LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 171 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 ensemble l'article 1302-1 du code civil ;
Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, les victimes ou leurs ayants droit qui ont été reconnus débiteurs du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) par décision juridictionnelle rendue de manière irrévocable entre le 1er mars 2009 et le 1er mars 2014, à raison de la non-déduction des prestations versées par les organismes de sécurité sociale au titre de l'indemnisation d'un même préjudice ou de l'application, pour le calcul du montant de l'indemnité d'incapacité fonctionnelle permanente, de la valeur du point d'incapacité prévue par un barème autre que celui du fonds, sont réputés avoir définitivement acquis les sommes dont ils étaient redevables ; que tout paiement par les victimes ou leurs ayants droit intervenu à ce titre est devenu indu par l'effet de cette disposition, ce dont il résulte qu'il est sujet à répétition en application du second des textes susvisés ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que O... Q... était atteint d'une maladie occasionnée par l'amiante, dont le caractère professionnel a été reconnu par l'organisme de sécurité sociale, qui lui a alloué des prestations ; qu'il a sollicité l'indemnisation de ses préjudices auprès du FIVA ; que par arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2011 (2e Civ., 10 février 2011, pourvoi n° 09-66.387), l'arrêt fixant l'indemnisation de O... Q... a fait l'objet d'une cassation partielle faute d'avoir déduit des sommes lui revenant les prestations versées par l'organisme de sécurité sociale ; qu'il est décédé des suites de sa pathologie le [...] ; que Mme R... veuve Q..., Mme Q... épouse I..., M. J... Q..., M. Y... Q... et Mme Q... épouse L... (les consorts Q...) ont sollicité l'indemnisation des préjudices à titre personnel ou en qualité d'ayants droit du défunt ; que le FIVA a déduit une partie des prestations versées par l'organisme social, non déduites précédemment, des sommes leur revenant ; qu'à la suite de l'adoption de l'article 171 de la loi du 29 décembre 2015, les consorts Q... ont demandé le remboursement des sommes dont le FIVA avait ainsi obtenu paiement par compensation ;
Attendu que pour débouter les consorts Q... de leur demande de remboursement des compensations opérées en 2014 et 2015 entre leur dette envers le Fonds et des indemnités dues par ces derniers à la suite du décès de leur auteur pour un montant total de 8 322,11 euros, l'arrêt énonce qu'il n'est pas discutable que l'obligation des consorts Q... de payer la dette de leur auteur au FIVA s'est éteinte à due concurrence de cette somme avant même que n'entre en vigueur l'article 171 de la loi de finances du 29 décembre 2015 et que ce texte s'applique à la situation des consorts Q... telle qu'existante à la date de son entrée en vigueur le 1er janvier 2016 sans que cette disposition puisse produire un quelconque effet sur une partie de leur obligation, par définition juridiquement éteinte ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen unique :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ; le condamne à payer à Mme F... R... veuve Q..., Mme S... Q... épouse I..., M. J... Q..., M. Y... Q... et Mme Z... Q... épouse L... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat aux Conseils, pour Mme F... R... veuve Q..., Mme S... Q... épouse I..., M. J... Q..., M. Y... Q... et Mme Z... Q... épouse L...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les consorts Q... de leur demande de remboursement dirigée contre le FIVA ;
AUX MOTIFS QUE les consorts Q... demandent à la cour de condamner le FIVA à lui rembourser la somme de 8.322,11 euros correspondant à trois compensations opérées à son égard par le Fonds, compensations qui n'ont plus de base légale selon les demandeurs depuis l'entrée en vigueur de l'article 171 de la loi de finances du 29 décembre 2015 ; qu'il n'est pas contesté par les parties que le FIVA a opéré courant 2014 et 2015 des compensations entre la dette de M. Q... envers le Fonds et des indemnités dues par ce dernier à cette victime du chef de l'aggravation de son état de santé et de son décès, compensations opérées à concurrence d'une somme de 8.322,11 euros ; qu'il n'est donc pas discutable que l'obligation des consorts Q... de payer sa dette au FIVA s'est éteinte à due concurrence de cette somme et ce, avant même que n'entre en vigueur l'article 171 de la loi de finance du 29 décembre 2015 ainsi libellé : « Les victimes et les ayants droit qui ont été reconnus débiteurs du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante par décision juridictionnelle rendue de manière irrévocable entre le 1er mars 2009 et le 1er mars 2014 à raison de la non déduction des prestations versées par les organismes de sécurité sociale au titre de l'indemnisation d'un même préjudice ou de l'application, pour le calcul de l'indemnité d'incapacité fonctionnelle permanente, de la valeur du point d'incapacité prévu par un barème autre que celui du Fonds, sont réputés avoir définitivement acquis les sommes dont ils étaient redevables » ; qu'à ce titre, il n'est pas davantage contestable que c'est la décision du 10 février 2011 rendue par la Cour de cassation cassant et annulant l'arrêt de la cour de Douai du 5 mars 2009 dûment exécuté par le FIVA qui caractérise le fait par lequel M. Q... puis ses ayants droit sont alors devenus débiteurs du Fonds ; que, pour autant, lorsque l'article 171 sus-rappelé entre en vigueur, la somme de 8.322,11 euros remboursée par les consorts Q... au Fonds est définitivement acquise à ce dernier et les intéressés n'en sont plus redevables au FIVA ; que l'article 171 de la loi du 29 décembre 2015 qui entre en vigueur au 1er janvier 2016 s'applique à la situation en cours des consorts Q... telle qu'existant à cette date et sans que cette disposition puisse produire un quelconque effet sur une partie de leur obligation par définition juridiquement éteinte ; que statuer dans le sens de la demande des consorts Q... reviendrait à reconnaître à l'article 171 sus-rappelé un effet rétroactif que la loi du 29 décembre 2015 ne mentionne pas ; qu'il ne peut dans ces conditions être fait droit à la demande de remboursement des consorts Q..., cette solution, qui n'est que la conséquence directe de l'application de principes juridiques courants, ne caractérisant aucune discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ou du protocole additionnel n° 12, la circonstance que les consorts Q... aient remboursé partiellement la dette de leur auteur au FIVA ne relevant pas « du sexe, de la race, de la couleur, de la langue, de la religion, des opinions politiques ou de toutes autres opinions, de l'origine nationale ou sociale, de l'appartenance à une minorité nationale, de la fortune, de la naissance ou de toute autre situation » ;
1°) ALORS QUE doivent être réputés indus, à la date l'entrée en vigueur de l'article 171 de la loi du 29 décembre 2015, les paiements précédemment effectués par les victimes ou leurs ayants droit entre les mains du FIVA en exécution d'une décision juridictionnelle rendue de manière irrévocable entre le 1er mars 2009 et le 1er mars 2014 à raison de la nondéduction des prestations versées par les organismes de sécurité sociale au titre de l'indemnisation d'un même préjudice ou de l'application, pour le calcul de l'indemnité d'incapacité fonctionnelle permanente, de la valeur du point d'incapacité prévu par un barème autre que celui du Fonds ; qu'en retenant, pour refuser de faire droit à la demande de remboursement des consorts Q..., que le paiement de la dette de leur auteur étant intervenu avant l'entrée en vigueur de l'article 171 de la loi du 29 décembre 2015, celui-ci ne saurait, sauf à lui reconnaître un caractère rétroactif qu'il ne mentionne pas, produire un quelconque effet sur l'obligation de paiement par définition juridiquement éteinte, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble les articles 2 et 1302-1 du code civil.
2°) ALORS en tout état de cause QUE la notion de discrimination au sens de l'article 14 la Convention européenne des droits de l'homme englobe les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu'un autre ; qu'en se fondant, pour écarter le moyen tiré par les consorts Q... de ce que le refus du FIVA de leur rembourser la somme payée avant l'entrée en vigueur de l'article 171 de la loi du 29 décembre 2015 constituait une discrimination injustifiée entre les victimes ayant payé leur dette au Fonds avant la date d'entrée en vigueur de ce texte et les victimes n'ayant pas encore réglé leur dette à cette date, sur la circonstance, inopérante, que le paiement de la dette de leur auteur n'avait pas pour fondement l'une des situations visées par l'article 14 la Convention européenne des droits de l'homme, sans rechercher si la différence de traitement qu'ils dénonçaient reposait sur une justification adéquate, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition conventionnelle.