LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, qui est recevable comme étant de pur droit :
Vu les articles L. 451-1 et L. 455-1-1 du code de la sécurité sociale ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que le conjoint de la victime d'un accident du travail, lorsque cette victime a survécu, n'a pas la qualité d'ayant droit, au sens du premier, et peut, dès lors, être indemnisé de son préjudice personnel selon les règles du droit commun ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. H..., salarié de la société Megevand (l'employeur), a été renversé, le 25 août 2015, par un engin de chantier conduit par un préposé de la même entreprise ; qu'il a saisi, ainsi que Mme Y..., son épouse, d'une demande d' indemnisation de leurs préjudices respectifs la société Axa France IARD, assureur de l'employeur, un tribunal de grande instance ;
Attendu que pour déclarer ce dernier incompétent au profit d'une juridiction de sécurité sociale, l'arrêt retient que l'accident ne s'étant pas produit sur une voie ouverte à la circulation publique, il ne relève pas des dispositions de l'article L. 455-1-1 du code de la sécurité sociale ;
Qu'en statuant ainsi, alors que M. H... ayant survécu, son épouse n'avait pas la qualité d'ayant droit, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare incompétent, pour connaître des demandes formées par Mme Y... épouse H..., le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale d'Annecy, l'arrêt rendu le 12 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société Axa France IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Axa France IARD et la condamne à payer à Mme Y... épouse H... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR dit que l'accident dont M. N... H... a été victime le 25 août 2015 ne relevait pas des dispositions de l'article L.455-1 (lire L. 455-1-1) du code de la sécurité sociale, d'avoir dit le tribunal de grande instance incompétent pour connaître des demandes formées par M. N... H... et par Mme B... Y... épouse H... à l'encontre de la société Axa France iard et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Savoie et d'AVOIR dit que le dossier de l'affaire serait transmis audit tribunal des affaires de sécurité sociale dans les conditions prévues par le code de procédure civile ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, « en application de l'article L.455-1-1 du code de la sécurité sociale, la victime ou ses ayants droit et la caisse peuvent se prévaloir des articles L.454-1 et L.455-2 lorsque l'accident défini à l'article L.411-1 survient sur une voie ouverte à la circulation publique et implique un véhicule terrestre à moteur conduit par l'employeur, un préposé ou une personne appartenant à la même entreprise que la victime que la réparation complémentaire prévue au premier alinéa est régie par les dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ; qu'en l'espèce, il n'est pas contestable, ni contesté d'ailleurs, que l'accident dont M. H... a été victime est un accident du travail au sens de l'article L.411-11 du code de la sécurité sociale ; que la compétence de principe est donc celle du tribunal des affaires de sécurité sociale, sauf à ce que soient démontrées les conditions d'application de l'article L.455-1-1 précité ; que M. et Mme H... entendent voir retenir la compétence du tribunal de grande instance de Thonon-Les-Bains au motif que, selon eux, l'accident du 25 août 2015 devrait s'analyser comme relevant des dispositions de l'article L. 455-1-1 du code de la sécurité sociale précité, la pelle mécanique qui a heurté la victime étant en mouvement au moment de l'accident et le chantier étant ouvert à la circulation publique ; que toutefois, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu que le chantier «Villa [...]" sur lequel s'est produit l'accident, n'était pas ouvert à la circulation publique ; qu'en effet, le plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS, annexe 7 de l'avis de la DIRECCTE) établi par l'entreprise Megevand pour ce chantier prévoit (page 10) que «les travaux seront réalisés dans des zones isolées par des barrières de chantier, strictement interdites d'accès au public (..) Le chantier sera clôturé (...) L‘entreprise Megevand s'engage à ce que la totalité de l'emprise soit close tant en limite du domaine public qu'en limites privatives. L ‘entrée du chantier se fera par un portail d‘entrée fermant à clé. Des panneaux d'informations seront installés au droit du chantier suivant la réglementation en vigueur. Une grande attention sera également portée au maintien en bon état des barrières de chantier afin d'éviter les intrusions accidentelles sur le chantier en dehors des heures travaillées. Le chef de chantier ne quittera pas le chantier enfin de journée sans s'être personnellement assuré de la fermeture complète des barrières de chantier et du bon état de la signalisation temporaire" ; que le plan d'installation de chantier et de circulation établi par le bureau Alpes Contrôles (annexé à l'avis de la DIRECCTE) fait figurer l'intégralité des clôtures du chantier, lequel se déroulait sur un terrain privé, sur lequel n'existe aucune voie de circulation ouverte au public, mais seulement un accès privé ; que le procès-verbal établi par le commissariat de Thonon-Les-Bains le jour des faits (PV n°2015/002839/02) précise d'ailleurs "il s'agit d'un chantier de construction et restauration d'un domaine privé «Villa [...]» (...) On pénètre sur le chantier par une voie carrossable privée, qui aborde la voie publique à l'ange de la [...] et de la [...]" ; que ce point est encore confirmé par Mme C..., inspectrice du travail (PV n°2015/002839/8) qui, sur question des enquêteurs quant à la présence d'une estafette derrière la pelleteuse pendant les manoeuvres, leur répond par la négative «s‘agissant d'un chantier privé interdit au public » ; que le conducteur de la pelle qui a causé l'accident précise lors de son audition par les enquêteurs (PV n° 2015/002839/4) que « ce chantier est interdit au public et les chemins faits sont donc fait pour les ouvriers" ; que par ailleurs, il résulte des photographies produites par les appelants en pièces n°50 et 51 montrant l‘entrée du chantier, qu'à cet endroit plusieurs panneaux d'information ont été installés relatifs au chantier en cours sur lesquels figure la mention, en caractères de grande taille et parfaitement lisibles «chantier interdit au public» ; que le fait que le portail ne soit pas clos en journée est parfaitement normal puisque des camions et véhicules divers sont amenés à circuler pour le transport des matériaux ; que cette ouverture ne signifie pas pour autant que l'accès du public soit autorisé ; que la voie privée d'accès au domaine «Villa [...]» ne permet d'ailleurs que la desserte de cette propriété clôturée ; quant aux attestations produites par les époux H..., celle établie par Mme H... ellemême (pièce n°86), qui est partie au procès, doit être considérée avec les plus grandes précautions, étant souligné en outre qu'elle relate un déplacement qu'elle a fait sur le chantier au mois d'avril 2016, soit huit mois après l'accident, de sorte que la configuration des lieux a pu être modifiée de façon significative par rapport à l'époque des faits ; que le fait qu'elle ait pu pénétrer sur le chantier ne signifie pas pour autant que cet accès lui était autorisé ; que les attestations établies par les collègues de M. H... semblent quant à elles de pure complaisance, certaines indiquant d'ailleurs seulement que le chantier était ouvert, ce qui ne signifie pas nécessairement qu'il était ouvert à la circulation publique (pièces n° 53 et 54), tandis que d'autres indiquent qu'il était "ouvert pour une large part à la circulation du public" (pièces n°87, 88 et 89) ce qui exclut une ouverture générale, laquelle est en tout état de cause contredite par les éléments objectifs relevés ci-dessus et justement retenus par le tribunal comme probants ; que la seule attestation de M. E... (pièce n° 52) est insuffisante pour contredire les constatations faites par les enquêteurs le jour même des faits ; qu'il résulte de ce qui précède que l'accident dont M. H... a été victime le 25 août 2015 ne s'est pas produit sur une voie ouverte à la circulation publique et qu'en conséquence, c'est à bon droit que le tribunal de grande instance a décliné sa compétence au profit de celle du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute Savoie ; que le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE sur l'incompétence matérielle de la présente juridiction au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale, aux termes de l'article L.455-1-1 du code de la sécurité sociale, la victime, ou ses ayants droit et la caisse peuvent se prévaloir des dispositions des articles L.454-1 et L.455-2 lorsque l'accident défini à l'article L.411-1 survient sur une voie ouverte à la circulation publique et implique un véhicule terrestre à moteur conduit par l'employeur, un préposé ou une personne appartenant à la même entreprise que la victime ; que la réparation complémentaire prévue au premier alinéa est régie par les dispositions de la loi n° 85-677 du 05 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation ; que la jurisprudence précise que la victime d'un accident du travail ne peut prétendre à une indemnisation complémentaire sur le fondement de la loi n° 85-677 du 05 juillet 1985 que lorsque l'accident survient sur une voie ouverte à la circulation publique et qu'il implique un véhicule terrestre à moteur conduit par l'employeur, un préposé ou une personne appartenant à la même entreprise qu'elIe (cass. civ. 2ème, 24 mars 2016) ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté par les parties que l'accident dont a été victime M. N... H... s'est déroulé sur son lieu de travail, durant ses heures de travail et alors qu'il était lié par un contrat de travail conclu avec la SAS Megevand Gérard ; que M. H... a donc été victime d'une accident du travail au sens de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale ; que l'article L.451-1 du code de la sécurité sociale énonce que sous réserve des dispositions prévues aux articles L.452-1 à L.452-5, L.454-1, L.455-1, L.455-1-1 et L.455-2, aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants droit ; qu'il convient dès lors de déterminer dans le présent cas d' espèce si les deux conditions cumulatives de l'article L.455-1-1 du code de la sécurité sociale sont réunies, soit la survenue de l'accident sur une voie ouverte à la circulation publique et l'implication d'un véhicule terrestre à moteur conduit par l'employeur, un préposé ou une personne appartenant à la même entreprise que la victime ; qu'en l'espèce, le chantier était interdit au public comme le démontre plusieurs pièces produites aux débats ; qu'en effet, M. A..., le conducteur de la pelle mécanique, a déclaré aux enquêteurs que "ce chantier est interdit au public et les chemins faits sont donc faits pour les ouvriers" (pièce n°82 d'AXA, PV n°2015/002839/4 page 2) ; que l'inspection du travail, en la personne de Mme C..., inspectrice à la direction régionale à [...], a confirmé aux policiers qu'il s'agissait d'un chantier privé interdit au public (pièce n°82 d'AXA, PV n°2015/002839/8) ; que les enquêteurs ont d'ailleurs constaté dans leur procès-verbal de transport sur les lieux qu'il s'agissait d'un chantier de construction et de restauration d'un domaine privé comprenant cinq chalets d'habitation (pièce n°82 d'AXA, PV n°2015/002839/02) ; qu'il y est précisé "on pénètre sur le chantier par une voie carrossable privée, qui aborde la voie publique à l'angle de la [...] et de la [...] (...). Cette voie qui dessert les chalets est bordée d‘un chemin engravillonné séparé de la voie carrossable par des filets oranges sur toute la longueur (...). Constatons que la pelleteuse sur chenilles est à l'arrêt dans la voie carrossable face à un chalet " ; que le plan particulier de sécurité et de protection de la santé prévoyait enfin les dispositions suivantes : "Les travaux seront réalisés dans des zones isolées par des barrières de chantier, strictement interdites d ‘accès au public ", "l'entrée du chantier se fera par un portail d'entrée fermant à clé (...). Une grande attention sera également portée au maintien en bon état des barrières de chantier afin d'éviter des intrusions accidentelles sur le chantier en dehors des heures travaillées. Le chef de chantier ne quittera pas le chantier en fin de journée sans s'être personnellement assuré de la fermeture complète des barrières de chantier et du bon état de la signalisation temporaire" ; qu'il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que le chantier se déroulait sur un domaine privé qui était interdit d'accès au public ; que les pièces produites par les demandeurs sont pour leur part insuffisantes à contester cet état de fait ; qu'ainsi, les attestations de MM. E..., K..., P... et G... (pièces n°52 à 54 et 85 à 89 de M. H...) semblent rédigées selon deux modèles, de manière identique ou quasi-identique, laissant supposer qu'elles ont été établies en opportunité ; que les attestations datant de 2016 (pièces n°85 à 89) comportent en tout état de cause un aspect contradictoire, les rédacteurs n'excluant pas totalement le fait que le chantier était pour partie fermé au public: l'ensemble du chantier était ouvert pour une large part à la circulation du public " ; que l'attestation de Mme H... ne peut quant à elle être retenue dans la mesure où elle présente un aspect subjectif émanant à la fois de l'épouse de la victime et d'une partie constituée dans la présente procédure ; que l'ensemble de ces attestations, dont le caractère impartial n'est pas assuré, ne peuvent suffire à démontrer que la voie sur laquelle a eu lieu l'accident était ouverte à la circulation publique, sachant que les éléments précédemment visés corroborent au contraire l'absence d'accès du chantier au public ; que dans ces conditions, il sera constaté que la survenue de l'accident a eu lieu sur une voie qui n'était pas ouverte à la circulation publique ; que les exigences de l'article L.455-1-1 du code de la sécurité sociale ne sont donc pas remplies et les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 n'ont de ce fait pas vocation à s'appliquer ; qu'en conséquence, il conviendra de se déclarer incompétent et de renvoyer M. et Mme H... devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Savoie » ;
ALORS QUE le conjoint de la victime d'un accident du travail, lorsque cette victime a survécu, n'a pas la qualité d'ayant droit, au sens de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale et peut, dès lors, être indemnisé de son préjudice personnel selon les règles du droit commun ; qu'en déclarant le tribunal de grande instance incompétent au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale pour connaître de la demande d'indemnisation du préjudice personnel de Mme H..., épouse de M. H..., victime d'un accident du travail y ayant survécu, la cour d'appel a violé les articles L. 142-1 et L. 451-1 et du code de la sécurité sociale et l'article L.211-3 du code de l'organisation judiciaire.