LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 janvier 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 94 F-D
Pourvoi n° Z 18-24.888
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2020
La société Lvmh Fragrance Brands, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Z 18-24.888 contre le jugement rendu le 1er octobre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Amiens (sécurité sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Picardie, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Gauthier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Lvmh Fragrance Brands, de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de l'URSSAF de Picardie, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2019 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Gauthier, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, qu'à la suite d'un contrôle portant sur les années 2012 à 2014, l'URSSAF de Picardie (l'URSSAF) a notifié à la société LVMH Fragrance Brands (la société), pour son établissement situé à Vervins (02140), un redressement suivi d'une mise en demeure portant notamment sur la réintégration dans l'assiette de sommes correspondant aux cartes de carburant utilisées par les salariés à des fins privées ; que la société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;
Attendu que pour valider le chef de redressement litigieux, le tribunal retient qu'aucun élément de la procédure n'indique que l'URSSAF a eu recours à la procédure de contrôle par échantillonnage ou extrapolation prévue par l'article R. 243-59-2 du code de la sécurité sociale ;
Qu'en statuant ainsi, sans apprécier, comme elle y était invitée, la régularité du redressement litigieux au vu de la lettre d'observations du 26 juin 2017 et de l'annexe de cette lettre, d'où il ressortait que celui-ci reposait sur l'analyse de la situation de certains salariés seulement, le tribunal a méconnu les exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 1er octobre 2018, entre les parties, par le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Amiens (RG n° 21800215) ; remet en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal judiciaire d'Amiens, autrement composé ;
Condamne l'URSSAF de Picardie aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer la société Lvmh Fragrance Brands la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Lvmh Fragrance Brands
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR rejeté les demandes présentées par la SA LVMH FRAGRANCE BRANDS, d'AVOIR validé le chef de redressement numéro 2, d'AVOIR validé le surplus du redressement, d'AVOIR condamné la SA LVMH FRAGRANCE BRANDS au paiement des cotisations et majorations de retard afférentes au redressement, et d'AVOIR rejeté la demande introduite par la SA LVMH FRAGRANCE BRANDS sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « L'article R.243-59-2 du code de la sécurité sociale et un arrêté du 11 avril 2007 détaillent les quatre phases résultant de la mise en oeuvre des techniques de contrôle par échantillonnage et extrapolation que sont la constitution d'une base de sondage, le tirage d'un échantillon, la vérification exhaustive de l'échantillon et l'extrapolation à la population ayant servi de base à l'échantillon. Aucun élément de la procédure n'indique que l'URSSAF de Picardie a eu recours à cette procédure. Le moyen n'est pas pertinent » ;
ET AUX MOTIFS QUE « Sur le chef de redressement numéro 2 : avantage en nature véhicule — principe et évaluation. Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 10 décembre 2002, l'utilisation privée d'un véhicule mis à disposition du salarié de façon permanente constitue un avantage en nature qu'il s'agisse d'un véhicule dont l'employeur est propriétaire ou locataire, ou d'un véhicule dont l'employeur acquiert la propriété dans le cadre de location avec option d'achat. Les exemples de messages électroniques censés illustrer la procédure de contrôle au sein de l'entreprise cotisante sont parcellaires et ne permettent pas de démontrer que cette dernière s'abstient systématiquement de prendre en charge les frais de carburant de ses collaborateurs qui bénéficient d'un véhicule de fonction. Au contraire, il résulte de la lettre d'observations du 23 juin 2017 que la SA LVMH FRAGRANCE BRANDS a pris en charge le carburant pendant les congés, les jours fériés, la veille des congés ou au retour de ces derniers, la veille des fins de semaine et au retour de ces dernières. La SA LVMH FRAGRANCE BRANDS ne justifie pas de la disproportion alléguée de ce chef de redressement. Ce chef de redressement sera donc validé » ;
1) ALORS QUE selon l'article R. 243-59-2 du code de la sécurité sociale, les inspecteurs du recouvrement peuvent utiliser les méthodes de vérification par extrapolation ou échantillonnage, sous réserve qu'ils respectent les quatre phases de ce mode de contrôle et requièrent l'accord préalable de l'employeur ; que la Société LVMH FRAGRANCE BRANDS soutenait que l'URSSAF avait appliqué la technique de redressement par extrapolation ou échantillonnage pour fixer le montant du redressement portant sur l'évaluation de l'avantage constitué par la mise à disposition de véhicules de fonction, sans respecter la procédure contradictoire afférente ; qu'au soutient de ce moyen, elle soulignait qu'il était indiqué dans la lettre d'observations qu' « afin de vérifier l'effectivité de cette absence de prise en charge du carburant privé, des investigations ont été menées concernant certains salariés (...) » et que « le croisement des relevés de cartes carburant et des plannings des intéressés n'a pas permis d'établir la réalité de la non prise en charge du carburant privé pour ces salariés » ; qu'elle soutenait que l'annexe de la lettre d'observations de l'établissement de Levallois-Perret confirme que les inspecteurs de l'URSSAF ont fixé le redressement relatif à l'ensemble du personnel concerné sur la base des anomalies constatées après analyse des relevés de cartes de carburant et des plannings de seulement huit salariés ; qu'il s'en induisait que la procédure mise en oeuvre était entachée d'une irrégularité de fond, l'organisme de recouvrement ayant appliqué la procédure de vérification et de redressement par extrapolation ou échantillonnage sans respecter la procédure en vigueur ; que ce manquement aux dispositions protectrices des droits du cotisant a entaché de nullité, pris en son ensemble, le chef de redressement n°2 ; qu'en décidant le contraire et en validant sur ce point le redressement infligé à la société, le tribunal des affaires de sécurité sociale a violé les articles L. 242-1, R. 243-59-2 et R. 242-5 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable au litige ;
2) ALORS QU'en se bornant à affirmer « qu'aucun élément de la procédure n'indique que l'URSSAF de Picardie a eu recours à cette procédure [de vérification par extrapolation ou échantillonnage] », sans s'expliquer sur les mentions de la lettre d'observations du 26 juin 2017 et de l'annexe de la lettre d'observations de l'établissement de Levallois-Perret qui, tel que l'indiquait la Société LVMH FRAGRANCE BRANDS dans ses conclusions, établissent que l'URSSAF a fait reposer le redressement afférent à l'ensemble des salariés de la société disposant d'un véhicule de fonction sur l'analyse de la situation de seulement huit salariés, le tribunal des affaires de sécurité sociale a violé les articles 455 et 458 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR rejeté les demandes présentées par la SA LVMH FRAGRANCE BRANDS, d'AVOIR validé le chef de redressement numéro 2, d'AVOIR validé le surplus du redressement, d'AVOIR condamné la SA LVMH FRAGRANCE BRANDS au paiement des cotisations et majorations de retard afférentes au redressement, et d'AVOIR rejeté la demande introduite par la SA LVMH FRAGRANCE BRANDS sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « L'article R.243-59 du code de la sécurité sociale dispose que tout contrôle effectué en application de l'article L.243-7 est précédé, au moins quinze jours avant la date de la première visite de l'agent chargé du contrôle, de l'envoi par l'organisme effectuant le contrôle des cotisations et contributions de sécurité sociale d'un avis de contrôle. Pour solliciter l'annulation du redressement, le cotisant soutient que l'URSSAF n'a pas respecté le principe du contradictoire dès lors qu'elle ne communique pas le rapport de contrôle établi par l'inspecteur du recouvrement. L'URSSAF fait valoir qu'elle n'a aucune obligation légale de produire le contrôle sans pour autant méconnaître le principe du contradictoire. Il est constant que l'article précité ne fait pas obligation aux inspecteurs de produire la communication intégrale de leurs rapports dès lors que le cotisant dispose d'une procédure spécifique qui assure le respect du contradictoire. Cette demande sera écartée » ;
ALORS QUE dans le cadre de ses droits de la défense le cotisant doit se voir communiquer, s'il le requiert, le rapport de contrôle établi par l'URSSAF à l'issue du contrôle ; qu'en retenant que l'absence de communication par l'URSSAF de PICARDIE à la Société LVMH FRAGRANCE BRANDS du rapport de contrôle établi par les inspecteurs n'avait pas d'incidence sur la régularité de la procédure, le tribunal des affaires de sécurité sociale a violé l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale et l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.