LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 10 septembre 2018), M. M... et Mme E... se sont mariés sous le régime de la participation aux acquêts, le contrat de mariage stipulant, en cas de dissolution du régime pour une autre cause que le décès des époux, que « les biens affectés à l'exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, seront exclus de la liquidation ». Leur divorce a été prononcé par jugement du 26 septembre 2008. Lors des opérations de liquidation et de partage de leur régime matrimonial, M. M... a demandé que soit constatée la révocation de plein droit de la clause d'exclusion des biens professionnels figurant dans leur contrat de mariage et que ces biens soient intégrés à la liquidation de la créance de participation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. M. M... fait grief à l'arrêt de juger que la clause d'exclusion des biens professionnels insérée dans le contrat de mariage ne constitue pas un avantage matrimonial et, en conséquence, d'ordonner l'exclusion des biens professionnels du calcul des patrimoines originaires et finaux alors « qu'en matière de participation aux acquêts, une clause d'exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation, en cas de dissolution du régime pour une cause autre que le décès de l'un des époux, s'analyse en un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial ; qu'en jugeant, en l'espèce, que la clause d'exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation insérée dans le contrat de mariage des époux M... E... ne constitue pas un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime et donc révoqué de plein droit par le jugement de divorce en application de l'article 265 du code civil, la cour d'appel a violé les articles 265, 1570 et 1572 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 265 du code civil :
3. Les profits que l'un ou l'autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial. Ils sont révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce.
4. Il en résulte qu'une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d'entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial en cas de divorce.
5. Pour dire que la clause d'exclusion des biens professionnels insérée dans le contrat de mariage de M. M... et Mme E... ne constitue pas un avantage matrimonial et ordonner, en conséquence, l'exclusion de leurs biens professionnels du calcul de leurs patrimoines originaires et finaux, l'arrêt retient que la notion d'avantage matrimonial est attachée au régime de communauté et que les futurs époux, en excluant leurs biens professionnels, ont voulu se rapprocher partiellement du régime séparatiste, sans pour autant en tirer toutes les conséquences sur leurs biens non professionnels. Il ajoute qu'en adoptant un tel régime, dès lors que Mme E... était pharmacienne et M. M... directeur d'un laboratoire d'analyses, ils entendaient rester maîtres chacun de la gestion de leur outil de travail et de son développement futur tout en permettant à l'autre de profiter pendant le mariage des revenus tirés de l'activité, voire à le protéger si le bien professionnel était totalement déprécié.
6. En statuant ainsi, alors que cette clause constituait un avantage matrimonial révoqué de plein droit par le divorce, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit et juge que la clause d'exclusion des biens professionnels insérée dans le contrat de mariage de M. M... et de Mme E... ne constitue pas un avantage matrimonial et ordonne en conséquence l'exclusion de leurs biens professionnels du calcul des patrimoines originaires et finaux, l'arrêt rendu le 10 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne Mme E... aux dépens ;
En application l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. M...
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que la clause d'exclusion des biens professionnels insérée dans le contrat de mariage de M. M... et de Mme E... ne constituait pas un avantage matrimonial et d'avoir, en conséquence, ordonné l'exclusion des biens professionnels de M. M... et Mme E... du calcul des patrimoines originaires et finaux ;
Aux motifs que, « Attendu que conformément à l'article 1569 du code civil le régime de la participation aux acquêts fonctionne pendant la durée du mariage comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens et à la dissolution du régime, chacun des époux a alors le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l'autre et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final ;
Que le régime né séparatiste bascule au final dans une aspiration communautaire en permettant d'associer au moment de la dissolution les deux époux à leurs gains mutuels acquis durant le mariage par le biais d'une créance de participation ;
Attendu que tout en optant pour ce régime, et non pour un régime séparatiste, les époux ont entendu exclure de la créance de participation leurs biens professionnels ;
Attendu que conformément à l'article 1527 du code civil les avantages que l'un ou l'autre des époux peut retirer des clauses d'une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier, ou des dettes, ne sont point regardés comme des donations ;
Attendu qu'enfin et conformément à l'article 265 alinéa 2 du code civil, le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l'union, sauf volonté contraire de l'époux qui les a consentis ;
Attendu que par application de l'article 1581 du code civil, en stipulant la participation aux acquêts, les époux peuvent adopter toutes clauses non contraires aux articles 1387, 1388 et 1389 ;
Attendu que l'intention des deux futurs époux en insérant cette clause d'exclusion dans leur contrat de mariage est parfaitement claire et non équivoque, que la clause est ainsi libellée :
" Sauf si la dissolution du régime résulte du décès des deux futurs époux, les biens affectés l'exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, seront exclus de la liquidation " ;
Qu'elle est par ailleurs complétée par l'énumération des biens devant être exclus du patrimoine final, à savoir :
- des équipements matériels divers servant aux soins et à la réception de la clientèle,
- la valeur du droit de présentation de la clientèle à tout successeur,
- le droit au bail des locaux dans lesquels ils exerceront leur activité professionnelle,
- les parts ou actions de toutes sociétés de moyens, sociétés civiles professionnelles ou sociétés de toute forme dont I 'objet sera l'exercice de leur profession libérale ou commerciale,
Qu'il ne s'agit donc pas d'une simple clause de style mais bien d'une volonté des futurs époux de rechercher dans le cadre de leur liberté contractuelle, tout en adoptant le régime de la participation aux acquêts, une double protection à savoir celle relative à leurs biens professionnels et celle relative au conjoint qui pourra ainsi bénéficier au cours du mariage de l'accroissement des revenus de l'autre du fait de son activité ;
Qu'il est même prévu au contrat que si au jour de la dissolution, il apparaissait que les futurs époux avaient anormalement investi des biens à usage professionnel, dans l'intention de réduire le montant de leurs acquêts, l'excédent serait ajouté au patrimoine final, ce qui est bien la preuve de la volonté des époux de rechercher effectivement cette double protection au regard du régime qu'ils ont choisi ;
Attendu que la notion d'avantage matrimonial est attachée au régime de communauté, que comme rappelé ci-dessus, le régime de la participation aux acquêts fonctionne pendant la durée du mariage comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens et ce n'est qu'à la dissolution du régime qu'il bascule dans une aspiration communautaire ;
Attendu qu'au cas d'espèce les deux futurs époux, en excluant leurs biens professionnels, ont voulu se rapprocher partiellement du régime séparatiste, sans pour autant en tirer toutes les conséquences sur leurs biens non professionnels ;
Qu'en adoptant un tel régime, dès lors que Mme C... E... était pharmacienne et M. Y... M... directeur d'un laboratoire d'analyses, ils entendaient rester maîtres chacun de la gestion de leur outil de travail et de son développement futur tout en permettant à l'autre de profiter pendant le mariage des revenus tirés de l'activité, voire à le protéger au final si le bien professionnel était totalement déprécié ;
Attendu que dès lors et au cas d'espèce la clause d'exclusion insérée dans le contrat de mariage des deux époux ne constitue pas un avantage matrimonial qui est révoquée de plein droit par le jugement de divorce, les biens professionnels devant dès lors être exclus du calcul des patrimoines originaires et finaux de M. Y... M... et de Mme C... E... » (arrêt, pp. 5-6).
Alors que, en matière de participation aux acquêts, une clause d'exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation, en cas de dissolution du régime pour une cause autre que le décès de l'un des époux, s'analyse en un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial ; qu'en jugeant, en l'espèce, que la clause d'exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation insérée dans le contrat de mariage des époux M... E... ne constitue pas un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime et donc révoqué de plein droit par le jugement de divorce en application de l'article 265 du code civil, la cour d'appel a violé les articles 265, 1570 et 1572 du code civil.