LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1844-8 du même code ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par assemblée générale du 16 juin 2008, les associés de la société coopérative agricole Les Collines de l'Agly (la coopérative) ont décidé de sa liquidation amiable ; que, reprochant à son ancien président, M. Q..., d'avoir unilatéralement minoré le prix d'un contrat de vente conclu avec la société Socodivin, depuis lors mise en liquidation judiciaire, les liquidateurs de la coopérative l'ont assigné en réparation du préjudice patrimonial subséquent ;
Attendu que, pour rejeter cette demande fondée sur l'existence d'une perte de chance de recouvrer la différence de prix litigieuse, après avoir admis que M. Q... avait commis une faute, l'arrêt retient que la créance de la coopérative, déclarée au passif de la procédure collective, n'a manifestement que peu de chances d'être recouvrée ;
Qu'en statuant ainsi, alors que toute perte de chance ouvre droit à réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société coopérative agricole Les Collines de l'Agly tendant au paiement d'une somme de 143 485,94 euros au titre de son préjudice patrimonial, l'arrêt rendu le 3 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;
Condamne M. Q... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Les Collines de l'Agly
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la faute de gestion commise à raison de la vente de 4706 hl de muscat le 7 janvier 2005 à un prix inférieur à celui du contrat sans en informer le conseil d'administration de la SCAV Les Collines de l'Agly était sans lien avec le préjudice allégué par la SCAV Les Collines de l'Agly et d'AVOIR, en conséquence, débouté la SCAV Les Collines de l'Agly de sa demande tendant à la condamnation de Monsieur X... Q... à lui payer la somme de 143485,94 euros ;
AUX MOTIFS PROPRES QU' « il résulte des termes du procès-verbal de réunion du conseil d'administration de la SCAV dans sa séance du 1er mars 2005, au chapitre 2 "marché des muscats de Rivesaltes" que M. I... a rappelé la situation préoccupante des muscats en général puisque le prix semblait s'être fixé à la baisse aux alentours de 200 euros/hl. Il était précisé que concernant la cave, un contrat de 5.000 hls sur 2003 avait été conclu avec la société Socodivin ainsi que 4.000 hls de VDH, ce qui assurait la perspective d'un financement jusqu'en juin 2006. Le contrat du 7 janvier 2005 conclu avec Socodivin prévoyait effectivement un prix de départ hors taxes de 200 euros l'hl alors que le vin a finalement été vendu à un prix moindre. II n'est pas contestable que les conditions du marché des vins doux étaient alors particulièrement défavorables et que la société Socodivin était un client important, voir incontournable et donc en position de force pour imposer une baisse de prix. Mais dans la mesure où il résulte des statuts de la SCAV que le conseil se prononce sur tous marchés ou traités, M. Q... devait effectivement réunir le conseil d'administration pour l'informer et demander une baisse du prix de vente, compte tenu du manque à gagner substantiel en découlant. M. Q... entend rapporter par attestations la preuve d'avoir néanmoins avisé le conseil de cette baisse de prix mais outre le fait qu'aucun procès-verbal du conseil n'entérine ses dires, les témoins se contentent d'affirmer qu'ils étaient présents lors de la réunion, qu'ils ont eu une réunion avec M. T... et qu'aucun reproche ne doit être fait à M. Q... dont la loyauté ne peut être contestée mais aucun témoin ne révèle que M. Q... a réuni tout le conseil pour discuter de la nécessité d'une baisse de prix. Ces attestations sont en conséquence inopérantes. Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu le comportement fautif de M. Q... en ce qu'il n'a pas sollicité le conseil d'administration pour conclure la vente de vin à un prix inférieur au prix convenu. Sur l'existence d'un préjudice subi par l'appelante et consécutif à cette attitude fautive, il résulte des éléments du dossier que l'effondrement du marché du vin doux a conduit à la déconfiture de la société Socodivin, ce qui a été à l'origine du non-paiement de la vente de vin litigieuse. La SCAV a ainsi procédé à une déclaration de créance à titre chirographaire du 21 mars 2006 pour 854.368,88 euros dont 268.155 euros échus. Cette créance très importante n'a manifestement que peu de chances d'être recouvrée bien que très peu d'éléments ne soient fournis à ce titre mais le non-paiement des factures par l'acheteur n'est pas la conséquence de la baisse du prix de vente du vin. De même, il n'est pas établi que si M. Q... avait rempli son obligation d'information, le vin aurait pu être vendu au prix initialement prévu, ce qui ne tenait pas compte de la réalité du marché des vins doux à l'époque, des difficultés financières de la société Socodivin et de la nécessité de réaliser la vente. Par ailleurs, le comportement déloyal imputé à M. Q..., lequel a bénéficié d'un non-lieu, n'est étayé par aucun élément concret. Même si des décisions de justice rendues à rencontre de M. T... et soulignant son comportement frauduleux sont versées aux débats par l'appelante, aucune collusion entre MM. Q... et T... et préjudiciable à l'appelante n'est établie concrètement et M. Q... n'a retiré aucun bénéfice financier de la vente de vin à prix baissé mais il subissait au contraire lui-même un préjudice du fait de cette baisse de prix comme les autres membres de la coopérative. De même, le litige prud'homal généré par les conditions du départ de M. I... est sans rapport avec la vente de vin. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a justement constaté que la faute de M. Q... était sans lien avec le préjudice financier allégué par la SCAV les Collines de l'Agly et rejeté ses demandes à ce titre » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU' « il n'est pas contesté par Monsieur Q... qu'il n'a pas sollicité formellement le conseil d'administration de la coopérative afin de vendre le muscat, objet de la vente litigieuse du 7 janvier 2005, à un prix inférieur à ce qui était convenu ; Que les attestations produites par Monsieur Q..., rédigées en des termes généraux, n'apportent aucun élément précis s'agissant de l'éventuelle connaissance des membres du conseil d'administration de ce que la vente aurait finalement lieu à un prix inférieur à celui indiqué dans le contrat de vente du 7 janvier 2005 ; Que les membres du conseil d'administration de la coopérative avaient certes été informés de ce que le prix de vente du muscat était à la baisse lors de la réunion du 1 mars 2005, mais qu' il leur avait été indiqué que le prix moyen de l'hectolitre était d'environ 200 euros ; Qu'ainsi il est avéré que Monsieur Q... a vendu de la marchandise à un prix sensiblement inférieur à ce qui était contractuellement prévu et annoncé, sans qu'il soit établi que les membres du conseil d'administration de la coopérative en soient avertis ; Que si les conditions du marché viticole peuvent expliquer la décision de Monsieur Q..., il reste que rien n'empêchait ce dernier de solliciter une réunion du conseil d'administration afin de l'informer de cette difficulté et d'être autorisé à vendre à un prix inférieur que celui initialement prévu, s'agissant tout de même d'un manque à gagner de 143485,94 euros ; Qu'en conséquence il peut être retenu à rencontre de Monsieur Q... une faute ayant consisté à vendre du vin à un prix inférieur à ce qui était convenu au contrat du 7 janvier 2005 sans avoir été autorisé à agir en ce sens par le conseil d'administration de la coopérative ; qu'il n'est toutefois établi, en l'espèce, ni le lien de causalité entre la faute ainsi constituée et le préjudice revendiqué, ni même la réalité du préjudice financier allégué ; Qu'en effet, ainsi que le fait justement remarquer Monsieur Q..., si la SCAV Les Collines de l'Agly n'a pas été payée de la vente litigieuse, c'est davantage en raison de l'effondrement du marché viticole, ayant conduit à la déconfiture de la société Socodivin, désormais en procédure de liquidation judiciaire, que de la baisse de prix décidée unilatéralement par le défendeur ; Qu'en toutes hypothèses, la créance de la coopérative, ne serait-ce qu'en son montant non négligeable de 556538,47 euros déjà déclarée à la procédure collective de la société Socodivin, a manifestement peu de chances d'être recouvrée en l'état de la liquidation judiciaire de la société Socodivin, sous réserve, éventuellement, de la réalisation éventuelle de quelque actif à laquelle les parties, à la lecture de leurs conclusions, ne croient plus guère ; Que le fait que Monsieur T... ait été condamné à la faillite personnelle, soumettant ainsi son patrimoine personnel aux créanciers de la procédure collective, n'est pas en lien direct avec la faute commise par Monsieur Q..., aucun élément n'étant, au demeurant, produit s'agissant de la consistance de ce patrimoine ; Que le Tribunal, enfin, ne dispose d'aucun élément issu de la procédure collective de la société Socodivin pour dire si la SCAV Les Collines de l'Agly aurait vocation à recevoir quelque somme que ce soit, encore moins à concurrence du montant réel de la facture litigieuse du 7 janvier 2005 ; qu'il résulte de l'ensemble des motifs ci-dessus développés que si Monsieur Q... a commis une faute dans l'exercice de son mandat de président de la coopérative, il reste qu'elle est sans lien avec le préjudice financier allégué par la demanderesse » ;
ALORS, d'une part, QUE la perte certaine d'une chance même faible, est indemnisable ; qu'en écartant toute indemnisation au titre de la perte de chance après avoir relevé que la créance litigieuse n'a manifestement que peu de chances d'être recouvrée, la Cour d'appel n'a pas exclu toute probabilité de recouvrement et a ainsi méconnu le sens et la portée des articles 1989 à 1992 du code civil, 23, 24 , 26-2 et 26-7 des statuts de la coopérative, 1844-8 du code civil et 237-24 du code de commerce
ALORS, d'autre part et en toute hypothèse, QU'en écartant toute indemnisation au titre de la perte de chance après avoir relevé que la créance litigieuse n'a manifestement que peu de chances d'être recouvrée sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les chances de recouvrement de la créance litigieuse n'étaient pas renforcées par la faillite personnelle de Monsieur T... prononcée par l'arrêt du 12 février 2015 de la Cour d'appel de Montpellier, le rendant débiteur sur son propre patrimoine du passif de la société Socodivin, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1989 à 1992 du code civil, 23, 24 , 26-2 et 26-7 des statuts de la coopérative, 1844-8 du code civil et 237-24 du code de commerce.