LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 janvier 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 118 FS-D
Pourvoi n° R 18-15.542
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. L....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 13 novembre 2018.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2020
La Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (Cipav), dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° R 18-15.542 contre l'arrêt rendu le 8 mars 2018 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant à M. Y... L..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
Intervenant volontaire : La directrice de la sécurité sociale, domiciliée ministère de l'action et des comptes publics, direction de la sécurité sociale, [...] ,
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le Défenseur des droits a présenté des observations en application de l'article 33 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vigneras, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse, de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. L..., et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2019 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vigneras, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, Mmes Vieillard, Taillandier-Thomas, Coutou, Renault-Malignac, conseillers, Mmes Brinet, Palle, Le Fischer, M. Gauthier, Mme Dudit, conseillers référendaires, M. de Monteynard, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Sur l'intervention volontaire de la directrice de la sécurité sociale :
Attendu que par un mémoire enregistré le 18 novembre 2019, la directrice de la sécurité sociale est intervenue volontairement à l'instance ; qu'il ne résulte pas de ce document que cette intervention ait été faite au nom et par délégation des ministres chargés de la sécurité sociale ; qu'elle doit, par suite, être déclarée irrecevable ;
Sur le moyen présenté par le mémoire complémentaire de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse :
Attendu qu'il y a lieu de déclarer irrecevable le moyen tiré de la violation du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié, développé par le demandeur au pourvoi dans un mémoire en réplique produit après l'expiration du délai prévu à l'article 978 du code de procédure civile ;
Et sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 mars 2018), que M. L... (l'assuré), exerçant une profession libérale et affilié à ce titre à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (la CIPAV), a opté pour le régime de l'auto-entrepreneur de 2010 à 2014 ; que contestant le nombre de points de retraite complémentaire attribué par la CIPAV au titre de cette période, il a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;
Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt de faire droit à ce dernier alors, selon le moyen, que le montant des pensions de retraite doit nécessairement être proportionnel aux cotisations versées ; que ce principe résulte du caractère contributif du système de retraite français dans le cadre duquel les retraités perçoivent une pension proportionnelle à leur contribution au système ; que de la date de la création du régime des auto-entrepreneurs jusqu'au 1er janvier 2016, les personnes affiliées à ce régime bénéficiaient, en contrepartie du paiement de leurs cotisations calculées de façon forfaitaire auxquelles venait s'ajouter un différentiel versé par l'Etat, de l'ouverture de droits au titre de l'assurance vieillesse complémentaire ; que compte tenu des spécificités du régime de retraite complémentaire de la CIPAV, l'Etat a calculé ce différentiel sur la base d'une cotisation de référence égale à « la plus faible cotisation non nulle » dont ces assurés auraient pu être redevables en fonction de leur activité en application des dispositions de droits commun; que la « plus faible cotisation non nulle » dont peut bénéficier un professionnel libéral est la cotisation réduite conformément aux dispositions des statuts de la CIPAV ; que c'est donc sur la base de cette « plus faible cotisation non nulle » que la CIPAV a déterminé les droits de M. L... à l'assurance vieillesse complémentaire ; qu'en retenant, pour faire droit à la demande de M. L... qui souhaitait voir ses droits calculés sur la base qui aurait été retenue au profit d'un assuré qui, affilié directement à ce régime, n'aurait pas sollicité pareil abattement, que M. L... n'avait jamais sollicité une telle réduction et qu'il n'était pas établi qu'il aurait relevé de l'article 3.12 ou 3.12 bis des statuts, la cour d'appel a déduit un motif inopérant et violé ensemble les articles L. 133-6-8, L. 131-7 et R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale dans leurs versions applicables en l'espèce et le principe selon lequel le montant des pensions de retraite est proportionnel aux cotisations versées ;
Mais attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié, seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV, que ce nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affilié, déterminée en fonction de son revenu d'activité ;
Et attendu qu'après avoir rappelé le principe selon lequel le montant des pensions de retraite est proportionnel aux cotisations versées, l'arrêt énonce à bon droit, d'une part, qu'il n'existe pas de lien direct et impératif entre l'absence de compensation appropriée par l'Etat des ressources de la CIPAV et le montant des prestations que celle-ci sert à ses affiliés, d'autre part, que les dispositions des articles 3.12 ou 3.12 bis de ses statuts n'étaient pas applicables à l'assuré ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Déclare irrecevable l'intervention volontaire de la directrice de la sécurité sociale ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse ; la condamne à payer à la SCP Le Bret-Desaché la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse
Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR rectifié les points de retraite complémentaire acquis par Monsieur Y... L... sur la période des années 2010 à 2014 à 192 points, soit 40 points pour les années 2010 à 2012 et 36 points pour les années 2013 et 2014, ordonné en conséquence la révision du montant de la pension de retraite complémentaire accordée à Monsieur L... depuis le 1er janvier 2015, condamné la CIPAV à verser à Monsieur L... les arrérages de pension de retraite complémentaire dus depuis le 1er janvier 2015, majorés de l'intérêt légal depuis cette date, avec capitalisation des intérêts, dans un délai de 30 jours à compter de la notification du jugement et, passé ce délai, sous astreinte de 100 € par jour de retard, condamné la CIPAV à verser à Monsieur L... la somme de 1.500 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par la minoration de ses points de retraite complémentaire et 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre la somme de 1 500 euros de ce chef en appel ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « A toutes fins, la cour rappelle ici que le litige porte exclusivement, à titre principal, sur les modalités de calcul des droits à la retraite de M. L... au titre du régime complémentaire, pour la période où il a exercé en qualité d'auto- entrepreneur (2010-2014).
Sur la demande de révision de la pension de retraite complémentaire
A l'appui de son appel, la CIPAV fait notamment valoir, s'agissant du calcul de la retraite complémentaire, que le régime de l'auto-entrepreneuriat permet de simplifier et d'alléger, pour le travailleur indépendant, les formalités liées au calcul et au paiement de l'ensemble des cotisations et contributions sociales, que cette simplification du mode de calcul se traduit par l'application d'un taux unique de cotisations de 22,9 % lié au chiffre d'affaires déclaré, couvrant l'ensemble des cotisations et contributions sociales de l'auto entrepreneur, que ce taux est largement inférieur aux taux cotisés par le professionnel libéral classique, qu'il s'ensuit que le professionnel exerçant sous le statut d'auto- entrepreneur, acquiert moins de droit.
La CIPAV souligne que c'est l'ACOSS, caisse nationale du réseau des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et des allocations familiales (URSSAF) qui est ‘chargée d'enregistrer les différents éléments affectant l'activité de l'auto- entrepreneur avant d'en informer' la CIPAV et que c'est l'ACOSS qui est chargée de reverser à la CIPAV les cotisations collectées au titre, entre autres, du régime de retraite complémentaire.
La CIPAV affirme qu'elle a fait application des dispositions de ses statuts (article 3.12) prévoyant l'application d'une réduction de 75%, 50% ou 25% à la première classe de cotisation en fonction des revenus.
La CIPAV soutient ainsi que ‘afin toutefois que ce taux minoré soit sans incidence sur les droits ouverts aux auto-entrepreneurs, la loi a prévu (...) de 2009 à 2015 (le système a été modifié à compter du 1er janvier 2016) le versement d'une compensation de l'État aux régimes de protection sociale pour couvrir la perte de recette induite, dans des conditions assurant une ‘cotisation au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables' (en gras comme dans l'original des conclusions ; souligné par la cour). Ainsi, la CIPAV recevait un total correspondant au montant des cotisations collectées par l'ACOSS, éventuellement complété de la compensation de l'État. C'est l'ACOSS qui calcule celle-ci.
Et la CIPAV se base sur les cotisations reversées par l'ACOSS ‘pour déterminer les droits des auto entrepreneurs au titre du régime complémentaire.'
Pour la CIPAV, plus on cotise plus on a de droit ; si on ne cotise pas, on ne se crée pas de droit.
Selon la CIPAV, ce mode de calcul a été validé par la Cour des comptes (rapport public annuel 2017), qui soulignait que, si le micro-entrepreneur le souhaitait, il pouvait s'acquitter d'un montant forfaitaire de cotisations supérieur à celui pris en compte (par le système de la microentreprise) il pouvait opter pour le dispositif de droit commun.
C'est sur cette base qu'ont été déterminés les droits de M. L....
La CIPAV prend l'exemple de l'année 2013. Cette année-là, le bénéfice non commercial de M. L... s'est élevé à la somme de 20 328 euros, soit en nombre de points:
- 0 point pour un revenu inférieur à 5456 euros ; 100% de réduction.
- 9 points pour un revenu compris entre 5461 euros et 20 421 euros, ce qui est le cas en l'espèce ; 75% de réduction.
- 18 points pour un revenu compris entre 20 421 euros et 24 668 euros ; 50% de réduction.
- 27 points pour un revenu compris entre 24 669 euros et 32 285 euros ; 25% de réduction.
Il ne pouvait être reproché à la CIPAV de ne pas avoir prévu dans ses statuts de dispositif spécifique pour les auto-entrepreneurs et encore cette contestation de M. L... était-elle inexacte puisque, précisément, la CIPAV avait modifié ses statuts (article 3.12 bis) pour tenir compte des auto-entrepreneurs ne bénéficiant pas du mécanisme de compensation de l'État.
C'est dans ces conditions que la CIPAV avait alloué à M. L... : 10 points pour l'année 2010 ; 20 points pour l'année 2011 et 20 points pour l'année 2012 ; 9 points pour l'année 2013 et 9 points pour l'année 2014.
M. Y... L... fait notamment valoir, pour sa part, que la Cour des comptes a (au contraire), dans son rapport de février 2017, ‘mis en lumière l'illégalité commise par la CIPAV à l'endroit des 320 000 auto-entrepreneurs affiliés auprès d'elle dont les points de retraite complémentaire sont minorés sans fondement légal.'
M. L... considère que le décret n°79-262 du 21 mars 1979 est seul applicable ‘à la cotisation retraite complémentaire de tout professionnel libéral affilié à la CIPAV', lequel n'a fait l'objet d'aucune adaptation consécutivement à la création du statut de l'auto-entrepreneur par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.
Le décret du 21 mars 1979 prévoyait six classes de cotisations. Il a été modifié par le décret du 28 décembre 2012 (à effet au 1er janvier 2013) qui prévoit huit classes de cotisations. Puisqu'une adaptation était nécessaire, elle aurait dû être entreprise par décret (article L. 644-1 de ce code et article 2 issu du décret du 21 mars 1979 modifié par le décret du 28 décembre 2012).
Selon M. L..., conformément aux dispositions applicables, compte tenu de ses revenus, il pouvait prétendre à : 40 points pour l'année 2010, 40 points pour l'année 2011, 40 points pour l'année 2012, 36 points pour l'année 2013, 36 points pour l'année 2014.
Or la CIPAV lui avait alloué: 10 points pour 2010 (75% de réduction), 20 points pour 2011 (50% de réduction), 20 points pour 2012 (50% de réduction), 9 points en 2013 (75% de réduction par rapport aux 36 points dus) et 9 points en 2014 (idem).
Ce qui, en soi, démontre une "pratique de pure opportunité" de la part de la CIPAV.
D'autant que l'assiette de revenu prise en compte par la CIPAV ne correspondait pas au bénéfice réalisé par M. L.... Il n'y avait ainsi pas d'explication rationnelle à ce que la CIPAV retienne une réduction de 75 pour l'année 2013 alors que, à supposer même que M. L... l'ait demandé (ce qu'il n'avait au demeurant pas fait), la réduction aurait été de 50% vu sa tranche de revenu (même à retenir celle déterminée par la CIPAV).
S'agissant du régime de compensation par l'État des organismes de sécurité sociale sur le régime des auto-entrepreneurs, il était applicable jusqu'au 31 décembre 2015. Pour limiter la charge de compensation incombant à l'État, la CIPAV a donc décidé une minoration de droits, laquelle ne repose sur aucun fondement.
La Cour des Comptes l'avait déjà fait observer dans son rapport 2014 et avait persisté dans sa critique dans son rapport 2017.
Ainsi, il convenait de retenir que ‘la ‘cotisation du quart de la classe A' (selon la nomenclature issue du décret du 28 décembre 2012) n'existait pas dans la nomenclature du décret de 1979, la réduction de 75% étant une simple faculté conditionnée à une demande expresse dans un délai réduit et applicable sur la base d'une condition de revenu antérieur".
M. L... considère que la ‘CIPAV a maltraité les auto-entrepreneurs et l'Etat en profiterait pour amoindrir son obligation de compensation.'
M. L... sollicite donc la confirmation du jugement, y compris en ce qui concerne son préjudice moral.
« La cour observe, à titre préliminaire, qu'avant même de discuter une éventuelle atteinte au droit de propriété, il conviendrait de vérifier si cette atteinte n'est pas justifiée par le principe, reconnu tant par la jurisprudence nationale que par celle de la Cour européenne des droits de l'homme qu'il n'est pas nécessairement inéquitable de traiter de façon différente des situations différentes. En d'autres termes, la seule circonstance qu'une personne, du fait d'avoir versé moins de cotisations, perçoive une pension moindre ne peut être considérée, en elle-même, comme engendrant une situation d'inégalité de traitement injustifiée ou une atteinte injustifiée à un droit patrimonial.
La question est ici quelque peu différente et a trait au mode de calcul retenu par la CIPAV pour procéder à l'évaluation des droits à retraite de M. L....
La cour ne peut pas ne pas citer, d'emblée, un extrait du rapport public annuel de la Cour des comptes 2017, consacré à la CIPAV. Dans un cadre, intitulé (en gras dans l'original) "Une absence anormale de rétablissement des auto-entrepreneurs dans leurs droits", la Cour des comptes écrit:
Pour encourager à l'adoption du statut d'auto-entrepreneur, ceux-ci ont été assujettis à une cotisation forfaitaire (sur la base de leur chiffre d'affaires) à un taux inférieur à celui applicable aux professionnels libéraux.
Afin toutefois que ce taux minoré soit sans incidence sur les droits ouverts aux auto-entrepreneurs, la loi a prévu, de 2009 à 2015 (cette disposition ayant été supprimée au 1er janvier 2016), le versement d'une compensation de l'État à la CIPAV pour couvrir la perte de recette induite, dans des conditions assurant une cotisation « au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables ». Pour définir cette dernière, la caisse a appliqué systématiquement et automatiquement, sans leur consentement, une disposition de ses statuts permettant aux professionnels libéraux de droit commun de demander expressément, s'ils le souhaitent, en cas de faibles revenus, un abattement sur leurs cotisations se traduisant par une réduction de leurs droits.
L'administration de tutelle, qui n'avait pas contesté ce point lorsque la Cour l'avait précédemment mis en évidence, soutient désormais l'interprétation de la CIPAV, contraire pourtant au caractère incitatif du dispositif, mais qui permet de manière opportuniste un allégement de la charge de compensation de l'État. La Cour réitère sa recommandation de rétablir dans la plénitude de leurs droits les auto-entrepreneurs concernés entre 2009 et 2015, sur la base d'une cotisation minimale recalculée.
Cette observation de la Cour des comptes rejoint celle faite tant par le conseil de M. L... que par le Défenseur des droits.
De fait, la CIPAV réduit le montant des prestations qu'elle sert au titre de la retraite complémentaire, non pas sur un fondement légal ou réglementaire, mais pour pallier l'absence de compensation par l'État à hauteur des sommes qui seraient normalement dues aux auto-entrepreneurs par ailleurs à jour de leurs cotisations sociales (comme il n'est pas contesté que c'est le cas de M. L...).
Cette position reflète exactement celle qu'elle a prise dans sa réponse aux observations formulées par la Cour des comptes dans le rapport 2017, mentionné plus haut.
La CIPAV, faisant référence à l'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale, écrit : "En application de ce texte, le montant de la compensation de l'Etat pour la retraite complémentaire des auto-entrepreneurs relevant de la CIPAV était basé sur la plus faible cotisation non nulle dont l'auto-entrepreneur aurait pu être redevable dans le date du droit commun. Au titre du régime complémentaire CIPAV, la cotisation la plus faible non nulle dont peut être redevable un adhérent est la cotisation de la classe A réduite de 75%. C'est donc naturellement sur cette base que les droits des auto-entrepreneurs ont été calculés" (souligné par la cour de céans).
Elle ajoute: "La Direction de la Sécurité Sociale, sollicitée sur ce point par la nouvelle direction de la CIPAV en 2015 a confirmé la conformité de la pratique de la CIPAV aux dispositions du code de la sécurité sociale."
Elle conclut : "Dans ces conditions et en l'absence d'instruction contraire de l'autorité de tutelle, la CIPAV n'était nullement habilitée à mettre en oeuvre la recommandation de la Cour. Il n'y a donc pas lieu de laisser entendre que la CIPAV est responsable de ‘l'absence anormale de rétablissement des auto–entrepreneurs".
Ainsi, la CIPAV fait, certes, une application stricte du principe selon lequel le montant des pensions de retraite est proportionnel aux cotisations versées. Mais elle établit également un lien direct et impératif entre l'absence de compensation appropriée par l'État, donc le montant limité de ses ressources, avec le montant des cotisations qu'elle sert à ses affiliés, en l'espèce les micro-entrepreneurs.
L'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, ne conduit pas à établir ce lien. Il se lit, dans sa version applicable à l'espèce:
L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale reverse aux comptables publics compétents les sommes recouvrées en application du V de l'article 151-0 du code général des impôts aux dates fixées par arrêté des ministres chargés du budget et de la sécurité sociale.
Pour l'application des dispositions de l'article L. 131-7 au régime prévu à l'article L. 133-6-8 l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale notifie à l'Etat la différence entre :
a) D'une part, le montant des cotisations et contributions sociales dont les travailleurs indépendants auraient été redevables au cours de l'année civile en application des articles L. 131-6, L. 136-3, L. 635-1, L. 635-5, L. 642-1, L. 644-1 et L. 644-2 du code de la sécurité sociale et de l'article 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier relative au remboursement de la dette sociale, et,
b) D'autre part, le montant des cotisations et contributions sociales calculées en application de l'article L. 133-6-8.
Pour l'application des dispositions du présent article aux travailleurs indépendants relevant de l'organisme mentionné au 11° de l'article R. 641-1 du code de la sécurité sociale, est retenue au titre des régimes mentionnés aux articles L. 644-1 et L. 644-2 la plus faible cotisation non nulle dont ils auraient pu être redevables en fonction de leur activité en application des dispositions mentionnées au a du présent article.
La Cour ne peut que constater qu'il ne peut se déduire de ce seul texte que le montant des pensions retraite complémentaire versées aux auto-entrepreneurs relevant du dernier alinéa devrait être inférieur à celui auquel ils auraient pu prétendre du fait d'une compensation insuffisante de l'État.
Les rapports entre ce dernier et la CIPAV ne sauraient concerner les cotisants.
De plus, à l'appui de sa position, la CIPAV invoque l'article 3.12 de ses statuts. Ce faisant, elle ne démontre en aucune manière en quoi ces statuts, qui ne peuvent concerner que son organisation interne, seraient opposables aux cotisations, sauf à ces derniers à y adhérer par écrit, ce que la caisse ne justifie en aucune mesure. Cela étant, cet article se lit:
"La cotisation peut, sur demande expresse de l'adhérent, être réduite de 25, 50 ou 75%, en fonction du revenu professionnel de l'année précédente. Les tranches de revenus correspondant(..) sont déterminées chaque année par le conseil d'administration (..) La demande de réduction doit être formulée, à peine de forclusion, dans les trois mois suivant l'exigibilité de la cotisation, telle qu'elle est définie à la fraction de cotisation réglée (..) L'adhérent conserve, cependant, la faculté de s'acquitter de la cotisation".
L'article 3.12 bis des statuts de la CIPAV ajoute: "Le nombre de points attribués au bénéficiaire du régime prévu à l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale qui est exclu de la compensation de l'État prévue à l'article L. 133-30-10 du code de la sécurité est proportionnel aux cotisations effectivement réglées".
De fait, le ‘Guide' édité par la CIPAV elle-même, précise, à la rubrique ‘Retraite Complémentaire': "Si vos revenus 2011 sont inférieurs ou égaux à 32 855 (euros) vous pouvez demander une réduction de 25%, 50% ou 75% ou 100% de votre cotisation. Mais attention, car les points acquis seront également réduits et votre retraite sera plus faible si vous demandez cette réduction" (Guide, édition 2012). La formulation est reprise à l'identique dans la version 2013.
Dans le Guide 2011, c'est un tableau qui est utilisé, précédé d'une phrase selon laquelle "la cotisation peut être réduite", dans les mêmes proportions.
Dans le Guide 2010, il est indiqué "En attente de la publication des textes : Lorsque vous n'atteignez pas le seuil minimum de chiffres d'affaires à partir duquel l'État compense, l'attribution sera proportionnelle aux cotisations versées".
La cour relève que seul le Guide 2010 reflète la politique appliquée à M. L... en établissant un lien direct entre cotisation et compensation par l'État. Mais ni le Guide 2011 ni les suivants ne font ce lien, étant souligné que les versions 2012 et 2013 indiquent expressément que le taux de réduction est fonction de la demande du cotisant.
Or, justement, il est constant que M. L... n'a jamais sollicité une telle réduction, elle lui a été imposée. Et la CIPAV ne démontre, au demeurant, en aucune manière que M. L... relèverait de l'article 3.12 ou 3.12bis des statuts.
Comme le souligne la défense de M. L..., sans être utilement contredite sur ce point, la caisse a retenu des assiettes de cotisation qui ne correspondent pas aux bénéfices réalisés pour chacune des années concernées. De plus, la défense de M. L... démontre que, même à prendre les chiffres retenus par la CIPAV pour l'année 2013, la caisse a procédé de façon erronée, décidant une réduction de 75% alors qu'elle n'aurait pu être, en tout état de cause, que de 50%.
De fait, la CIPAV a procédé à la réduction de façon aléatoire, sans que l'on puisse s'expliquer le taux de réduction choisi.
De tout ce qui précède, il résulte que la CIPAV n'était pas fondée à réduire le montant de la pension de retraite complémentaire versée à M. L... pour la période 2010-2014 et le jugement entrepris doit être confirmé sur ce point de même que la décision du premier juge d'ordonner à la CIPAV de réviser le montant de la pension de retraite accordée à M. L... depuis le 1er janvier2015 et de condamner la CIPAV aux arrérages, majorés de l'intérêt au taux légal.
Sur la demande de dommages et intérêts
C'est par de justes motifs que la cour approuve que le premier juge a alloué à M. L... une somme de 1 500 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral, "sans que puisse être pris en considération le préjudice qu'aurait causé l'attitude méprisante imputée à la Caisse, dont le lien direct avec les modalités de fixation des points de retraite n'est pas certain", avec cette précision que, pour la cour, aucun mépris de la CIPAV pour M. L... n'est démontré, les décisions de la caisse, pour erronées que la cour les juge, résultant exclusivement d'une application erronée des textes applicables.
Sur les dépens et sur la demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile La cour confirmera la décision du premier juge sur ce point également et condamnera la CIPAV à payer à M. L..., en cause d'appel, une indemnité d'un montant de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La CIPAV sera déboutée de sa demande à cet égard. »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE Monsieur L... Y... fait valoir qu'il n'y a lieu à saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle dans la mesure où les décisions contestées de la CIPAV sont dépourvues de fondement légal et ne peuvent être rattachées à aucun acte dont il appartiendrait à la juridiction administrative d'apprécier la légalité.
La CIPAV ne fait aucune observation sur ce point.
Monsieur L... Y... expose que la CIPAV a fixé arbitrairement pour les auto- entrepreneurs les modalités de calcul du nombre de points acquis pour la retraite complémentaire en violation des dispositions applicables.
Le Tribunal rappelle qu'en application de la législation en vigueur pendant la période litigieuse, et notamment au vu des articles L. 131-7, L. 133-6-2 et R. 133-30-10 du Code de la Sécurité Sociale et des statuts de la CIPAV :
- le nombre de points attribués aux bénéficiaires du régime prévu par l'article L 133-6-8 du Code de la Sécurité Sociale, soit les travailleurs indépendants relevant du régime micro-social, qui sont exclus de la compensation de l'Etat prévue à l'article R 133-30-10 du même Code, est proportionnel aux cotisations réglées,
- sont exclus du champ de cette compensation assurée par l'Etat aux organismes de sécurité sociale les bénéficiaires du régime micro-social qui déclarent, au titre d'une année civile, un montant de chiffre d'affaires ou de revenus non commerciaux correspondant (...) à un revenu inférieur à un montant minimal fixé par l'article D. 131-6-4 du Code de la Sécurité Sociale, introduit par le décret d'application n°2010-696 du 24 juin 2010 au « salaire minimum de croissance en vigueur au 1er janvier de l'année considérée calculé sur la base de 200 heures.»
Les revenus de Monsieur L... Y... sur les années 2010 à 2014 étant incontestablement supérieurs aux seuils institués par décret, il y a lieu de constater que la CIPAV n'était pas bien fondée à refuser au requérant l'attribution du nombre forfaitaire de points attribués pour la première tranche de cotisations du régime de retraite complémentaire, et à lui appliquer les dispositions de l'article 3-12 bis des statuts prévoyant l'allocation d'un nombre de points proportionnel aux cotisations.
Aucun fondement légal ou réglementaire ne permettait à la CIPAV de calculer les droits de Monsieur L... Y... au titre de la retraite complémentaire sur la base de la première classe de cotisation réduite d'un pourcentage déterminé selon la tranche de ses revenus.
La Caisse ne peut pas plus fonder les modalités de son calcul sur des considérations d'ordre général, et notamment sur l'affirmation selon laquelle il est "naturel que le professionnel exerçant sous le statut d'auto-entrepreneur, cotisant moins que le professionnel libéral classique acquière moins de droit que lui", alors qu'une telle allégation, qui par ailleurs ne saurait avoir aucun effet juridique, contredit les dispositions de l'article L. 133-6-8 du Code de la Sécurité Sociale aux termes duquel les cotisations et contributions dont sont redevables les auto-entrepreneurs relevant du régime micro-social sont calculés mensuellement ou trimestriellement en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs revenus non commerciaux un taux fixé par décret pour chaque catégorie d'activité de manière à garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants.
En conséquence, Monsieur L... Y... peut légitimement faire valoir 192 points de retraite complémentaire au titre des années 2010 à 2014 et la CIPAV sera condamnée à réviser le montant de sa pension et à lui régler le complément des arrérages selon les modalités prévues au dispositif.
La demande de dommages et intérêts formulée par Monsieur L... Y... se fonde sur la faute que constitueraient selon lui les pratiques malveillantes des dirigeants de la Caisse à l'encontre des auto-entrepreneurs.
La preuve des tricheries et des intentions discriminatoires et frauduleuses que Monsieur L... Y... reproche à la CIPAV est en tout état de cause inopérante quant à la réparation du préjudice sollicitée, dans la mesure où la faute de la caisse a en tout état de cause été retenue par le tribunal, et où les dommages qui en découlent doivent être indemnisés.
Monsieur L... Y... fait état d'un dommage moral qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 1.500 €, au vu des inquiétudes causées par les erreurs de calcul de la caisse, mais sans que ne puisse être pris en considération le préjudice qu'aurait causé l'attitude méprisante imputée à la Caisse, dont le lien direct avec les modalités de fixation des points de retraite complémentaire n'est pas certain.
Au regard de la longueur de la procédure et notamment de la réouverture des débats ordonnée par la présente juridiction, il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur L... Y... les frais de la présente instance. La CIPAV sera condamnée à lui verser la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.»
ALORS QUE le montant des pensions de retraite doit nécessairement être proportionnel aux cotisations versées ; que ce principe résulte du caractère contributif du système de retraite français dans le cadre duquel les retraités perçoivent une pension proportionnelle à leur contribution au système; que de la date de la création du régime des auto- entrepreneurs jusqu'au 1er janvier 2016, les personnes affiliées à ce régime bénéficiaient, en contrepartie du paiement de leurs cotisations calculées de façon forfaitaire auxquelles venait s'ajouter un différentiel versé par l'Etat, de l'ouverture de droits au titre de l'assurance vieillesse complémentaire; que compte tenu des spécificités du régime de retraite complémentaire de la CIPAV, l'Etat a calculé ce différentiel sur la base d'une cotisation de référence égale à « la plus faible cotisation non nulle » dont ces assurés auraient pu être redevables en fonction de leur activité en application des dispositions de droits commun; que la « plus faible cotisation non nulle » dont peut bénéficier un professionnel libéral est la cotisation réduite conformément aux dispositions des statuts de la CIPAV ; que c'est donc sur la base de cette « plus faible cotisation non nulle » que la CIPAV a déterminé les droits de Monsieur L... à l'assurance vieillesse complémentaire ; qu'en retenant, pour faire droit à la demande de Monsieur L... qui souhaitait voir ses droits calculés sur la base qui aurait été retenue au profit d'un assuré qui, affilié directement à ce régime, n'aurait pas sollicité pareil abattement, que Monsieur L... n'avait jamais sollicité une telle réduction et qu'il n'était pas établi qu'il aurait relevé de l'article 3.12 ou 3.12 bis des statuts, la cour d'appel a déduit un motif inopérant et violé ensemble les articles L. 133-6-8, L. 131-7 et R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale dans leurs versions applicables en l'espèce et le principe selon lequel le montant des pensions de retraite est proportionnel aux cotisations versées.