LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bourges, 25 janvier 2018), que la caisse primaire d'assurance maladie du Cher (la caisse) lui ayant notifié, le 1er octobre 2015, une décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle du syndrome dépressif déclaré par Mme L..., sa salariée, après avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, la société Vigondis (l'employeur) a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt de déclarer la décision de prise en charge inopposable à l'employeur, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale, l'avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical ne sont communicables à l'employeur de la victime « que par l'intermédiaire d'un praticien désigné à cet effet par la victime ou, à défaut, par ses ayants droit » ; qu'aussi, pour permettre à l'employeur susceptible d'en faire la demande, de prendre connaissance de ces pièces, il appartient à la caisse chargée d'instruire le dossier d'effectuer les démarches nécessaires en vue de la désignation d'un praticien par la victime ou ses ayants droit ; que cette démarche, que la caisse peut mettre en oeuvre par anticipation, avant même que l'employeur ne présente sa demande de communication de pièces, peut être accomplie par l'envoi à l'assuré par la caisse d'un courrier qui, d'une part, informe l'intéressé du fait que son employeur a la faculté de demander à consulter ces pièces mais que la caisse ne pourra faire droit à cette demande que par l'intermédiaire d'un médecin qu'il aura désigné à cet effet et, d'autre part, l'invite à communiquer à l'organisme social les coordonnées dudit praticien par retour de courrier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'avant même que la société Vigondis n'en fasse la demande, la caisse avait écrit à Mme L... « Votre employeur peut demander à consulter les pièces du dossier. Toutefois, je ne pourrai lui transmettre l'avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par le service médical que par l'intermédiaire d'un médecin que vous aurez désigné à cet effet. Aussi, il vous appartient de me communiquer les coordonnées de ce praticien dès réception du présent courrier » ; qu'en retenant néanmoins, pour dire inopposable à l'employeur la décision de prise en charge de la maladie de cette assurée, que la caisse primaire d'assurance maladie du Cher avait manqué à son obligation de solliciter la désignation d'un praticien par la victime, faute pour la caisse d'avoir, après réception du courrier de l'employeur sollicitant la mise en oeuvre de la procédure prévue à l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale, demandé « à l'assurée de désigner un praticien pour prendre connaissance de ces deux avis médicaux, sans pouvoir se retrancher derrière la demande formulée dans son courrier de notification de la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles dont le caractère en apparence impératif était atténué par les termes ‘votre employeur peut demander à consulter les pièces du dossier' », la cour d'appel a violé l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale ;
Mais attendu que, selon l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale, en cas de saisine par la caisse primaire d'assurance maladie d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles en application de l'article L. 461-1, alinéa 5, du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur demande la communication du rapport établi par le service du contrôle médical visé au 5° de l'article D. 461-29, il appartient à la caisse d'effectuer les démarches nécessaires en vue de la désignation d'un praticien par la victime ou ses ayants droit ;
Et attendu qu'après avoir constaté que, par lettre reçue le 21 juillet 2015, l'employeur a demandé à la caisse de mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale afin d'obtenir la désignation par la victime d'un praticien qui prendra connaissance du contenu de l'avis motivé du médecin du travail et du rapport établi par les services du contrôle médical, l'arrêt retient qu'il appartenait à la caisse de demander à la victime de désigner un praticien pour consulter ces deux avis médicaux, sans pouvoir se retrancher derrière la demande qu'elle avait formulée dans son courrier à l'occasion de la notification de la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, adressé à la victime, lequel n'avait aucun caractère impératif ;
Que de ces constatations procédant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d'appel a exactement déduit que la caisse ayant manqué aux obligations lui incombant, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle était inopposable à l'employeur ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Cher aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse primaire d'assurance maladie du Cher et la condamne à payer à la société Vigondis la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mai deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Cher
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'Avoir déclaré inopposable à la société Vigondis la décision du 1er octobre 2015 de la caisse primaire d'assurance maladie du Cher de prendre en charge au titre des maladies professionnelles le syndrome dépressif déclaré par Madame L... le 26 mars 2015.
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Selon les articles L. 461-1, alinéa 4, et R. 461-8 du code de la sécurité sociale, peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau des maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 4342 et au moins égal à un pourcentage fixé à 25 %.
Il résulte des articles D. 461-29 et D. 461-30 de ce même code que, dans cette hypothèse, la caisse primaire d'assurance maladie saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles après avoir recueilli, notamment, un avis motivé du médecin du travail et le rapport du service du contrôle médical qui comprend le rapport d'évaluation du taux d'incapacité permanente de la victime. Ces deux documents ne sont communicables à l'employeur que par l'intermédiaire d'un praticien désigné à cet effet par la victime, lequel prend connaissance de leur contenu et ne peut en faire état, avec l'accord de la victime, que dans le respect des règles de déontologie.
La jurisprudence (Cass. Civ. 2ème 19 janvier 2017) déduit de ces textes que le taux d'incapacité permanente à retenir pour l'instruction d'une demande de prise en charge d'une maladie non désignée dans un tableau des maladies professionnelles est celui évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et non le taux d'incapacité permanente partielle fixé après consolidation de l'état de la victime pour l'indemnisation des conséquences de la maladie.
Le moyen soulevé par la société Vigondis, selon lequel l'absence d'un taux définitif d'incapacité permanente d'au moins 25 % doit être sanctionnée par l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie ou commande à tout le moins de surseoir à statuer dans l'attente de la fixation du taux définitif, est donc inopérant.
Par ailleurs, le moyen selon lequel la preuve ne serait pas même rapportée d'une évaluation d'un taux prévisible d'incapacité permanente d'au moins 25 % n'est pas davantage pertinent, dès lors que la fiche du colloque médico-administratif, signé le 10 juillet 2015 par le médecin conseil et constituant les conclusions administratives du rapport établi par les services du contrôle médical, seules communicables de plein droit à l'employeur à l'exception du rapport lui-même, fait mention expressément d'une incapacité permanente prévisible estimée au moins à 25 %.
La société Vigondis soutient également qu'à réception, le 16 juillet 2015, de la lettre de la caisse primaire datée du 10 juillet 2015 l'informant de la transmission du dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et l'invitant à consulter les pièces constitutives du dossier, elle a demandé à celle-ci, par lettre recommandée avec avis de réception du 17 juillet 2015, de mettre en oeuvre le mécanisme de désignation par la victime d'un praticien à l'effet de prendre connaissance de l'avis motivé du médecin du travail et du rapport établi par le service du contrôle médical et que la caisse primaire, qui a d'abord soutenu en première instance qu'elle n'avait pas reçu ce courrier, avant de le reconnaître dans le cadre de l'instance d'appel, ne justifie pas avoir mis en oeuvre cette procédure pourtant mise à sa charge par la jurisprudence relative à l'application de l'article D. 461-29 du Code de la sécurité sociale. Elle fait également valoir que le défaut de communication de ces pièces, au vu desquelles le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a rendu son avis, lui fait grief et qu'au surplus elle n'a pas bénéficié d'un délai suffisant pour prendre connaissance du dossier et faire parvenir ses observations avant sa transmission au comité régional qui l'a réceptionné le 4 août 2015.
Il résulte effectivement des pièces communiquées que la société Vigondis, par lettre recommandée avec avis de réception du 17 juillet 2015 reçue le 21 juillet suivant, a demandé à la caisse primaire de mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale afin d'obtenir la désignation par la victime d'un praticien qui prendra connaissance du contenu de l'avis motivé du médecin du travail et du rapport établi par les services du contrôle médical.
La caisse primaire a soutenu, dans ses écritures de première instance, qu'elle n'avait pas reçu ce courrier, faisant même état d'un certain nombre d'anomalies destinées à mettre en cause l'authenticité de ce document. Sans reprendre devant la cour ce moyen qui doit donc être considéré comme abandonné, la caisse primaire prétend désormais qu'elle se serait acquittée par avance de cette obligation en adressant à Mme L..., le 10 juillet 2015, une lettre recommandée, reçue le 16 juillet suivant, mentionnant textuellement : « Votre employeur peut demander à consulter les pièces du dossier. Toutefois, je ne pourrai lui transmettre l'avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par le service médical que par l'intermédiaire d'un médecin que vous aurez désigné à cet effet. Aussi, il vous appartient de me communiquer les coordonnées de ce praticien dès réception du présent courrier. » Elle ajoute que Mme L... n'ayant pas donné suite à cette demande et donc désigné de praticien, les deux documents en litige n'étaient pas communicables à l'employeur et n'avaient pas à figurer au dossier de la caisse au moment où ce dernier en a pris connaissance le 21 juillet suivant.
Cependant, alors que la société Vigondis lui avait fait expressément connaître, par la lettre reçue le 21 juillet 2015, son intention d'obtenir la mise en oeuvre de la procédure prévue à l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale, il appartenait à la caisse primaire de demander à l'assurée de désigner un praticien pour prendre connaissance de ces deux avis médicaux, sans pouvoir se retrancher derrière la demande formulée dans son courrier de notification de la saisine du CRRMP dont le caractère en apparence impératif était atténué par les termes ‘votre employeur peut demander à consulter les pièces du dossier.'
Ainsi, dès lors que la caisse primaire s'est abstenue de mettre en oeuvre cette procédure, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle sur avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, rendu après consultation notamment de l'avis du médecin du travail et du rapport du contrôle médical, doit être déclarée inopposable à l'employeur qui a été privé de toute possibilité de pouvoir prendre connaissance de la teneur de ces documents et de formuler toutes observations utiles avant la transmission du dossier au comité.
Par ces motifs, substitués aux motifs erronés du jugement entrepris, l'appel sera déclaré mal fondé et la décision confirmée. »
ALORS QU'aux termes de l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale, l'avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par les services du contrôle médical ne sont communicables à l'employeur de la victime « que par l'intermédiaire d'un praticien désigné à cet effet par la victime ou, à défaut, par ses ayants droit » ; qu'aussi, pour permettre à l'employeur susceptible d'en faire la demande, de prendre connaissance de ces pièces, il appartient à la caisse chargée d'instruire le dossier d'effectuer les démarches nécessaires en vue de la désignation d'un praticien par la victime ou ses ayants droit ; que cette démarche, que la caisse peut mettre en oeuvre par anticipation, avant même que l'employeur ne présente sa demande de communication de pièces, peut être accomplie par l'envoi à l'assuré par la caisse d'un courrier qui, d'une part, informe l'intéressé du fait que son employeur a la faculté de demander à consulter ces pièces mais que la caisse ne pourra faire droit à cette demande que par l'intermédiaire d'un médecin qu'il aura désigné à cet effet et, d'autre part, l'invite à communiquer à l'organisme social les coordonnées dudit praticien par retour de courrier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'avant même que la société Vigondis n'en fasse la demande, la caisse avait écrit à Madame L... « Votre employeur peut demander à consulter les pièces du dossier. Toutefois, je ne pourrai lui transmettre l'avis motivé du médecin du travail et le rapport établi par le service médical que par l'intermédiaire d'un médecin que vous aurez désigné à cet effet. Aussi, il vous appartient de me communiquer les coordonnées de ce praticien dès réception du présent courrier » ; qu'en retenant néanmoins, pour dire inopposable à l'employeur la décision de prise en charge de la maladie de cette assurée que la CPAM du Cher avait manqué à son obligation de solliciter la désignation d'un praticien par la victime, faute pour la caisse d'avoir, après réception du courrier de l'employeur sollicitant la mise en oeuvre de la procédure prévue à l'article D. 461-29 du Code de la sécurité sociale, demandé « à l'assurée de désigner un praticien pour prendre connaissance de ces deux avis médicaux, sans pouvoir se retrancher derrière la demande formulée dans son courrier de notification de la saisine du CRRMP dont le caractère en apparence impératif était atténué par les termes ‘votre employeur peut demander à consulter les pièces du dossier' », la cour d'appel a violé l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale.