LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 13 octobre 2016), que la société civile de construction vente ING Les Terrasses d'Armagnac, ayant souscrit une police "tous risques chantier" auprès de la société Aviva assurances (Aviva), a confié la réalisation des travaux de construction d'un groupe d'immeubles, en qualité d'entreprise générale, à la société Eiffage construction Nord Aquitaine (Eiffage), qui a sous-traité les travaux de pose de pieux à la société Franki fondation, assurée en responsabilité décennale auprès de la SMABTP, et le lot terrassement à la société Pyrénées services industrie (PSI), assurée auprès de la société GAN ; que la société PSI a sous-traité les travaux de décapage des terrains et de recépage des têtes de pieux à la société Bordeaux démolition services (BDS), assurée en responsabilité décennale auprès de la société Sagena ; que, des contrôles ayant révélé la non-conformité de quarante et un pieux, la société Franki fondation a commandé à la société Temsol Atlantique des travaux de renforcement des pieux défectueux ; que la société Eiffage a déclaré le sinistre à la société Aviva, qui a confié une expertise au cabinet Eurisk et a assigné en indemnisation les sociétés Aviva et Franki fondation et l'assureur de celle-ci ; que la société Franki fondation a appelé en garantie les sociétés PSI et BDS et leurs assureurs ;
Attendu que la société Eiffage fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Franki fondation les sommes de 133 279 euros HT, soit 159 993,80 euros TTC, au titre des travaux de réparation réglés à la société Temsol et celle de 77 419,47 euros TTC au titre du solde de son marché ;
Mais attendu qu'ayant relevé qu'aucune des parties ne remettait en cause les conclusions du rapport d'expertise amiable, diligentée à la demande de la société Aviva, dont les opérations s'étaient déroulées au contradictoire de toutes les parties et souverainement retenu que les désordres n'étaient pas imputables à l'intervention de la société Franki fondation mais que le sinistre était dû aux opérations de terrassement réalisées après son intervention, la cour d'appel a exactement déduit de ces seuls motifs que les demandes indemnitaires formulées par la société Eiffage à l'encontre de la société Franki fondation ne pouvaient être accueillies ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Eiffage constructions Nord Aquitaine aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Eiffage constructions Nord Aquitaine à payer à la société Franki fondation la somme de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mars deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la société Eiffage constructions Nord Aquitaine
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Eiffage à payer à la société Franki Fondation les sommes de 133.279 € HT, soit 159.993,80 € TTC, au titre des travaux réparatoires réglés à la société Temsol et la somme de 77.419,47 € TTC au titre du solde de son marché,
AUX MOTIFS QUE
« Modifiant devant la cour le montant de ses demandes, la société Eiffage sollicite la condamnation de la société Franki Fondation à lui payer les sommes suivantes :
- Au titre des coûts directs : 176.297,00 € HT,
- Au titre du chiffre d'affaires perdu : 1.563.354,00 € HT,
- Au titre de la perte de productivité : 1.342.653,00 € HT.
Cette demande, qui ne peut aboutir que si la responsabilité de la société Franki Fondation dans le sinistre est retenue, doit conduire à se prononcer sur l'imputabilité des dommages.
Selon les pièces versées aux débats, les interventions litigieuses se sont déroulées selon la chronologie suivante :
- Réalisation des pieux par la société Franki Fondation entre le 16 septembre et le 15 octobre 2010, prestation comprenant un prérecépage chimique préparant l'intervention de PSI (ou BDS) ;
- Travaux de terrassement réalisés par les sociétés PSI et BDS entre le 10 octobre et le 5 novembre 2010 (gymnase) et entre le 8 novembre et le 10 décembre 2010 (parkings), prestation comprenant notamment l'enlèvement des têtes de pieux recépées ;
- Pose des micropieux par la société Temsol mandatée par la société Franki Fondation entre le 4 décembre 2010 et le 4 février 2011.
Le cabinet Eurisk, mandaté par la compagnie Aviva, se basant notamment sur les enregistrements de paramètres et le reportage photographique d'une tête de pieux cassée réalisés par la société Rincent BTP, a conclu en ces termes :
- Aucune malfaçon généralisée n'a été décelée dans l'exécution des pieux ;
- Les bris de pieux résultent d'efforts latéraux – cf la très faible proportion de pieux armés cassés, qui résistent beaucoup mieux à ce type d'effort ;
- Les ruptures ne résultent pas du phasage des terrassements – si tel avait été le cas, les profondeurs de rupture seraient localisées au droit du changement de facies – or les cassures sont majoritairement situées à une faible profondeur pour les pieux de plus petit diamètre, ce qui confirme que des efforts latéraux produits par des chocs sont à l'origine des désordres ;
- Ces efforts latéraux ne peuvent pas résulter d'un non-respect de la procédure de recépage ni de chocs directs sur les fûts des pieux sous la côte de recépage pendant la phase de terrassement exécuté par les sociétés PSI et BDS dans la mesure où le niveau de terrassement est supérieur à la côte de recépage et que le bon fonctionnement, constaté par l'expert, du procédé « recépieux » exclut toute transmission d'efforts horizontaux par des chocs sur la partie au-dessus de la cote de recépage ;
- En conclusion, les cassures des pieux ne peuvent plus résulter que de chocs provoqués par des engins de chantier qui ont effectué les terrassements nécessaires pour dégager les têtes de pieux après recépage afin que le gros oeuvre puisse réaliser les casques et/ou par les travaux de gros oeuvre eux-mêmes réalisés dans l'encombrement des têtes de pieux.
Il importe de relever qu'aucune des parties ne remet en cause les conclusions de ce rapport d'expertise, mesure diligentée à la demande d'Aviva, et dont les opérations se sont déroulées au contradictoire de toutes les parties.
Ces conclusions ne permettent ni de retenir la responsabilité de la société Franki Fondation, ni celle des sociétés BDS et PSI.
La société Franki Fondation a conclu avec la société Eiffage un contrat de sous-traitance portant sur des travaux de fondations profondes, les prestations dues consistant dans l'implantation sur le site et le recollement de l'ensemble des pieux nécessaires à la fondation des bâtiments, comprenant le prérecépage chimique des pieux par le système « recépieux » pour les pieux du parking et du gymnase et le prérecépage sur béton frais pour les autres pieux, à l'exclusion expresse de toute prestation de recépage et de terrassement.
L'article 1147 du code civil dispose : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
Il est constant que la société Franki Fondation était tenue d'une obligation de résultat quant au procédé de prérecépage chimique. Cependant, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les conclusions de l'expert, qui a validé le procédé recépieux utilisé et a relevé qu'il n'y avait aucune casse sur les zones non terrassées, conduisent légitimement la société Franki Fondation à la fois à dénier toute responsabilité directe et à invoquer une cause étrangère. C'est à bon droit qu'elle fait valoir que l'obligation de résultat à laquelle elle est tenue ne suffit pas à engager sa responsabilité. Encore faut-il démontrer que les désordres sont imputables à son intervention, et survenus dans le temps de son intervention. Une telle preuve n'est pas rapportée en l'espèce. Dès lors qu'il est établi qu'elle a réalisé des prestations conformes à ses engagements, et n'a joué aucun rôle dans la survenance du sinistre, dû aux opérations de terrassement réalisées après son intervention et hors de sa responsabilité, elle est fondée à invoquer une cause étrangère exonératoire telle que prévue par l'article 1147 du code civil.
Il y a lieu en conséquence de rejeter les demandes indemnitaires formulées par l'appelante à son encontre. Le jugement, qui a débouté la société Eiffage de ses demandes bien que pour d'autres motifs, sera confirmé sur ce point.
Il le sera aussi en ce qu'il a mis hors de cause les sociétés BDS et PSI (sous-traitants de la société Eiffage pour le lot de décapage du terrain, recépage des têtes de pieux et terrassement), la preuve n'étant pas pour autant rapportée de la faute ces sociétés compte tenu des conclusions de l'expert qui a estimé que « les désordres ne pouvaient pas non plus résulter d'un non-respect de la procédure de recépage ni de chocs directs sur les fûts des pieux sous la côte de recépage pendant la phase de terrassement exécuté par les sociétés PSI et BDS.
Il résulte de la conclusion générale de l'expert, qui met en cause les nombreux engins de chantier qui ont effectué des travaux de terrassement d'approvisionnement, de fondations profondes et de gros oeuvre (ce qui peut concerner aussi bien les sociétés PSI et BDS que la société Eiffage elle-même), que la cause exacte du sinistre n'est pas établie, ce qui revient à considérer que les dommages ont une cause accidentelle atteignant l'ouvrage de manière fortuite et soudaine, ce qui constitue le fondement même de la garantie Tous Risques Chantier souscrite auprès de la compagnie Aviva Assurances qui est dès lors acquise sans qu'il puisse être retenu, comme le soutient l'assureur, que le nombre de peux cassés (41 sur 300) révèle une négligence de la part des locateurs d'ouvrage qui justifie son refus de garantie »,
ALORS QUE le sous-traitant est contractuellement tenu envers l'entrepreneur principal d'une obligation de résultat dont il ne peut s'exonérer que par la preuve d'une cause étrangère de sorte qu'en énonçant que l'obligation de résultat à laquelle était tenue la société Franki Fondation, sous-traitante de la société Eiffage, ne suffisait pas à engager sa responsabilité et qu'il fallait encore démontrer que les désordres étaient imputables à son intervention, et survenus dans le temps de son intervention, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016,
ALORS QUE le sous-traitant est contractuellement tenu envers l'entrepreneur principal d'une obligation de résultat dont il ne peut s'exonérer que par la preuve d'une cause étrangère de sorte qu'en énonçant que la société Eiffage était tenue de démontrer que les désordres étaient imputables à l'intervention de sa sous-traitante, la société Franki Fondation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016,
ALORS QUE la cause étrangère ou la force majeure susceptible d'exonérer de sa responsabilité le contractant tenu d'une obligation de résultat doit présenter des caractères d'irrésistibilité, imprévisibilité et extériorité si bien qu'en énonçant que la société Franki Fondation était fondé à invoquer une cause étrangère exonératoire constituée par les opérations de terrassement réalisées après son intervention et hors de sa responsabilité sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée dans par la société Eiffage dans ses conclusions d'appel (p. 25-26, notamment), si cet événement était imprévisible et irrésistible pour la société sous-traitante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
ALORS QUE les juges du fond sont tenus de motiver leur décision, la contradiction de motifs équivalant à un défaut de motifs de sorte qu'en énonçant tout à la fois que le sinistre était dû aux opérations de terrassement réalisées après l'intervention de la société Franki Fondation, et que la cause exacte du sinistre n'était pas établie, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS ENFIN QUE les juges du fond ne sont pas autorisés à se fonder exclusivement sur une expertise privée réalisée à la demande de l'une des parties si bien qu'en se fondant exclusivement sur le rapport réalisé par le cabinet Eurisk, réalisé de manière amiable à la demande de la compagnie Aviva, pour considérer que le sinistre était dû aux opérations de terrassement réalisées après l'intervention de la société Franki Fondation, la cour d'appel a violé les articles 16 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.