LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 mars 2020
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 276 F-D
Pourvoi n° K 18-25.703
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 MARS 2020
1°/ Mme H... N..., épouse E...,
2°/ M. J... E...,
domiciliés tous deux [...],
ont formé le pourvoi n° K 18-25.703 contre l'arrêt rendu le 11 octobre 2018 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. A... Y...,
2°/ à Mme O... V..., épouse Y...,
domiciliés tous deux [...],
3°/ à la société de la [...], société civile immobilière, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Parneix, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. et Mme E..., de Me Balat, avocat de M. et Mme Y..., de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société de la [...], après débats en l'audience publique du 25 février 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Parneix, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, 11 octobre 2018), que Mme N... est propriétaire d'un immeuble, cadastré [...] et contigu à celui, cadastré [...] , appartenant à la SCI de la [...] (la SCI) ; qu'un local technique, situé entre les deux fonds, abrite les compteurs et l'installation de chauffage de l'immeuble de la SCI ; que des arrêts des 4 et 12 juin 2015, rendus en référé, ont condamné Mme N... et M. E... à rétablir l'accès au local et à le remettre dans son état antérieur ; que Mme N... et M. E..., devenu son conjoint, ont assigné la SCI en revendication de la propriété du local ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que M. et Mme E... font grief à l'arrêt de rejeter cette demande ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres, que, si les actes notariés ne permettaient pas de déterminer la propriété du local, celui-ci n'était accessible que par la cour de l'immeuble de la SCI et desservait exclusivement les logements de cet immeuble, et ayant retenu, par motifs adoptés, que le relevé cadastral, intégrant dans la parcelle [...] une cour qui n'existait plus, n'était pas fiable, la cour d'appel, qui a implicitement écarté le plan de géomètre produit par M. et Mme E... et qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, en a souverainement déduit que les présomptions de propriété de la SCI étaient les meilleures et les plus caractérisées ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution ;
Attendu que l'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir ;
Attendu que l'arrêt relève que M. et Mme E... ont été condamnés sous astreinte à retirer tout dispositif de blocage, à remettre en état le local et à cesser de porter atteinte à la jouissance des lieux, puis liquide à une certaine somme le montant des astreintes ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que, statuant en référé, elle s'était expressément réservée la liquidation des astreintes prononcées, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. et Mme E... à payer à la SCI de la [...] la somme de 84 600 euros au titre de la liquidation des astreintes prononcées par arrêts des 4 et 12 juin 2015, l'arrêt rendu le 11 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. et Mme E....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'Avoir débouté les époux E... de la revendication de leur propriété du local technique situé en mitoyenneté et de leurs demandes subséquentes, d'Avoir dit que la SCI de la [...] était propriétaire du local technique accessible de sa propre cour, tel que notamment décrit au procès-verbal établi le 26 novembre 2013, d'Avoir en conséquence condamné les époux E... à lui payer 1 000 € de dommages intérêts, et y ajoutant, d'Avoir condamné les époux E... à payer à la SCI de la [...] la somme de 84 600 € au titre de la liquidation des astreintes dont la Cour s'était expressément réservée la compétence dans ses arrêts en date des 4 et 12 juin 2015, de les Avoir condamnés à rétablir l'accès au local technique à l'usage de l'immeuble appartenant à la SCI de la [...] en retirant sans aucun délai tout dispositif de blocage sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt, à remettre le local dans son état antérieur dans un délai de 48 heures suivant la signification de l'arrêt puis passé ce délai sous astreinte de 100 € par jour de retard et fait défense à ces derniers de porter atteinte à la jouissance de ce local et aux équipements qui y sont installés sous astreinte de 600 € par infraction constatée ;
Aux motifs propres que, la lecture des actes notariés de chacun des protagonistes n'éclaire en rien sur la propriété de ce local technique dont il n'est pas fait mention dans les titres respectifs ; qu'il ressort cependant des éléments du dossier et des précisions données par les époux Y..., précédents propriétaires de l'immeuble du [...] , qui ont été appelés à la procédure, que ce local technique existait déjà en 1999 et ouvrait dans la cour de l'immeuble du [...] , dont il était à l'usage exclusif, abritant les chaudières destinées au chauffage de cet immeuble ; que ce local technique installé pour partie dans le mur séparant les immeubles des 18 et [...] a toujours comporté une ouverture donnant vers l'immeuble du [...] et abrité des installations en rapport avec cet immeuble et non avec l'immeuble acquis par Mme N... ; qu'un procès-verbal de constat dressé le 23 novembre 2013 par Maître I..., huissier de justice, suivi d'un second procès-verbal dressé le 15 septembre 2014 décrit ce local ; qu'un transport sur les lieux a également été provoqué par le magistrat de la mise en état afin de tenter de rapprocher les parties et d'avoir une vision complète de la situation ; que, compte tenu de la présomption de propriété résultant de la possession des lieux de longue date par la SCI de la [...] et avant elle par ses vendeurs, les époux Y..., confortée par la configuration des lieux et également du principe qui appartient à celui qui se prétend propriétaire d'apporter la preuve de son droit de propriété, ce que ne fait pas Mme N..., le premier juge a, à bon droit, décidé que la SCI de la [...] était bien le légitime propriétaire du local technique litigieux ;
Et aux motifs adoptés que, aucun des titres de propriété n'apporte de précision sur ce local technique ; qu'il est constant que les défendeurs justifient de la possession de ce local technique depuis l'acquisition de leur bien et selon les précédents propriétaires, une dépendance abritant la chaufferie(réaménagée depuis par les défendeurs) existait déjà en 1999 ; que la revendication des demandeurs ne saurait ôter à cette possession son caractère paisible ; qu'il convient aussi de relever que la supposition des demandeurs selon laquelle leurs voisins auraient profité de l'inoccupation de leur bien depuis l'année 2006 pour s'accaparer cet espace ne correspond pas à la chronologie des faits dès lors que ce local était déjà utilisé en 1999 ; qu'il apparaît à l'examen du procès-verbal de constat dressé le 26 novembre 2013 par Maître I... et de celui dressé le 15 septembre 2014 par Maître X... que si ce local technique se situe dans le mur mitoyen, les photographies prises depuis la propriété de Madame N... montrent à l'arrière de ce local un mur parfaitement rectiligne et une surélévation au dessus de celui-ci dans son prolongement de sorte que le local n'apparaît être intégré à l'immeuble sis [...] ; que le local technique apparaît ainsi intégré dans le mur mitoyen sans empiéter à l'intérieur de la propriété de Madame N... ; que cette configuration des lieux ne constitue pas un indice matériel de la propriété de Madame N... qui permettrait de combattre la présomption existant au profit du défendeur-possesseur ; qu'il est en outre constant que l'indication du cadastre est sans portée sur la propriété sauf à valoir à titre de présomption ; que ce plan cadastral n'apparaît pas fiable en ce qu'il intègre une cour dans la parcelle [...] qui n'existe manifestement plus ; que si le local est recouvert d'une toiture en tôle prolongeant la toiture de la propriété de Madame N..., cette toiture apparaît recouvrir la construction nouvelle ne figurant pas au cadastre (ou se trouvait la cour) et avoir intégré le mur mitoyen ; que les photographies prises au-dessus du local technique montre que celui-ci se situe dans la largeur du mur en brique rouge de la propriété de la SCI de la [...] ; qu'il résulte donc de ces éléments que les demandeurs ne rapportent pas la preuve de l'intégration du local technique litigieux à la propriété de Madame N... ; qu'au contraire, compte tenu de la présomption de propriété résultant de la possession, laquelle est confortée par la configuration des lieux il convient de dire que la SCI de la Chaussée de Brunehaut est bien propriétaire du local technique litigieux ;
1°) Alors que, les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en réfutation à l'argumentation de la SCI de la [...], Mme N... et M. E... communiquaient régulièrement aux débats le « schéma de constat de l'occupation sur la parcelle [...] à usage de la parcelle [...] » réalisé par le cabinet de géomètres-experts Lattitudes (production n° 40) qui établissait que le local litigieux était partie intégrante de leur parcelle ; qu'en se contentant de se fonder, pour les débouter de leur revendication de la propriété du local, sur la présomption de propriété résultant de la possession des lieux de longue date par la SCI La [...] et avant par leurs vendeurs, confortée par la configuration des lieux, la cour d'appel, qui a totalement fait fi du schéma établi par le géomètre-expert qui était de nature à établir que le local faisait partie intégrante de la parcelle [...] et, partant, était la propriété de Mme N... et de M. E..., a privé sa décision de toute motivation propre au regard de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) Alors que, les juges du fond doivent répondre aux écritures des parties ; qu'en considérant que le plan cadastral n'apparaissait pas fiable dès lors qu'il intégrait une cour dans la parcelle [...] qui n'existait plus, sans répondre aux écritures de Mme N... et de M. E... qui faisaient valoir, en justifiant par la communication de l'acte notarié de vente du 12 octobre 2012 et du plan cadastral en annexe (production n°1), que le local en litige était dénommé et figurait dans ces documents comme une cour intérieure, ce qui était de nature à établir que le local en litige, qui n'était autre que l'ancienne cour intérieure, devait être intégré dans la parcelle [...] , et partant était la propriété des exposants, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) Alors que, en retenant qu'en dépit de l'occupation du local par leur voisin, les époux E... n'avaient pas fait repousser la vente, ne s'étaient pas retournés contre le notaire ni leur vendeur et auraient procédé à divers actes d'obstruction et de dégradation, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants à caractériser le droit de propriété de la SCI de la Chaussée Brunehault sur le local litigieux, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 544 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'Avoir débouté les époux E... de la revendication de leur propriété du local technique situé en mitoyenneté et de leurs demandes subséquentes, d'Avoir dit que la SCI de la [...] était propriétaire du local technique accessible de sa propre cour, tel que notamment décrit au procès-verbal établi le 26 novembre 2013, d'Avoir en conséquence condamné les époux E... à lui payer 1 000 € de dommages intérêts, et y ajoutant, d'Avoir condamné les époux E... à payer à la SCI de la [...] la somme de 84 600 € au titre de la liquidation des astreintes dont la Cour s'était expressément réservée la compétence dans ses arrêts en date des 4 et 12 juin 2015, de les Avoir condamnés à rétablir l'accès au local technique à l'usage de l'immeuble appartenant à la SCI de la [...] en retirant sans aucun délai tout dispositif de blocage sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt, à remettre le local dans son état antérieur dans un délai de 48 heures suivant la signification de l'arrêt puis passé ce délai sous astreinte de 100 € par jour de retard et fait défense à ces derniers de porter atteinte à la jouissance de ce local et aux équipements qui y sont installés sous astreinte de 600 € par infraction constatée ;
Aux motifs que, la Cour avait expressément décidé de se réserver la liquidation des astreintes prononcées ; que les époux E... doivent être condamnés au paiement de la somme totale de 84 600 € au titre des astreintes prononcées ;
Alors que, le juge des référés a seul le pouvoir de liquider l'astreinte qu'il prononce, dès lors qu'il se l'est expressément réservé ; qu'en l'espèce, la cour, statuant au fond, a expressément constaté que par deux précédents arrêts en date des 4 et 12 juin 2015, statuant en référé dans le cadre de l'appel d'ordonnances de référé, elle avait déclaré se réserver la liquidation des astreintes prononcées ; qu'en statuant néanmoins sur la demande de liquidation de l'astreinte, la cour d'appel a violé l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution.