LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 juin 2016), qu'à la suite de la plainte pour viol déposée le 22 mai 2004 par Mme X..., classée sans suite le 28 janvier 2005, puis de l'ordonnance de non-lieu rendue le 19 mai 2006 par le juge d'instruction sur sa constitution de partie civile du 28 octobre 2005 et du second classement sans suite intervenu le 3 mai 2011 après la réouverture de l'enquête par le procureur de la République au mois d'avril précédent, Mme X..., invoquant un fonctionnement défectueux du service public de la justice, a assigné en responsabilité l'Agent judiciaire de l'Etat et le garde des sceaux les 26 et 27 novembre 2012 ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le second moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :
1°/ que l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ; que cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ; que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; que le fait, lorsqu'une plainte a été déposée pour viol et des prélèvements de matériel génétique effectués, de refuser toute analyse de ces prélèvements, tant dans le cadre de l'enquête préliminaire diligentée sur plainte simple que de l'instruction ouverte ensuite sur la constitution de partie civile de la victime, constitue une faute lourde que l'exercice d'éventuelles voies de recours ne peut réparer ; qu'en jugeant néanmoins que l'Etat n'était pas responsable, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat en application de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ne peut être appréciée que dans la mesure où les voies de recours n'ont pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué ; que la possibilité d'exercer les voies de recours doit être appréciée concrètement, en prenant en considération la nature de l'affaire et les capacités matérielles et morales de la personne concernée à exercer ces voies de recours ; qu'en se bornant à considérer pour exclure la faute lourde du service public de la justice, que Mme X... n'avait pas relevé appel de l'ordonnance de non-lieu, la cour d'appel a violé les articles L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que Mme X... versait aux débats le recours qu'elle avait formé en date du 18 mai 2011, auprès du procureur général, contre la décision de classement sans suite en date du 3 mai 2011 ; qu'en énonçant néanmoins que « surtout, Mme X... n'a pas davantage usé après la décision de classement sans suite du 3 mai 2011 des voies de recours en sa possession en application de l'article 40-3 du code de procédure pénale », la cour d'appel a dénaturé par omission cette pièce et violé l'article 1103 du code civil ;
Mais attendu, d'abord, que l'arrêt, qui ne dit pas que les services enquêteurs auraient refusé toute analyse des prélèvements de matériel génétique effectués, retient que, bien que requise par le procureur de la République, l'expertise biologique n'a pu avoir lieu, Mme X... ayant refusé de se soumettre à un prélèvement génétique, que le laboratoire considérait comme indispensable, pour des raisons scientifiques, à ses travaux d'analyse et de recherche ; qu'il ajoute qu'en tout état de cause, l'impossibilité technique invoquée par l'expert ne relèverait pas de la responsabilité de l'Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que l'absence d'examen génétique, avant l'information judiciaire ouverte en 2014, ne présentait aucun caractère fautif imputable aux services enquêteurs ;
Attendu, ensuite, que l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne pouvant être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué, la cour d'appel, qui a constaté que Mme X... n'avait pas interjeté appel de l'ordonnance de non-lieu du 19 mai 2006, et estimé que les attestations produites n'établissaient pas la preuve des menaces alléguées émanant de l'autorité judiciaire ou des services d'enquête, en a souverainement déduit que l'intéressée, qui n'avait pas épuisé les voies de recours, ne démontrait pas la faute lourde antérieure à la décision de non-lieu ;
Attendu, enfin, que la troisième branche, qui s'attache au motif surabondant relatif à l'absence de recours de Mme X... contre le classement sans suite du 3 mai 2011, est inopérant ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande d'annulation du jugement ;
AUX MOTIFS QUE la décision du tribunal rejetant la demande de rabat de l'ordonnance de clôture et la production de deux pièces supplémentaires n'a pas violé le principe du contradictoire dès lors que Mme X... ne justifie pas ne pas avoir pu produire les deux pièces litigieuses dans le délai d'un mois courant entre les conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 5 novembre 2013 et la clôture prononcée le 3 décembre suivant, ni d'avoir sollicité son report aux fins de produire les dites pièces de sorte que tant le principe du contradictoire que le droit à un procès équitable ont été respectés par le tribunal qui a estimé à juste titre qu'aucune cause grave au sens de l'article 784 du code de procédure civile ne justifiait la révocation sollicitée tardivement le 23 janvier 2014 ;
ALORS QUE la cause grave susceptible de justifier le rabat de l'ordonnance de clôture doit s'apprécier concrètement, au regard des circonstances de l'espèce et des capacités matérielles et morales des parties en présence ; que dans ses écritures d'appel, Mme X... faisait valoir (p. 8), qu'elle vivait en Polynésie à plus de 20 000 kms de ses conseils, et que son affaire était particulièrement complexe ; qu'en omettant de s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 16 du code de procédure civile et 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de Mme X... tendant à l'indemnisation du préjudice lui ayant été causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ;
AUX MOTIFS QUE Mme X... soutient que l'inactivité des magistrats et celle des services de gendarmerie sont constitutives d'un déni de justice et que ces mêmes magistrats et services de gendarmerie ont commis une série de dysfonctionnements graves caractérisant une faute lourde ; QUE l'appelante qui invoque un classement sans suite de sa plainte et une ordonnance de non-lieu intervenus de façon intempestive fait valoir en réalité des carences et négligences qui relèvent de l'appréciation de l'existence d'une faute lourde et ne verse aux débats aucun élément de preuve à l'appui de l'inactivité du service public de la justice qu'elle allègue ; QU'au soutien de l'existence d'une faute lourde Mme X... invoque : - un classement sans suite prématuré alors que certains éléments (sperme, sang) permettaient une recherche ADN de nature à identifier son agresseur dont elle avait donné une description très précise ; - une ordonnance de non-lieu rendue de manière trop rapide sans mise en oeuvre par la justice de véritables investigations et dont elle n'a pas relevé appel en raison de problèmes de santé consécutifs aux menaces de l'autorité judiciaire et des services d'enquête dont elle a été victime ; - l'absence de confrontation avec la personne qu'elle suspectait, cousin d'un gendarme chargé de l'enquête et ami proche des précédents occupants de la maison ; - le non-usage des prélèvements réalisés au moment des faits ; - la réouverture éclair de l'enquête en 2011 clôturée moins d'un mois plus tard ; QU'elle fait valoir enfin que l'ouverture d'une nouvelle information judiciaire en novembre 2014 qui s'est terminée par une ordonnance de non-lieu rendue le 9 octobre 2015, confirmée par la chambre de l'instruction par une décision du 9 février 2016 qui critique l'enquête préliminaire et l'absence d'exploitation rapide de l'ADN objet des scellés confirment les dysfonctionnements graves du service public de la justice dont elle demande la réparation ; QUE Mme X... n'a pas interjeté appel de l'ordonnance de non-lieu rendue le 19 mai 2006 pour des raisons qui lui sont propres et dont elle échoue à démontrer qu'elles sont imputables au service public de la justice puisque les cinq attestations produites et notamment celle de Mme Florence Z... rédigée le 20 octobre 2014, qui procèdent par affirmations sans énoncer les faits précis dont leurs rédacteurs auraient été les témoins, n'établissent pas la preuve des menaces émanant de l'autorité judiciaire ou des services d'enquête dont elle aurait été victime ; QU'en conséquence, Mme X... ne peut rechercher la responsabilité du service public de la justice dans la poursuite de l'enquête et de l'instruction antérieure à cette décision dès lors qu'elle n'a pas épuisé les voies de recours qui lui étaient alors offertes ;
QU'en ce qui concerne le classement sans suite intervenu le 3 mai 2011 soit un mois après la réouverture de l'enquête par le parquet de Papeete en raison de la révélation d'un autre suspect, cette décision a été prise à la suite du refus de Mme X... de se soumettre à un prélèvement génétique et cette dernière qui ne conteste pas son refus ne démontre pas en quoi l'absence d'examen en 2011 aux fins d'extraction des codes génétiques des ADN figurant sur le scellé de 2004 pour transmission au fichier national des empreintes génétiques présenterait un caractère fautif alors que le parquet a sollicité cet examen et que le laboratoire d'analyses lui a répondu qu'il était techniquement impossible sans prélèvement effectué sur la victime, étant précisé qu'à la supposer erronée une telle réponse ne relève pas de la responsabilité de l'Etat pour dysfonctionnement du service public de la justice ; QU'en conséquence les allégations de Mme X... quant à l'attitude suspecte du laboratoire d'analyses compte tenu de la possibilité technique que le docteur A... atteste d'isoler le sperme de son agresseur sans avoir recours à un prélèvement de la victime à les supposer exactes, ne sont pas de nature à rendre fautif le classement sans suite opéré en raison de l'avis technique émis par le laboratoire ; QUE surtout, Mme X... n'a pas davantage usé après la décision de classement sans suite du 3 mai 2011 des voies de recours en sa possession en application de l'article 40-3 du code de procédure pénale ; QU'enfin l'ouverture d'une nouvelle enquête le 31 janvier 2013 et d'une information en 2014 qui s'est terminée par une ordonnance de non-lieu confirmée en appel le 9 février 2016 puisque l'identification par ADN d'un individu, par ailleurs condamné pour des agressions sexuelles, décédé [...] , a à nouveau disculpé la personne soupçonnée par Mme X..., ne démontre pas l'existence en 2011 d'un grave dysfonctionnement du service public de la justice ; QU'en effet l'enquête a été rouverte en raison de la nouvelle possibilité technique d'isoler l'ADN masculin étant précisé que Mme X... a refusé de se soumettre à un prélèvement et que la comparaison effectuée pour la seconde fois entre l'ADN de la personne soupçonnée par Mme X... et celui du scellé s'est révélée à nouveau négative ; QUE la cour relève que dans sa décision la chambre de l'instruction a estimé que rien n'étayait le scénario du complot quant à la contamination volontaire du scellé supportant l'ADN de l'agresseur de Mme X... puis d'un scellé supportant celui de la personne décédée puisque la fiche de scellé avait été immédiatement signée par Mme X... et que l'expert avait constaté l'intégrité du scellé qu'il recevait ; QUE la chambre de l'instruction a rappelé que Mme X... n'avait pas soumis l'ordonnance de non-lieu rendue en 2006 à sa censure éventuelle ; QU'enfin il convient de relever que le parquet a été à deux reprises à l'origine de la réouverture de l'enquête et que la personne identifiée comme étant l'agresseur de Mme X... en 2016 est décédée [...] soit antérieurement à la réouverture de l'enquête en 2011 ;
1- ALORS QUE l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ; que cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ; que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; que le fait, lorsqu'une plainte a été déposée pour viol et des prélèvements de matériel génétique effectués, de refuser toute analyse de ces prélèvements, tant dans le cadre de l'enquête préliminaire diligentée sur plainte simple que de l'instruction ouverte ensuite sur la constitution de partie civile de la victime, constitue une faute lourde que l'exercice d'éventuelles voies de recours ne peut réparer ; qu'en jugeant néanmoins que l'Etat n'était pas responsable, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2- ALORS QUE l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat en application de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ne peut être appréciée que dans la mesure où les voies de recours n'ont pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué ; que la possibilité d'exercer les voies de recours doit être appréciée concrètement, en prenant en considération la nature de l'affaire et les capacités matérielles et morales de la personne concernée à exercer ces voies de recours ; qu'en se bornant à considérer pour exclure la faute lourde du service public de la justice, que Mme X... n'avait pas relevé appel de l'ordonnance de non-lieu, la cour d'appel a violé les articles L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3- ALORS QUE Mme X... versait aux débats (pièce n° 22) le recours qu'elle avait formé en date du 18 mai 2011, auprès du procureur général, contre la décision de classement sans suite en date du 3 mai 2011 ; qu'en énonçant néanmoins que « surtout, Mme X... n'a pas davantage usé après la décision de classement sans suite du 3 mai 2011 des voies de recours en sa possession en application de l'article 40-3 du code de procédure pénale », la cour d'appel a dénaturé par omission cette pièce et violé l'article 1103 du code civil.