LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 avril 2019
Cassation sans renvoi
Mme FLISE, président
Arrêt n° 519 F-P+B+I
Pourvoi n° A 17-31.785
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
1°/ Mme G... P..., domiciliée [...] . [...],
2°/ Mme W... J..., épouse P..., domiciliée [...],
3°/ Mme B... P..., domiciliée [...],
4°/ M. C... P..., domicilié [...], contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2017 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. F... I...,
2°/ à Mme U... Q..., épouse I..., domiciliés [...], défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 13 mars 2019, où étaient présents : Mme Flise, président, M. Sommer, conseiller rapporteur, Mme Brouard-Gallet, conseiller doyen, Mme Mainardi, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Sommer, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mmes G..., W... et B... P... et de M. C... P..., de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. et Mme I..., l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1351, devenu 1355, du code civil ;
Attendu qu'il incombe au demandeur, avant qu'il ne soit statué sur sa demande, d'exposer l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; qu'il s'ensuit que, dans une même instance, une prétention rejetée ne peut être présentée à nouveau sur un autre fondement ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que A... P... et son épouse, S... D..., ont consenti les 15 et 21 juin 2007 à M. I..., petit-fils de S... D..., une promesse synallagmatique de vente portant sur un immeuble ; que, dans l'attente de la régularisation de l'acte authentique, les vendeurs ont donné l'immeuble à bail à M. et Mme I... ; que A... P... étant décédé le [...], la régularisation de l'acte n'est pas intervenue ; que S... D... a fait signifier le 5 octobre 2009 à M. et Mme I... un congé pour vente à effet du 31 août 2010 ; qu'elle est décédée le [...] ; que les locataires ont alors fait assigner les deux enfants de A... P..., H... et G... P..., pour obtenir la nullité du congé pour insanité d'esprit ; que, par un jugement du 12 décembre 2011, le tribunal d'instance de Beauvais a déclaré cette demande irrecevable, s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Beauvais pour apprécier la validité de la promesse et a sursis à statuer sur la validité du congé ; que, par un jugement du 4 mars 2013, confirmé par un arrêt du 11 septembre 2014, le tribunal de grande instance de Beauvais a déclaré la promesse de vente nulle pour insanité d'esprit ; que, par jugement du 7 décembre 2015, le tribunal d'instance de Beauvais a déclaré M. et Mme I... irrecevables à contester la validité du congé, a dit ce congé régulier et a ordonné l'expulsion des locataires en fixant une indemnité d'occupation ; que M. et Mme I... ont relevé appel de ce jugement ;
Attendu que, pour déclarer recevable l'action en nullité du congé délivré par la bailleresse à M. et Mme I... et dire nul et de nul effet le congé avec offre de vente délivré le 5 octobre 2009 par S... D... à M. et Mme I..., l'arrêt énonce qu'il résulte du jugement du 12 décembre 2011 que la demande de nullité du congé était fondée sur l'insanité d'esprit de son auteur et donc sur l'article 414-1 du code civil, que l'irrecevabilité n'a été prononcée qu'en application de l'article 414-2 selon lequel après la mort de l'auteur de l'acte, seuls ses héritiers disposent de l'action en nullité, alors que la présente demande ayant pour objet la nullité du congé pour vente est fondée sur une irrégularité de l'acte en lui-même liée à sa nature, qu'il ne s'agit plus de trancher la question du trouble mental ayant affecté l'auteur de l'acte mais de s'interroger sur les personnes dont le consentement était nécessaire à la validité de l'acte et en déduit qu'il s'agit bien d'une autre cause d'irrecevabilité non tranchée précédemment et non d'un simple moyen nouveau, de sorte que l'autorité de la chose jugée ne saurait être opposée à M. et Mme I... ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le tribunal d'instance de Beauvais avait, dans le dispositif de son jugement du 12 décembre 2011, déclaré M. et Mme I... irrecevables en leur demande tendant à voir déclarer nul et de nul effet le congé donné par S... D..., ce dont il résultait qu'ils n'étaient pas recevables à faire juger à nouveau cette prétention par la présentation d'un nouveau moyen, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DECLARE IRRECEVABLE la demande de M. et Mme I... en nullité du congé du 5 octobre 2009 ;
Condamne M. et Mme I... aux dépens exposés devant les juges du fond et devant la Cour de cassation ;
Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile devant les juges du fond ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme I... et les condamne à payer à Mme G... P..., Mme W... P..., Mme B... P... et M. C... P... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze avril deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mmes G..., W... et B... P... et M. C... P...
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré recevable l'action en nullité du congé délivré par la bailleresse aux époux I... et D'AVOIR dit nul et de nul effet le congé avec offre de vente délivré le 5 octobre 2009 par Madame S... P... aux époux I... ;
AUX MOTIFS QUE « sur la recevabilité de la demande ; les époux I... rappellent que la décision d'irrecevabilité de leur demande en nullité du congé pour insanité d'esprit prise par le jugement en date du 12 décembre 2011 n'a été motivée que par le fait que n'étant pas héritiers directs de l'auteur du congé dont ils invoquaient l'insanité d'esprit ils ne pouvaient agir sur ce fondement ; ils font valoir que s'il existe bien une identité de parties et d'objet, l'identité de cause n'existe pas entre la demande sur laquelle a statué le tribunal d'instance en 2011 et la présente demande puisque la cause de la demande de nullité ne réside plus dans l'insanité d'esprit de l'auteur du congé mais dans le fait que ce congé n'a pas été délivré par l'ensemble des coïndivisaires ; ils soutiennent que cela constitue une cause nouvelle le vice ou l'irrégularité à présent soulevée constituant une cause distincte ; ils en concluent que l'autorité de la chose jugée ne pouvait leur être opposée ; ils font valoir que l'arrêt de la Cour de cassation en date du 7 juillet 2006 impose que l'ensemble des moyens soit présenté par le demandeur à l'action alors qu'en l'espèce il ne s'agit pas d'un nouveau moyen mais d'une cause nouvelle et font observer qu'il est depuis les précédents arrêts intervenu un fait nouveau qui est l'annulation pour vice du consentement du compromis de vente et qui empêche que soit opposée l'autorité de la chose jugée ; les consorts P... soutiennent que par décision définitive ayant acquis autorité de la chose jugée les époux I... ont été déclarés irrecevables en leur demande tendant à voir constater la nullité du congé ; ils font valoir que la cause de leur demande soit la nullité du congé pour vendre reste identique et que seul le moyen pour l'obtenir a été modifié alors qu'en tant qu'élément d'argumentation de la cause les moyens n'ont aucune incidence sur l'autorité de la chose jugée et que la présentation d'un nouveau moyen ne peut rendre recevable une nouvelle demande ; ils rappellent que par un arrêt rendu par l'assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 7 juillet 2006 il a été décidé que le seul changement de fondement juridique ne suffit pas à caractériser la nouveauté de la cause et par suite d'écarter l'autorité de la chose jugée sur la demande originaire ; aux termes de l'article 1351 du code civil l'autorité de la chose jugée peut être opposée si la chose demandée est la même, si la demande est fondée sur la même cause et si la demande est formée entre les mêmes parties et par elles et contre elles en la même qualité ; la demande en question est la nullité d'un congé pour vente délivré le 5 octobre 2009 par Madame S... D... veuve P... à l'encontre des époux I... ; l'identité d'objet et de parties ne pose aucune difficulté et les parties ne s'opposent que sur l'identité de cause ; or il résulte très clairement du jugement du tribunal d'instance en date du 12 décembre 2011 que la demande de nullité du congé était fondée sur1'insanité d'esprit de son auteur et donc sur l'article 414-1 du code civil et l'irrecevabilité n'a été prononcée qu'en application de l'article 414-2 selon lequel après la mort de l'auteur de l'acte seuls ses héritiers disposent de l'action en nullité ; la présente demande ayant pour objet la nullité du congé pour vente est fondée sur une irrégularité de l'acte en lui-même liée à sa nature ; il ne s'agit plus de trancher la question du trouble mental ayant affecté l'auteur de l'acte mais de s'interroger sur les personnes dont le consentement était nécessaire à la validité de l'acte ; il s'agit bien d'une autre cause d'irrecevabilité non tranchée précédemment et non d'un simple moyen nouveau ; dès lors l'autorité de la chose jugée ne saurait être opposée aux époux I... » (arrêt pp. 4 et 5) ;
ALORS QU'il incombe au demandeur de présenter, dès l'instance relative à la première demande, l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; qu'il ressort de l'arrêt attaqué (pp. 3 à 5) que les époux I... avaient saisi le tribunal d'instance de BEAUVAIS aux fins d'obtenir la nullité du congé pour vendre délivré le 5 octobre 2009 par Madame S... P... ; que cette demande avait été définitivement déclarée irrecevable par un jugement du 12 décembre 2011 du tribunal d'instance de BEAUVAIS ; que les époux I... avaient ultérieurement présenté de nouveau une demande en nullité du même congé ; qu'en écartant la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, aux motifs que la demande originaire, fondée sur l'insanité d'esprit de l'auteur du congé, supposait de trancher une question différente de celle posée par la demande dont elle était saisie, fondée sur l'irrégularité du congé qui n'était pas signé de tous les coïndivisaires, quand les époux I... ne pouvaient, en invoquant un fondement juridique différent qu'ils s'étaient abstenus de soulever en temps utile, présenter à nouveau une demande ayant le même objet que celle sur laquelle le tribunal d'instance de BEAUVAIS avait définitivement statué par son jugement du 12 décembre 2011, la cour d'appel a violé l'article 1351 (devenu 1355) du code civil.