LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 mars 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 270 F-D
Pourvoi n° F 18-26.826
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 MARS 2020
La société Axa Corporate Solutions Assurances, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° F 18-26.826 contre l'arrêt rendu le 10 octobre 2018 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MAIF, dont le siège est [...] ,
2°/ à M. D... O..., domicilié [...] ,
3°/ à M. H... T..., domicilié le [...] ,
4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
M. T... a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal et le demandeur au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation commun annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat de la société Axa Corporate Solutions Assurances, de Me Le Prado, avocat de la société MAIF, de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat de M. T..., et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 janvier 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 10 octobre 2018), M. O..., assuré auprès de la société MAIF au titre d'un contrat " risque autre que le véhicule à moteur", a été blessé le 5 avril 2008, lors de la chute d'un parapente biplace dont il était le passager et qui était piloté par M. T..., moniteur diplômé d'Etat, assuré auprès de la société Axa Corporate Solutions Assurances (la société Axa).
2. Après une expertise amiable contradictoire réalisée le 21 avril 2009, la société Axa a adressé à M. O..., qui l'a refusée, une offre d'indemnisation d'un certain montant, puis lui a proposé le 18 juin 2010 le versement d'un acompte de 8 000 euros correspondant à la moitié de son offre précédente. Cet acompte, dont le versement avait été accepté par M. O... le 1er août 2010, a été réglé le 28 novembre 2011.
3. M. O... a saisi en février 2011 un juge des référés afin d'obtenir la désignation d'un expert médical, instance radiée le 23 mars 2011, puis a assigné en mars 2014 M. T..., la société Axa et la société MAIF en indemnisation de ses préjudices, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme ; M. T... et la société Axa ont invoqué la prescription extinctive de l'action, engagée plus de deux ans après la date de l'accident.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis
Enoncé des moyens
4. La société Axa et M. T... font grief à l'arrêt de déclarer les demandes formées par M. O... à leur encontre recevables, et de les condamner en conséquence in solidum à lui payer la somme totale de 30 843 euros, outre intérêts au taux légal, sous déduction des provisions déjà versées, alors :
« 1°/ que la renonciation tacite à la prescription ne peut résulter que de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de celle-ci ; qu'en affirmant, pour juger que la société Axa Corporate Solutions Assurances avait renoncé à se prévaloir de la prescription de l'action de M. O..., que la proposition de versement d'un acompte de 8 000 euros à titre d'avance sur indemnité qu'elle avait émise le 18 juin 2010 manifestait sans équivoque sa volonté de renoncer à la prescription, tout en constatant que la société Axa Corporate Solutions Assurances avait joint à cette offre un protocole d'acompte stipulant que l'indemnité était allouée « sans reconnaissance de responsabilité », ce dont il résultait que cette offre s'inscrivait dans le cadre d'une simple proposition amiable de règlement du litige et ne caractérisait pas la volonté sans équivoque de l'assureur de renoncer à la prescription, la cour d'appel a violé l'article 2251 du code civil ;
2°/ qu'en retenant encore, pour juger que la société Axa Corporate Solutions Assurances avait renoncé à se prévaloir de la prescription de l'action de M. O..., que cette dernière lui avait payé le 28 novembre 2011 la somme de 8 000 euros correspondant à l'avance sur indemnité qu'elle lui avait proposée le 18 juin 2010, tout en constatant que la société Axa avait, au cours de la procédure de référé initiée en février 2011, soulevé la prescription de l'action, ce qui rendait équivoque toute volonté de renoncer à cette prescription, la cour d'appel a violé derechef l'article 2251 du code civil. »
Réponse aux moyens
Vu l'article 2251 du code civil :
5. La renonciation à la prescription est expresse ou tacite. La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.
6. Pour déclarer recevables les demandes de M. O... formées contre M. T... et la société Axa, l'arrêt retient qu'en ayant, le 18 juin 2010, soit deux mois et demi après l'expiration du délai pour agir, offert à M. O..., par l'intermédiaire de son assureur, la MAIF, le versement d'un acompte de 8 000 euros à titre d'avance sur indemnité, la société Axa a manifesté sans équivoque sa volonté de renoncer à se prévaloir de la prescription, peu important à cet égard que le protocole d'acompte joint, préimprimé, contienne une mention type selon laquelle l'indemnité est allouée « sans reconnaissance de responsabilité » alors que l'application de la Convention de Varsovie entraîne une responsabilité de plein droit. Il relève, encore, que cette renonciation est confirmée par le paiement de la somme correspondante, le 28 novembre 2011, alors que la société Axa avait, au cours de la procédure de référé initiée en février 2011, soit quelques mois auparavant, soulevé la prescription de l'action, ce qui signifie qu'elle savait que celle-ci était acquise.
7. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la renonciation non équivoque de la société Axa et de M. T... à se prévaloir de la prescription dès lors qu'elle avait constaté que le protocole prévoyant le règlement, à titre d'acompte, de la somme de 8 000 euros stipulait que cette indemnité était allouée « sans reconnaissance de responsabilité » et que la société Axa avait invoqué la prescription dès l'instance en référé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. O... et la société MAIF aux dépens ;
Rejette la demande formée par la société MAIF en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum la société MAIF et M. O... à payer à la société Axa Corporate Solutions Assurances et à M. T... la somme globale de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen commun produit par la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat aux Conseils, pour la société Axa Corporate Solutions Assurances, demanderesse au pourvoi principal, et pour M. T..., demandeur au pourvoi incident.
La société Axa Corporate Solutions Assurances fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré les demandes formées par M. D... O... à son encontre ainsi qu'à l'encontre de M. H... T... recevables, et de l'avoir en conséquence condamnée in solidum avec M. H... T... à payer à M. D... O... la somme totale de 30.843 euros, outre intérêts au taux légal, sous déduction des provisions déjà versées ;
AUX MOTIFS QUE sur les demandes dirigées contre M. T... et la SAS Axa, (
) sur la prescription de l'action, en application de l'article 29 de la convention de Varsovie, l'action en responsabilité se prescrit par deux ans à compter du jour où l'aéronef aurait dû arriver ce qui correspond, en l'espèce, au jour de l'accident ; qu'en l'espèce, il s'est écoulé plus de deux années entre cette date (5 avril 2008) et la saisine du juge des référés les 5 et 7 février 2011 ; qu'or, le bénéficiaire d'une prescription peut y renoncer lorsqu'elle est acquise, en application des dispositions des articles 2250 et 2251 du code civil, cette renonciation pouvant être tacite, si elle résulte de circonstances permettant d'établir sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription, supposant des actes accomplis en connaissance de cause ; qu'en l'espèce, la SA Axa a, le 18 juin 2010, soit deux mois et demi après l'expiration du délai pour agir, offert à M. O... par l'intermédiaire de la MAIF, assureur de ce dernier, le versement d'un acompte de 8.000 euros à titre d'avance sur indemnité, cet acte manifestant la volonté non équivoque de l'assureur de renoncer à se prévaloir de la prescription, étant relevé que contrairement à ce qui est soutenu, cette offre n'est pas intervenue dans le cadre de la garantie « responsabilité civile admise » puisqu'elle porte en référence « risque RC » ; que par ailleurs, il importe peu que le protocole d'acompte joint, préimprimé, contienne une mention type selon laquelle l'indemnité est allouée « sans reconnaissance de responsabilité » alors que l'application de la convention de Varsovie entraîne une responsabilité de plein droit ; qu'est tout aussi inopérante, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la circonstance que cette offre aurait pris place dans le cadre de discussions engagées avant l'expiration du délai pour agir, dès lors que l'acte de l'assureur offrant le paiement le 18 juin 2010 est, quant à lui, intervenu une fois la prescription acquise, manifestant sans ambiguïté possible l'intention du bénéficiaire de la prescription de renoncer à s'en prévaloir, cette renonciation étant confirmée par le paiement de la somme correspondante intervenu le 28 novembre 2011, alors même que la SA Axa avait, au cours de la procédure de référé initiée en février 2011 soit quelques mois auparavant, soulevé la prescription de l'action, ce qui signifie qu'elle savait celle-ci acquise ; que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a jugé prescrite et par conséquent irrecevable l'action dirigée par M. O... contre la SA Axa et M. T... ;
1°) ALORS QUE la renonciation tacite à la prescription ne peut résulter que de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de celle-ci ; qu'en affirmant, pour juger que la société Axa Corporate Solutions Assurances avait renoncé à se prévaloir de la prescription de l'action de M. O..., que la proposition de versement d'un acompte de 8.000 euros à titre d'avance sur indemnité qu'elle avait émise le 18 juin 2010 manifestait sans équivoque sa volonté de renoncer à la prescription, tout en constatant que la société Axa Corporate Solutions Assurances avait joint à cette offre un protocole d'acompte stipulant que l'indemnité était allouée « sans reconnaissance de responsabilité », ce dont il résultait que cette offre s'inscrivait dans le cadre d'une simple proposition amiable de règlement du litige et ne caractérisait pas la volonté sans équivoque de l'assureur de renoncer à la prescription, la cour d'appel a violé l'article 2251 du code civil ;
2°) ALORS QU'en retenant encore, pour juger que la société Axa Corporate Solutions Assurances avait renoncé à se prévaloir de la prescription de l'action de M. O..., que cette dernière lui avait payé le 28 novembre 2011 la somme de 8.000 euros correspondant à l'avance sur indemnité qu'elle lui avait proposée le 18 juin 2010, tout en constatant que la société G... avait, au cours de la procédure de référé initiée en février 2011, soulevé la prescription de l'action, ce qui rendait équivoque toute volonté de renoncer à cette prescription, la cour d'appel a violé derechef l'article 2251 du code civil.