LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 14 septembre 2017), Q... P... et L... G..., son épouse, sont respectivement décédés les [...] et [...], laissant pour leur succéder leurs trois enfants, I..., D... et B....
2. Mme B... J... a assigné ses deux frères aux fins de se voir reconnaître bénéficiaire d'une créance de salaire différé pour la période du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. I... P... fait grief à l'arrêt de dire que Mme J... est titulaire d'une créance de salaire différé pour la période du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974, dont le montant sera évalué par le notaire dans les conditions de l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime et inscrit au passif des successions de Q... P... et de L... G..., alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; que, pour juger que Mme P..., épouse J..., était créancière des successions de Q... P... et L... G... au titre d'un salaire différé pour la période du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974, la cour d'appel a retenu qu'elle produisait au soutien de sa demande un relevé de carrière MSA justifiant de l'inscription de Mme P... épouse J... en tant qu'aide familiale auprès de la Mutualité sociale agricole du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974, date de son mariage" ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de l'attestation que Mme P... avait été affiliée auprès de la MSA du Nord du 1er janvier 1972 au 31 décembre 1974,la cour d'appel, qui a dénaturé l'attestation sur laquelle elle s'est fondée, a violé l'article 1134, devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. Sous le couvert d'un grief non fondé de dénaturation, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et des éléments de preuve soumis à leur examen, dont ils ont déduit que Mme J... était titulaire d'une créance de salaire différé.
5. Il ne peut donc être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. I... P... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. I... P... et le condamne à payer à Mme J... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. I... P...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué en date du 14 septembre 2017 d'AVOIR dit que Mme B... P... épouse J... est titulaire d'une créance de salaire différé pour la période du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974, dont le montant sera évalué par le notaire dans les conditions de l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime et inscrit au passif des successions de M. Q... P... et de Mme L... G...
AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur la créance de salaire différé de Madame B... P... épouse J..., Aux termes des dispositions de l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime, les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers ; que la preuve de la créance de salaire différé peut se faire par tout moyen et elle incombe au descendant qui se prétend bénéficiaire qui doit rapporter la preuve d'une exploitation directe et effective à l'exploitation familiale ; qu'au soutien de sa demande, Mme B... P... épouse J... produit aux débats : - treize attestations établies par M. N... HA..., Mme E... O..., Mme R... G..., M. A... S..., Mme B... O... épouse H..., M. K... X..., M. V... Y..., M. C... F..., Mme M... T..., Mme PW... W..., M. I... U..., Mme WE... VP..., Mme IZ... G... faisant état du travail effectué par Mme P... épouse J... au sein de la ferme familiale pendant la période du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974 ; que, si M. I... P... et M. D... P... contestent la nature des travaux réalisés par leur soeur, indiquant qu'elle assumait seulement les tâches ménagères, il résulte notamment de l'attestation de Mme WE... VP... que Mme P... épouse J... « nettoyait la laiterie, baratte à beurre, écrémeuse, pâte à lait, tout cela se faisait manuellement. Elle aidait aussi son père à l'alimentation du bétail. Je la voyais aussi au marché d'[...]. Elle vendait du beurre, fromage au détail » ; que, de même, M. I... U... précise en outre avoir vu Mme P... épouse J... « qui venait chercher les vaches pour la traite et cela matin et soir » ainsi que l'avoir vu « aider son père pour l'alimentation du Bétail » et « nettoyer le matériel de traite de la laiterie » ;
qu'en outre, M. F... et Mme T... indiquent tous deux avoir vu B... P... épouse J... aider son père sur l'exploitation, la traite et l'alimentation des bovins et faire le marché avec sa mère ; qu'outre la multiplicité des attestations produites, par Mme P... Veuve J... et leur caractère particulièrement circonstancié , la cour relève qu'elles ont été établies par des témoins déjà majeurs en 1968 tels que M. U..., Mme VP... et Mme T... ou ayant atteint leur majorité pendant la période concernée, sans que la fiabilité de leur témoignage ne puisse être valablement remis en cause ; qu'enfin, Mme P... épouse J... justifie de son absence de rémunération en contrepartie du travail fourni ; ainsi M. A... S... fait état de son activité sur l'exploitation familiale en tant « qu'aide familiale non rémunérée » et Mme R... G... précise qu' « elle n'avait qu'un peu d'argent le dimanche pour sortir, et ce, ponctuellement » ; - un relevé de carrière MSA justifiant de l'inscription de Mme P... épouse J... en tant qu'aide familiale auprès de la Mutualité sociale agricole du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974, date de son mariage ; que, dès lors, la preuve de la participation directe et effective de Mme P... épouse J... à l'exploitation familiale est rapportée en l'espèce, les nombreuses attestations produites étant corroborées par l'inscription de l'intéressée auprès de la MSA, sans que les attestations produites aux débats par les appelants et faisant état de l'absence d'activité de Mme J... à la ferme soient suffisantes à rapporter la preuve contraire, compte tenu du contexte familial particulièrement conflictuel ; qu'en conséquence, il y a lieu de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré Mme P... épouse J... créancière au titre d'un salaire différé pour la période du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974 sur les successions de M. Q... P... et de Mme L... G... épouse P... cette créance étant liquidée par le notaire dans le cadre des opérations de liquidation et de partage ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE, Sur les créances de salaire différé, l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime dispose que les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers ; que, sur les créances de salaire différé de Mme B... P... épouse J..., il est constant que Mme B... P... épouse J... est l'un des trois enfants des époux P..., et qu'elle a donc la qualité de descendante, ce qui fait qu'elle peut bénéficier d'un salaire différé, à condition qu'elle démontre avoir participé directement et effectivement à l'exploitation agricole sans avoir été associée aux bénéfices ni pertes, et sans avoir reçu de salaire en contrepartie de sa collaboration ; qu'en application de l'article L. 321- 19 du code rural et de la pêche maritime, cette preuve peut être apportée par tous moyens ;
que la réalité de cette participation directe et effective est suffisamment démontrée par les nombreuses attestations qu'elle verse au débat, et que M. I... P... se contente de qualifier de témoignages de complaisance, mais sans expliquer les raisons concrètes qui permettent de douter de leur véracité ; qu'il résulte ainsi de l'attestation de Monsieur HA... que Mme B... P... épouse J... a travaillé avec ses parents, en participant à la traite, au marché, pour une période du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974, ce que confirme Mme O... ; que Mme G..., cousine de Mme B... P... épouse J... explique que celle-ci participé aux travaux de la ferme, soit la traite des bovins le matin et le soir, le détail du beurre, et les marchés sans recevoir de contrepartie financière qui sauve à bénéficier de manière très ponctuelle d'un peu d'argent le dimanche pour pouvoir sortir, ce qui ne peut être assimilé à un salaire au sens de l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime ; qu'il en est de même du témoignage de Monsieur I... U..., particulièrement détaillé, celui-ci étant un voisin de l'exploitation agricole, qui précise avoir vu Mme B... P... épouse J... chercher des vaches pour la traite, matin et le soir, et qu'à l'occasion du travail qu'il effectue et lui-même dans les étables, il a vu Madame B... P... épouse J... aider son père pour alimenter le bétail, et nettoyer le matériel ; que cinq autres témoins vont dans le même sens, dont Monsieur K... X..., qui indique qu'il exploitait à [...] un atelier et qu'il vendait du matériel agricole entre mars 1968 et 19 octobre 1974, ce qui l'a amené à dépanner le matériel de Monsieur P..., et en particulier sa machine à traire, en confirmant que sa fille faisait parfois la traite toute seule ; que ces attestations ne peuvent être remises en cause par les témoignages de MM. VT... et LC..., qui sont rédigés en termes strictement identiques, généraux et évasifs, ce qui fait qu'aucune valeur probante ne s'y attache ; que ces éléments, qui caractérisent une participation directe et effective, sont objectivés épar l'inscription de Mme B... P... épouse J... auprès de la Mutualité Sociale Agricole, qui, même si elle ne justifie pas à elle seule la location d'une créance de salaire différé, corrobore l'exactitude des faits relatés par les témoins, de sorte qu'il y a lieu de déclarer Madame B... P... épouse J... créancière au titre d'un salaire différé pour la période du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974 sur les successions de M. Q... P... et de Mme L... G... ; que Mme B... P... épouse J... ne demande pas la fixation de sa créance de salaire différé, et le juge ne peut se prononcer que sur ce qui lui est demandé de sorte que il y a lieu de la renvoyer devant le notaire qui procédera à l'évaluation de celle-ci, en se fondent sur l'article L. 321-13 do code rural et de la pêche maritime, qui dispose que le taux annuel du salaire sera égal, pour chacune des années de participation, à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2.080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur, soit au jour du partage consécutif au décès de l'exploitant, soit au plus tard à la date du règlement de la créance, si ce règlement intervient du vivent de l'exploitant ;
ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; que pour juger que Mme P... épouse J... était créancière des successions de Q... P... et L... G... au titre d'un salaire différé pour la période du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974, la cour d'appel a retenu qu'elle produisait au soutien de sa demande « un relevé de carrière MSA justifiant de l'inscription de Mme P... épouse J... en tant qu'aide familiale auprès de la Mutualité sociale agricole du 30 mars 1968 au 19 octobre 1974, date de son mariage » ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de l'attestation que Mme P... avait été affiliée auprès de la MSA du Nord du 1er janvier 1972 au 31 décembre 1974, la cour d'appel, qui a dénaturé l'attestation sur laquelle elle s'est fondée, a violé l'article 1134, devenu 1103 du code civil.