LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1843-3, alinéa 1er, du code civil ;
Attendu que chaque associé est débiteur envers la société de tout ce qu'il a promis de lui apporter en nature, en numéraire ou en industrie ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 8 juin 2017), que la société civile immobilière Feaugas (la SCI) a été constituée à parts égales entre Mme X... et M. A... ; qu'il a été prévu que chaque associé recevrait 3 500 parts sociales et apporterait une somme de 350 000 euros en numéraire, dont la libération interviendrait ultérieurement ; que M. A..., en sa qualité de gérant de la SCI, a demandé à Mme X... de libérer une partie de son apport en numéraire à hauteur de 200 000 euros ; que celle-ci a ensuite demandé à la SCI son retrait, l'annulation de ses parts et leur paiement à hauteur de 40 000 euros ; que la SCI a assigné Mme X... en condamnation au paiement de la somme de 160 000 euros, correspondant au montant de son apport appelé et non libéré, dont a été déduite la valeur de ses parts sociales ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que, dès lors que Mme X... a demandé son retrait de la société, qui a été accepté, la SCI n'est plus fondée à solliciter la libération de son apport ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le capital social non libéré est une créance de la société contre son associé qui ne s'éteint pas lorsque celui-ci se retire de la société, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour la société Feaugas
Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SCI Feaugas de sa demande tendant à la condamnation de Mme X... au paiement d'une somme de 200 000 €, outre intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2012,
Aux motifs que « M. A... en sa qualité de co-gérant de la SCI Feaugas a procédé le 7 juin 2012 auprès de Madame X..., dans le contexte de la séparation de son fait des concubins associés co-gérants, à un appel à la libération d'un apport en numéraire de 200 000 € ; les modalités selon lesquelles un seul des gérants a procédé à cette demande ne sont pas portées à la connaissance de la cour ; cet apport ne représentait que partie du capital de la SCI Feaugas, qui était de 700 000 € soit 350 000 € pour chacun des associés, correspondant au prix d'achat du bien immobilier acquis [...] augmenté d'environ 100 000 € de travaux ; M. A... a procédé pour sa part à la libération d'un apport de 200 000 € par versement d'un chèque de 146 000 € et remboursement de son compte courant ; il est constant que le surplus de l'apport n'a été libéré par aucun des associés, notamment dans la mesure où dès la constitution de la SCI Feaugas en 2008, l'emprunt contracté par celle-ci pour l'achat du bien immobilier a été remboursé grâce aux loyers versés par la société Immersion dont M. A... était dirigeant, société qui louait une partie des locaux. C'est dans le cadre d'un projet d'achat d'un autre bien immobilier par la SCI Feaugas, destiné à une occupation par la société Immersion, ce qui ne permettait plus à la SCI Feaugas de financer l'emprunt par les loyers que M. A... a demandé la libération de partie de l'apport aux associés ; Madame X... avait manifesté son désaccord à ce projet.
Il est avéré que Madame X... dans ce contexte de séparation des associés concubins et étant licenciée par la société Immersion n'était pas en mesure de procéder au paiement de son apport.
Il convient d'analyser la réponse faite par Madame X... à M. A... à sa demande du 7 juin 2012 le 9 juillet 2012 :
« Monsieur le co-gérant et associé,
En application de l'article 1869 du code civil, j'ai l'honneur de solliciter mon retrait de la SCI Feaugas.
En conséquence vous voudrez bien procéder à l'annulation de mes 3500 parts sociales.
Je propose qu'il me soit versé au titre du remboursement de la valeur de mes droits une somme de 40 000 €.
Restant à votre disposition pour toute information complémentaire.... ».
Cette demande de retrait est conforme tant aux dispositions du code civil que des statuts, et elle doit s'entendre, comme expressément exprimé, comme portant sur la totalité des 3 500 parts attribuées à Madame X..., soit les 2 000 représentées par l'apport de 200 000 € sollicité et non effectué, et les 1 500 parts de fait non libérées mais non appelées, qui sont considérées comme ayant été financées par les loyers versés par la société Immersion.
Dès lors que Madame X... demandait l'annulation de ses parts, ce qui s'entend comme une réduction du capital, la SCI Feaugas en la personne de son gérant M. A... n'était plus fondée à demander la libération de ces parts, de sorte que la demande en paiement de M. A... es qualité de gérant de la SCI doit être rejetée.
A l'issue de l'assemblée générale du 11 juillet 2012 présidée par M. A..., à laquelle Madame X... était présente, il a été constaté qu'elle n'avait pas versé les 200 000 € demandés, de sorte qu'elle a été privée de son droit de vote sur les 2 000 parts correspondantes et n'avait plus que les 1500 voix correspondant aux 1500 parts restantes (3500 - 2000), et que l'assemblée générale votant sur les 3500 voix de M. A... l'a révoquée de ses fonctions de co-gérante et a autorisé M. A... à procéder à l'acquisition d'un bien immobilier envisagée pour 1 029 664 €, et à vendre le bien immobilier situé [...]qui constituait le domicile familial. La demande parallèle faite par Madame X... de révocation de M. A... de ses fonctions de gérant a été rejetée compte tenu de ce qu'elle n'avait plus que les droits afférents à 1500 parts.
L'article 1843-3 du code civil fait obligation aux associés de libérer le capital social lorsqu'ils en sont requis, et l'article 1er des statuts de la SCI Feaugas détermine les modalités de cette libération à la demande de la gérance ; et le capital social non libéré est en principe une créance de la société contre ses associés.
Le retrait d'un associé s'effectue sous la forme d'une réduction du capital social réalisé par une annulation des parts de l'associé qui se retire, qui a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux. En l'absence d'accord amiable, cette valeur est fixée par un expert désigné par le président du tribunal.
En l'espèce, il ressort des pièces produites et de la demande de M. A... en justice à hauteur de 160 000 € soit 200 000 € (valeur des 2 000 parts appelées) - 40 000 € (valeur des parts annulées) qu'il admet que la valeur des 1500 parts supposées acquises est de 40 000 € comme proposé par Mme X..., de sorte qu'il n'y a pas lieu à évaluation de celles-ci.
Tel est bien le sens de la décision de l'assemblée générale du 6 septembre 2012, à laquelle Mme X... n'était pas présente, qui autorise son retrait demandé lors de la précédente assemblée générale du 11 juillet 2012 par annulation de la totalité de ses droits sociaux soit les 3500 parts numérotées de 3 501 à 7 000 et moyennant le prix de 40 000 €, et mentionne :
« En contrepartie de son retrait, il sera versé selon les modalités ci-après visées à Madame X... la somme de 40 000 € représentant la valeur des parts annulées, ladite valeur ayant été proposée par Madame X... et acceptée par son coassocié. ».
Il résulte de ces éléments que la SCI Feaugas n'est pas fondée à demander à Mme X... le paiement des 2 000 parts sociales appelées et non libérées, dès lors que la totalité des parts sociales a été annulée du fait de son retrait accepté et que la valeur des 1 500 parts non appelées et libérées de fait est évaluée d'un commun accord à 40 000 € ; en raison du non-paiement par Mme X... des 200 000 € appelés, elle a été privée par décision de l'assemblée générale du 11 juillet du droit de vote afférent à ces 2000 parts, de sorte que M. A... demeuré titulaire de 3500 parts et droits de vote afférents, prend de fait seul toutes les décisions qu'il souhaite voir adopter par l'assemblée générale ; il est sans incidence que le retrait de Mme X... n'ait été constaté que lors de l'assemblée générale du 6 septembre 2012 alors que les 200 000 € représentant 2 000 parts ont été appelés antérieurement, dès lors que Mme X... avait demandé son retrait, fût-ce dans les termes impropres d' « annulation » dès le 9 juillet 2012, ce qu'elle a confirmé dans une note remise lors de l'assemblée générale du 11 juillet 2012, que l'assemblée générale doit se prononcer dans les deux mois de la demande, ce qui a été fait lors de l'assemblée générale du 6 septembre 2012, le capital de la SCI Feaugas ayant lors de cette assemblée générale été réduit à 3 500 parts et 350 000 €, et ce qui prive d'autant plus de fondement la demande de paiement de parts sociales annulées, et ce qui fait de M. A... le seul associé et gérant. Il a été indiqué à l'audience que le bien immobilier propriété de la SCI [...]avait été vendu le 7 avril 2017 pour 520 000 €. Faire droit à la demande de la SCI aurait pour effet un enrichissement sans cause de son associé unique dès lors qu'il est amené à percevoir le prix de vente, Mme X... n'étant plus propriétaire de parts.
Le jugement sera confirmé par substitution de motifs en ce qu'il a débouté la SCI Feaugas de sa demande de condamnation de Mme X... au paiement de la somme de 160 000 €, et a condamné celle-ci à payer à Mme X... la valeur des parts sociales annulées, fixée à 40000 € par accord des parties » (arrêt, p. 5 à 7) ;
1/Alors que le capital social souscrit non libéré constitue une créance de la société contre ses associés ; que cette créance n'est pas éteinte par la décision de retrait de l'associé débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que Mme X... ne s'était pas libérée, en dépit d'une mise en demeure de la SCI Feaugas, de son obligation d'apport à hauteur de 200 000 € ; qu'en décidant cependant que la SCI n'était pas fondée à solliciter le paiement de cette dette contractuelle dès lors que Mme X... avait décidé de faire usage de son droit de retrait de la société, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 1843-3 du code civil ;
2/ Alors que le capital social souscrit non libéré constitue une créance de la société contre ses associés qui n'est pas éteinte par la décision de retrait de l'associé débiteur et la modification corrélative de ses droits au sein de la société ; qu'en décidant que la SCI n'était pas fondée à solliciter le paiement de cette dette contractuelle dès lors que Mme X... avait décidé de faire usage de son droit de retrait de la société, ce qui avait été accepté par la société et avait entraîné la réduction du capital social, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs inopérants, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3/ Alors que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; que la cour d'appel a considéré qu'il résultait de la demande de M. A... (alias la SCI Feaugas) en justice, limitée à 160 000 euros pour tenir compte de la somme de 40 000 euros correspondant à la valeur des parts, que ce dernier admettait que la somme de 40 000 euros accordée à Mme X... correspondait au prix des 1500 parts « supposées acquises » non appelées et libérées de fait ; que ce faisant, la cour a dénaturé les conclusions de la SCI qui n'a jamais admis que les 40 000 euros correspondaient à la valeur de 1 500 parts mais affirmé au contraire qu'elle représentait le prix des 3 500 parts sociales, et a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;
4/ Alors que le capital social souscrit non libéré constitue une créance de la société contre ses associés qui n'est pas éteinte par la décision de retrait de l'associé débiteur, sans qu'importe la situation des autres associés de la société ; que pour décider que la SCI n'était pas fondée à solliciter le paiement de cette dette contractuelle, la cour a relevé que Mme X... avait décidé de faire usage de son droit de retrait de la société et que faire droit à cette demande aboutirait à l'enrichissement sans cause de son associé unique restant ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.