013, notamment l'information judiciaire à Tours et les procédures de référé-rétractation contre les ordonnances des 10 janvier 2012 ;
que cependant, il ne ressort pas de ces documents que l'association Alexandra X...devait accomplir en urgence un quelconque acte dans le cadre de l'une ou l'autre de ces instances, ni engager en urgence une nouvelle action en justice ;
qu'en outre, les pièces produites en annexe à la requête ne concernaient que deux tableaux suspectés de faux par l'association Alexandra X..., l'un reproduit dans un ouvrage édité par Gallimard, l'autre exposé en Allemagne, et que les échanges de correspondances qui s'y rapportaient étaient datés d'avril à juillet 2012, et qu'ainsi l'association Alexandra X...avait une parfaite connaissance de ces faits six mois avant de déposer sa requête, ce qui est loin d'une situation d'urgence ;
que de même M. Y...et l'association Alexandra X...n'ont produit avec leur requête aucun document montrant l'urgence de « la nécessité de recourir à un emprunt » pour faire face aux dépenses nécessaires à la défense du droit moral d'Alexandra X...et qu'enfin rien ne permettrait de justifier de ce que « l'enrichissement et la documentation relative à l'artiste » et le « recours à des tests techniques sur des oeuvres authentiques » étaient des tâches qui devaient être entreprises dans l'urgence ; qu'en conséquence, cette condition d'urgence exigée par l'article 812 du code de procédure civile n'est pas avérée ;
Que par ailleurs, M. Z...prétend devant la cour, et pour la première fois, qu'il n'est pas établi que les circonstances exigeaient que cette ordonnance ne fût pas prise contradictoirement ;
qu'il s'agit non pas d'une demande nouvelle, mais d'un moyen nouveau que M. Z...pouvait invoquer pour justifier en appel les prétentions qu'il avait soumises au premier juge et qu'en toute hypothèse, que ce soit demandé ou non par une partie, il appartient à la cour d'appel investie des mêmes attributions que l'auteur de l'ordonnance, de vérifier d'office si, au vu des énonciations de la requête et de l'ordonnance, il était justifié de déroger au principe de la contradiction, cette vérification devant être effectuée en se fondant sur les seuls motifs de la requête et sur les pièces produites à son soutien ;
que ni la requête, ni l'ordonnance ne mentionnent un quelconque motif qui imposait de déroger au contradictoire ;
que le seul fait que des actions en justice impliquant M. Z...fussent alors en cours était insusceptible de justifier que cette demande de désignation d'un mandataire ad hoc soit examinée à l'insu de M. Z..., et que de même, la circonstance selon laquelle l'association Alexandra X...était la seule à prétendre remplir cette mission, n'était pas de nature à fonder le recours à une procédure sur requête ;
qu'enfin, les éléments exposés dans la requête et dans la décision du 9 janvier 2013 ne permettaient de constater que le respect d'une procédure contradictoire aurait compromis l'efficacité de la mesure sollicitée et qu'un effet de surprise était nécessaire ;
qu'en définitive, la condition prescrite par l'article 493 du code de procédure civile n'est pas constituée et il convient d'infirmer la décision entreprise et de rétracter l'ordonnance du 9 janvier 2013 sans qu'il y ait lieu de procéder à aucune autre recherche, ni à statuer sur les mérites de la requête du 7 janvier 2013 qui ne pouvait saisir régulièrement le juge » (arrêt p. 5 et 6) ;
Alors, d'une part, qu'en l'absence d'héritier connu, de vacance ou de déshérence et en l'absence de mandataire ad hoc désigné ou de candidat connu pour cette fonction, la personne qui entend solliciter sa désignation en qualité de mandataire ad hoc pour défendre le droit moral d'un auteur décédé n'est en présence d'aucun adversaire susceptible d'être attrait à une procédure contradictoire, et peut donc obtenir sa désignation par voie de requête ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé, de première part, qu'Alexandra X...était décédée sans héritier connu, de seconde part, que l'association Alexandra X...était seule à prétendre remplir la mission de mandataire ad hoc pour défendre le droit moral d'Alexandra X..., M. Z...n'agissant pas dans le but de se substituer à elle pour remplir ce rôle ; qu'en retenant néanmoins, pour juger que la requête ne pouvait valablement saisir le juge, que ni cette requête ni l'ordonnance ne mentionnait un quelconque motif qui imposait de déroger au contradictoire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles 16, 493 et 812 aliéna 2 du code de procédure civile ;
Alors, d'autre part, que l'ordonnance rendue au visa de la requête faisant corps avec celle-ci en adopte nécessairement les motifs ; qu'il ressortait de la requête que l'association Alexandra X...demandait le renouvellement de sa désignation dans les quelques jours précédant l'expiration de la période d'un an pour laquelle la précédente désignation avait été ordonnée ; qu'en ne recherchant pas si cette circonstance ne caractérisait pas l'urgence à renouveler la désignation de l'association afin d'éviter toute vacance dans la défense du droit moral d'Alexandra X..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 812, alinéa 2, du code de procédure civile.