LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 17 septembre 2020
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 586 F-D
Pourvoi n° P 19-16.464
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 SEPTEMBRE 2020
1°/ M. V... W...,
2°/ M. B... A... W... ,
tous deux domiciliés [...] ,
ont formé le pourvoi n° P 19-16.464 contre l'arrêt rendu le 14 février 2019 par la cour d'appel de Papeete (chambre des terres), dans le litige les opposant :
1°/ à La Polynésie française, dont le siège est [...] , représentée par son président en exercice,
2°/ à M. F... S..., domicilié [...] ,
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Papeete, domicilié en son parquet général, [...],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Parneix, conseiller, les observations de la SCP Colin-Stoclet, avocat de MM. W..., de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de La Polynésie française, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. S..., après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Parneix, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 14 février 2019), MM. V... et B... W... (les consorts W...), propriétaires d'une parcelle cadastrée [...], voisine de la parcelle, cadastrée [...], appartenant à M. S..., ont assigné celui-ci en bornage.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, et le second moyen, ci-après annexés
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
3. Les consorts W... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande, alors :
« 1°/ qu'en jugeant que les parcelles des consorts W... et de M. S... n'étaient pas contiguës et étaient séparées par la rivière Q..., sans répondre aux conclusions faisant valoir que la rivière Q... traversait le fonds privé des consorts W... et ne constituait pas la limite séparative entre les fonds W... et S..., de sorte que les fonds étaient contigus et la demande en bornage fondée, la cour d'appel violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en tout état de cause les juges du fond sont tenus d'examiner, ne serait-ce que sommairement, les pièces versées aux débats par les parties ; qu'en l'espèce, pour démontrer que la rivière se situait à l'intérieur de leur propriété et ne constituait pas la limite séparative entre leur propriété et celle de M. S..., les consorts W... produisaient le plan de partage de 1904, le procès-verbal de conciliation du 28 décembre 1958 et le plan annexé au procès-verbal judiciaire de conciliation (productions) ; que la cour d'appel, à supposer qu'elle soit considérée comme ayant répondu aux conclusions des consorts W... et retenu que la portion de parcelle dont ils revendiquaient la propriété au-delà de la rivière appartenait en réalité à M. S..., ne pouvait statuer ainsi sans examiner, ne serait-ce que sommairement, les documents versés aux débats d'où il résultait que la rivière Q... traversait le fonds privé des consorts W... et ne constituait pas la limite séparative entre les fonds W... et S... ; qu'en s'abstenant d'examiner, fût-ce sommairement, ces éléments, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Ayant souverainement retenu qu'il résultait de l'examen des pièces produites que les parcelles en cause étaient séparées par la rivière Q..., qui dépendait du domaine public fluvial de la Polynésie française, la cour d'appel, répondant aux conclusions prétendument délaissées sans être tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter, en a exactement déduit que les fonds n'étaient pas contigus, de sorte que la demande de bornage ne pouvait prospérer.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts W... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les consorts W... et les condamne à payer à M. S... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept septembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Colin-Stoclet, avocat aux Conseils, pour MM. V... et B... W....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. V... W... et M. B... W... de leur demande tendant, notamment, au bornage de leur propriété et de les avoir condamnés à payer à M. S... la somme de 250 000 FCP à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE la cour constate, tout comme le premier juge, qu'il résulte des pièces versées au dossier que la parcelle [...] des consorts W... étant au nord de la rivière VAIMI et la parcelle [...] de M. S... au sud de la rivière, ces parcelles ne sont pas contiguës et sont séparées par un terrain relevant du domaine public, en l'espèce une rivière ; que les appelants ne contestent pas que la rivière Q... qui sépare leurs parcelles de celle de M. F... S... relève du domaine public fluvial ; qu'ainsi que le rappelle la Polynésie française dans ses conclusions, en versant aux débats le plan de délimitation du domaine public fluvial du 30 août 2016 repris dans l'extrait de plan cadastral concernant les parcelles litigieuses, les limites des parcelles privées sises en bordure du domaine public fluvial sont déterminées suivant « un plan de délimitation du domaine public », délimitation impérative s'imposant aux riverains aux termes de l'article 2 de la délibération 2004-34 de l'article 9 de l'arrêté 1334/CM du 8 septembre 2015, et qui relève exclusivement de la compétence du Pays (Direction de l'équipement) ; qu'en conséquence, c'est à juste titre et par des motifs pertinents exacts que la cour adopte que le premier juge a débouté les consorts W... de leur demande de bornage, en disant que du fait de la non contiguïté des parcelles litigieuses, cette opération ne pouvait s'appliquer entre un terrain privé et un terrain relevant du domaine public fluvial ; que le jugement du 9 mai 2016 sera confirmé en toutes ses dispositions ; que les appelants ont manifestement abusé de leur droit d'ester en justice, en entraînant M. F... S... dans une procédure qu'ils savaient voués à l'échec, en poursuivant cette procédure sur le mal fondé alors qu'ils étaient suffisamment éclairés par les motifs du jugement attaqué, puisqu'ils n'ont jamais contesté le fait que les parcelles n'étaient pas contiguës mais séparées par une rivière qui relevait du domaine public fluvial ; que cette mauvaise foi caractérisée a créé un préjudice certain pour l'intimé qui doit être sanctionné par l'allocation de dommages de la somme de 250 000 FCP ; qu'il sera fait application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile local au bénéfice de M. S... ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le bornage consiste à fixer les limites de deux terrains privatifs contigus ; que cette opération ne s'applique pas entre un terrain privé et un terrain relevant du domaine public car dans ce cas, une procédure spécifique s'applique ; qu'en l'espèce la lecture des documents et pièces figurant au dossier fait ressortir que la parcelle [...] des consorts W... est au nord de la rivière Q... et que la parcelle [...] de M. S... est au sud de la rivière ; qu'il s'ensuit que ces deux parcelles ne sont pas contigües ; qu'il n' y a pas lieu à bornage ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut dénaturer les écritures des parties ; qu'en l'espèce, les consorts W... faisaient valoir de manière constante que la rivière – dont il n'était pas contesté qu'elle faisait partie du domaine public fluvial - se situait à l'intérieur de leur propriété et ne constituait pas la limite séparative entre leur propriété et celle de M. S..., de sorte que les deux fonds étaient contigus ce qui justifiait leur demande de bornage ; que les consorts W... énonçaient ainsi que « le plan de partage de 1904 démontre que le ruisseau ou la rivière est à l'intérieur de la propriété des Consorts W... », que « le procès-verbal de conciliation établi le 27 novembre 1958 enregistré le 28 décembre 1958 prouve encore une fois, 54 ans après que le ruisseau est à l'intérieur dans la propriété des consorts W... et ne constitue pas la limite séparative contrairement à ce que le premier juge a cru pouvoir affirmer » (concl, p. 5), que « le plan annexé au PV judiciaire de conciliation a bien été signé par M. J... H... S... M... avec les limites démontrant que la rivière ne constitue pas la limite séparative » et que « c'est donc à tort que le premier juge a par facilité et sans base légale considéré que la limite séparative pouvait être constituée par le ruisseau » (concl, p. 6) ; qu'en retenant, pour débouter les consorts W... de leurs demandes, que « les appelants ne contestent pas que la rivière Q... qui sépare leurs parcelles de celle de M. F... S... relève du domaine public fluvial » (arrêt, p. 4 § 2) pour en déduire qu'il n'y avait pas lieu à bornage, tandis que les consorts W... contestaient précisément, au contraire, le fait que la rivière sépare les parcelles des deux fonds, la cour d'appel a dénaturé les écritures des consorts W..., violant l'article 3 de la délibération n°2001-200 APF du 4 décembre 2001 portant code de procédure civile de la Polynésie française ;
2°) ALORS QU'en jugeant, en conséquence, que les parcelles des consorts W... et de M. S... n'étaient pas contiguës et étaient séparées par la rivière Q..., sans répondre aux conclusions faisant valoir que la rivière Q... traversait le fonds privé des consorts W... et ne constituait pas la limite séparative entre les fonds W... et S..., de sorte que les fonds étaient contigus et la demande en bornage fondée, la cour d'appel violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, les juges du fond sont tenus d'examiner, ne serait-ce que sommairement, les pièces versées aux débats par les parties ; qu'en l'espèce, pour démontrer que la rivière se situait à l'intérieur de leur propriété et ne constituait pas la limite séparative entre leur propriété et celle de M. S..., les consorts W... produisaient le plan de partage de 1904, le procès-verbal de conciliation du 28 décembre 1958 et le plan annexé au procès-verbal judiciaire de conciliation (productions) ; que la cour d'appel, à supposer qu'elle soit considérée comme ayant répondu aux conclusions des consorts W... et retenu que la portion de parcelle dont ils revendiquaient la propriété au-delà de la rivière appartenait en réalité à M. S..., ne pouvait statuer ainsi sans examiner, ne serait-ce que sommairement, les documents versés aux débats d'où il résultait que la rivière Q... traversait le fonds privé des consorts W... et ne constituait pas la limite séparative entre les fonds W... et S... ; qu'en s'abstenant d'examiner, fût-ce sommairement, ces éléments, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE, subsidiairement, lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre 1er du livre III du code de la justice administrative, au besoin d'office ; qu'elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ; qu'il n'appartient qu'à la juridiction administrative de se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public ; qu'en l'espèce, les consorts W... ne contestaient pas le fait que la rivière Q... fasse partie du domaine public fluvial mais faisaient valoir, avec offre de preuve, que leur terrain se poursuivait au-delà la rivière ; qu'à supposer qu'elle puisse être considérée comme ayant tenu compte de cette argumentation et comme ayant retenu que la parcelle de terrain jouxtant la rivière Q... au sud appartenait au domaine public fluvial et non aux consorts W..., tandis qu'elle ne pouvait trancher cette question qui présentait manifestement une difficulté sérieuse et qu'il lui appartenait, même d'office, de surseoir à statuer et de saisir la juridiction administrative afin qu'elle statue sur cette question, la cour d'appel a violé l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. V... W... et M. B... W... à payer à M. S... la somme de 250 000 FCP à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
AUX MOTIFS QUE les appelants ont manifestement abusé de leur droit d'ester en justice, en entraînant M. F... S... dans une procédure qu'ils savaient voués à l'échec, en poursuivant cette procédure sur le mal fondé alors qu'ils étaient suffisamment éclairés par les motifs du jugement attaqué, puisqu'ils n'ont jamais contesté le fait que les parcelles n'étaient pas contiguës mais séparées par une rivière qui relevait du domaine public fluvial ; que cette mauvaise foi caractérisée a créé un préjudice certain pour l'intimé qui doit être sanctionné par l'allocation de dommages de la somme de 250 000 FCP ; qu'il sera fait application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile local au bénéfice de M. S... ;
ALORS QUE le juge ne peut dénaturer les écritures des parties ; qu'en l'espèce, les consorts W... faisaient valoir de manière constante que la rivière – dont il n'était pas contestée qu'elle faisait partie du domaine public fluvial - se situait à l'intérieur de leur propriété et ne constituait pas la limite séparative entre leur propriété et celle de M. S..., de sorte que les deux terrains étaient contigus ce qui rendait bien fondée leur demande de bornage ; que les consorts W... énonçaient ainsi que « le plan de partage de 1904 démontre que le ruisseau ou la rivière est à l'intérieur de la propriété des Consorts W... », que « le procès-verbal de conciliation établi le 27 novembre 1958 enregistré le 28 décembre 1958 prouve encore une fois, 54 ans après que le ruisseau est à l'intérieur dans la propriété des consorts W... et ne constitue pas la limite séparative contrairement à ce que le premier juge a cru pouvoir affirmer » (concl, p. 5), que « le plan annexé au PV judiciaire de conciliation a bien été signé par M. J... H... S... M... avec les limites démontrant que la rivière ne constitue pas la limite séparative » et que « c'est donc à tort que le premier juge a par facilité et sans base légale considéré que la limite séparative pouvait être constituée par le ruisseau » (concl, p. 6) ; qu'en jugeant pourtant, pour condamner les consorts W... pour procédure abusive, que « les appelants ont manifestement abusé de leur droit d'ester en justice, en entraînant M. F... S... dans une procédure qu'ils savaient vouée à l'échec, en poursuivant cette procédure sur le mal fondé alors qu'ils étaient suffisamment éclairés par les motifs du jugement attaqué, puisqu'ils n'ont jamais contesté le fait que les parcelles n'étaient pas contigües, mais séparées par une rivière qui relevait du domaine public fluvial, cette mauvaise foi caractérisée a créé un préjudice certain pour l'intimé qui doit être sanctionné par l'allocation de dommages de la somme de 250 000 FCP » (arrêt, p. 4 in fine), tandis que les consorts W... contestaient, au contraire, le fait que les parcelles n'étaient pas contiguës mais séparées par la rivière en faisant valoir que cette dernière passait dans leur propriété, la cour d'appel a dénaturé les écritures des consorts W..., violant l'article 3 de la délibération n° 2001-200 APF du 4 décembre 2001 portant code de procédure civile de la Polynésie française.