LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Brenguier développement (l'acheteur), ayant pour objet social la location de bateaux, a acquis, le 1er juin 2006, auprès de la société Yachting conseil (le vendeur) qui l'avait elle-même acquis de la société croate Spectator Solis, un navire de plaisance, dénommé « Coco II », construit par la société anglaise Princess Yachts International et équipé de deux moteurs fabriqués par la société allemande Man Nutzfahrzeuge (la société Man) ; que l'un des moteurs ayant présenté des désordres persistants qui devaient conduire à son remplacement, l'acheteur a, le 11 octobre 2006, assigné, après expertise, le vendeur en indemnisation, lequel a appelé en garantie son assureur, le constructeur du navire et le fabricant du moteur ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 31 et 32 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) ;
Attendu que, selon ces textes, le règlement, à l'exception de l'article 29, s'applique aux faits générateurs de dommages survenus après son entrée en vigueur le 11 janvier 2009 ;
Attendu que, pour écarter l'application de la loi allemande revendiquée par la société Man, l'arrêt retient que l'action engagée à l'encontre de celle-ci est soumise au droit français en application du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le fait générateur du dommage était survenu en 2006, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur les deuxième et troisième moyens :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation prononcée sur la première branche du premier moyen entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs du dispositif écartant, par application de la loi française, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en garantie dirigée contre la société Man et condamnant celle-ci à payer à la société Yachting conseil le montant de la franchise restée à sa charge ;
Et attendu qu'il y a lieu de mettre hors de cause, sur leur demande, la société Brenguier développement et la société Princess Yachts International dont la présence devant la cour d'appel de renvoi n'est pas nécessaire à la solution du litige ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la loi française applicable au litige, rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Man, condamne la société Man à relever et garantir la société Yachting conseil de la somme de 55 860 euros, outre les intérêts, et la société Generali IARD de la somme de 12 764 euros versée à la société Yachting conseil, outre les intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2007, sous déduction de la franchise de 1 276 euros, condamne la société Man à payer à la société Yachting conseil le montant de la franchise restée à sa charge soit la somme de 1 276 euros, condamne la société Man à verser à la société Yachting conseil une somme de 4 000 euros et à la société Generali une somme de 4 000 euros, et condamne la société Man aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 19 mai 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Met hors de cause la société Brenguier développement et la société Princess Yachts International ;
Condamne la société Yachting conseil et la société Generali IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Brenguier développement la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat aux Conseils, pour la société Man Truck et Bus AG
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la loi française applicable au présent litige ;
AUX MOTIFS QU'il est constant que le navire qui était neuf a été acquis le 1er juin 2006 et que les fuites d'huile moteur ont été constatées peu après l'achat ; que la société DB PLAISANCE a procédé à deux interventions, début juillet et fin août 2006, puis le navire a été mis sur cale le 21 septembre 2006 ; que le 24 octobre 2006, l'importateur français des moteurs marins MAN, la société NANNI INDUSTRIES, a établi un « damage report » ou rapport d'avarie, concernant ladite fuite d'huile sur le moteur bâbord n° 630 0764 223 0201, qui comptabilisait alors environ 400 heures de fonctionnement ; que le 9 novembre 2006, le moteur a été rapatrié en Allemagne, où il a été réceptionné par la société MAN le 24 novembre 2006, selon la fiche de réception du moteur, puis a été renvoyé en France le 18 janvier 2007 et remis en service auprès de BRENGUIER DEVELOPPEMENT le 31 janvier 2007 ; qu'il n'est pas contesté que depuis cette date le navire fonctionne normalement (arrêt p. 6) [
] ; qu'il convient de rappeler que la société PRINCESS YACHTS, constructeur de navires, a conçu un bateau de type PRINCESS 61 en janvier 2005 qu'elle a équipé de 2 moteurs provenant de la société MAN et auxquels était attachée une garantie dite GOLD pour une durée de 5 ans ; que la société YACHTING CONSEIL a acquis ledit navire auprès de la société SPECTATOR SOLIS, société de droit croate, le 30 mai 2006 ; que le contrat de vente passé entre la société PRINCESS YACHTS et la société MAN relatif aux moteurs prévoyait que celui-ci était soumis au droit allemand ; que la société MAN n'établit pas l'existence d'un lien contractuel entre elle et la société YACHTING CONSEIL ni de son acceptation de la clause de compétence résultant de la convention passée entre la société PRINCESS YACHTS et la société MAN ; que dans le cadre d'une chaîne internationale de contrats, la clause attributive de compétence incluse dans le contrat passé entre deux vendeurs de la chaîne n'est pas opposable au sous-acquéreur, s'il n'est pas démontré que ce tiers a eu connaissance et a accepté la clause lors de la formation du contrat ; que l'action engagée envers la société MAN est soumise au droit français en application du règlement CE n° 864/2007 du 11 juillet 2007 (arrêt pp. 8-9) ;
1°) ALORS QUE le règlement n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles n'est applicable qu'aux faits générateurs de dommages survenus à partir du 11 janvier 2009 ; qu'en faisant application dudit règlement pour retenir la compétence de la loi française, tout en constatant que les désordres ayant affecté le moteur du navire, générateurs des dommages invoqués, étaient survenus avant le 11 janvier 2009, la cour d'appel a violé les articles 31 et 32 du règlement susvisé ;
2°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en déclarant la loi française compétente sur le fondement du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sans inviter les parties, qui n'avaient pas invoqué ce règlement, à s'expliquer sur son application au litige, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE seules les règles de conflit de lois doivent être mises en oeuvre pour déterminer la loi compétente ; qu'en retenant que dans le cadre d'une chaîne internationale de contrats, la clause attributive de compétence incluse dans le contrat passé entre deux vendeurs de la chaîne n'est pas opposable au sous-acquéreur, s'il n'est pas démontré que ce tiers a eu connaissance et a accepté la clause lors de la formation du contrat, et que la société Man n'établissait pas l'acceptation par la société Yachting Conseil de la clause de compétence résultant de la convention passée avec la société Princess Yachts, la cour d'appel, qui a fait application des règles de conflit de juridictions pour déterminer la loi applicable, a violé l'article 23 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, ensemble l'article 3 du code civil et les principes généraux du droit international privé ;
4°) ALORS QU'il incombe au juge français saisi d'une demande d'application d'un droit étranger de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit ; qu'en déclarant la loi française applicable sur le fondement du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sans mieux s'expliquer sur la règle de conflit mise en oeuvre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Man ;
AUX MOTIFS QUE la SAS BRENGUIER DEVELOPPEMENT, qui a notamment pour objet social la location de bateaux, a fait l'acquisition le 1er juin 2006 auprès de la SARL YACHTING CONSEIL d'un navire dénommé PRINCESS 61 moyennant un prix TTC de 707 600 € ; que ce navire a été fabriqué par la société PRINCESS YACHTS INTERNATIONAL, société de droit anglais ; que la société MAN NUTZFAHRZEUGE AKTIENGESELLSCHAFT (société MAN) est le constructeur du moteur du navire (arrêt p. 3, §§ 1-3) ; [
] qu'il convient de rappeler que la société PRINCESS YACHTS, constructeur de navires, a conçu un bateau de type PRINCESS 61 en janvier 2005 qu'elle a équipé de 2 moteurs provenant de la société MAN et auxquels était attachée une garantie dite GOLD pour une durée de 5 ans ; que la société YACHTING CONSEIL a acquis ledit navire auprès de la société SPECTATOR SOLIS, société de droit croate, le 30 mai 2006 ; que le contrat de vente passé entre la société PRINCESS YACHTS et la société MAN relatif aux moteurs prévoyait que celui-ci était soumis au droit allemand (arrêt pp. 8-9) ; [
] que l'action engagée envers la société MAN est soumise au droit français en application du règlement CE n° 864/2007 du 11 juillet 2007 ; que le contrat de vente de navire n'est pas envisagé par le droit maritime si ce n'est au regard des exigences de forme (art. L. 5114-1) ; qu'il relève donc du droit commun de la vente ; qu'en cas de garantie des vices, qui s'apprécie aussi dans les termes du droit commun, l'action en réparation du préjudice subi par l'acheteur est considérée comme autonome ; que la société MAN est donc infondée à se prévaloir de la prescription de l'article L. 5113-5 du code des transports qui ne vise pas le fabricant de moteur de navire ; que l'expert ayant relevé que les désordres dont était affecté le navire provenait d'un vice de l'un des moteurs, par décision du 19 décembre 2007, ses opérations ont été étendues à la société MAN, laquelle ne peut invoquer la prescription de l'article 1648 alinéa 1 du code civil, étant rappelé que la société MAN a été assignée au fond le 3 mai 2007 (arrêt p. 9, §§ 5-8) ;
1°) ALORS QUE la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera, par voie de conséquence, l'annulation de la disposition critiquée, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE la prescription annale prévue par l'article 8 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires, devenu l'article L. 5113-5 du code des transports, est applicable aux demandes en garantie formées à l'encontre des fournisseurs, parmi lesquels figure le fabricant des moteurs du navire ; qu'en jugeant le contraire et en déclarant la société Man, qui avait fourni le moteur litigieux à la société Princess Yachts, constructeur du navire, le droit de se prévaloir de ce délai de prescription, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
3°) ALORS QU'en retenant que le contrat de vente de navire relève du droit commun de la vente et qu'en cas de garantie des vices, l'action en réparation du préjudice subi par l'acheteur est considérée comme autonome, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à exclure l'application du délai de prescription annal prévu par l'article 8 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967, devenu l'article L. 5113-5 du code des transports, a privé sa décision de base légale au regard de ces dispositions.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Man à relever et garantir : - la société Yachting Conseil de la somme de 55.860 €, outre les intérêts ; - la société Generali de la somme de 12.764 € versée à la société Yachting Conseil outre les intérêts aux taux légal à compter du 31 janvier 2007 sous déduction de la franchise de 1.276 €, et de l'avoir condamnée à payer à la société Yachting Conseil le montant de la franchise restée à sa charge, soit la somme de 1.276 € ;
AUX MOTIFS QUE la responsabilité de la société MAN, à laquelle est imputable le vice caché dont était affecté l'un des moteurs du navire de la société BRENGUIER DEVELOPPEMENT, est retenue et elle doit être condamnée à relever et garantir la société YACHTING CONSEIL et la société GENERALI des condamnations prononcées à leur encontre ; que le jugement attaqué est confirmé en ce qu'il a condamné la société YACHTING CONSEIL à payer à la SA BRENGUIER DEVELOPPEMENT le préjudice direct et indirect subi par elle, et sur les condamnations prononcées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et infirmé pour le surplus ; qu'il convient de relever que la société YACHTING CONSEIL a demandé la confirmation du jugement qui a condamné la société MAN à la relever et garantir uniquement de la somme de 55.860 euros outre les intérêts ; que la société MAN devra aussi relever et garantir la société YACHTING CONSEIL du montant de la franchise restée à charge soit 1276 euros ; que la société MAN devra donc relever et garantir : - la société YACHTING CONSEIL pour la somme de 55.860 euros avec les intérêts, outre la somme de 1276 euros, - la société GENERALI de la somme de 12.764 euros versée à la société YACHTING CONSEIL sous déduction de la franchise de 1276 euros (arrêt p. 9, §§ 9-12) ;
1°) ALORS QUE la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera, par voie de conséquence, l'annulation des dispositions critiquées, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE la cassation à intervenir sur le deuxième moyen entraînera, par voie de conséquence, l'annulation des dispositions critiquées, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
3°) ALORS, en toute hypothèse, QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en condamnant la société Man à payer à la société Yachting Conseil le montant de la franchise restée à sa charge, sans que cette dernière ait formé de demande en ce sens, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.