LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 septembre 2020
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 640 F-D
Pourvoi n° A 19-20.431
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 SEPTEMBRE 2020
le Groupement foncier agricole du Siquet (GFA), dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° A 19-20.431 contre l'arrêt rendu le 28 mai 2019 par la cour d'appel de Caen (chambre des expropriations), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Société hérouvillaise d'économie mixte et d'aménagement (SHEMA), dont le siège est [...] ,
2°/ au commissaire du gouvernement, domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat du Groupement foncier agricole du Siquet, de Me Le Prado, avocat de la Société hérouvillaise d'économie mixte et d'aménagement, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. L'arrêt attaqué (Caen, 28 mai 2019) fixe le montant des indemnités revenant au GFA du Siquet au titre de l'expropriation, au profit de la Société hérouvillaise d'économie mixte et d'aménagement (la SHEMA), de parcelles lui appartenant.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
2. Le GFA du Siquet fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait l'indemnité principale et l'indemnité de remploi, alors « que la parcelle, qui ne peut être qualifiée de terrain à bâtir, peut néanmoins bénéficier d'une plus-value compte tenu de sa situation privilégiée ; qu'en se bornant à énoncer, pour fixer le montant des indemnités principale et de remploi, que la qualification de terrain à bâtir ne pouvait être retenue en l'espèce, ce qui interdisait de prendre en considération les termes de comparaison tirés de ventes de terrains à bâtir et que dès lors que les biens étaient estimés à la date de la décision de première instance et qu'il y avait eu une légère progression du marché local depuis la réalisation de la première tranche, l'indemnité principale allouée au GFA du Siquet devait être fixée à 8 euros/m2 s'agissant de la parcelle [...] et à 7 euros/m2 pour les parcelles [...] et [...] , sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les parcelles expropriées ne bénéficiaient pas d'une situation privilégiée de nature à leur conférer une plus-value, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 321-1 et L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique :
3. Selon ce texte, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.
4. Pour fixer comme il le fait le montant de l'indemnité de dépossession, après avoir écarté la qualification de terrain à bâtir, l'arrêt retient que le GFA
du Siquet considère que ses parcelles doivent être évaluées comme terrains agricoles en situation privilégiée et ne produit aucun terme de comparaison mais une attestation dont la valeur probante est très limitée, que les termes de comparaison de la SHEMA font ressortir une valeur des parcelles comprise entre 5 et 8 euros/m², que le commissaire du gouvernement se réfère à des termes de comparaison pour des valeurs comprises entre 7 euros/m² et 47 euros/m², que l'on peut observer une légère progression du marché local depuis la réalisation de la première tranche d'acquisition dans la zone, pour en conclure que l'indemnité principale allouée au GFA du Siquet doit être fixée à 8 euros/m², s'agissant de la parcelle [...] , et à 7 euros/ m² pour les parcelles [...] et [...] .
5. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les parcelles expropriées, auxquelles était refusée la qualification de terrain à bâtir, ne pouvait pas néanmoins bénéficier d'une plus-value en considération de leur situation privilégiée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, ayant infirmé le jugement en ce qu'il avait fixé la valeur des emprises, il fixe la valeur de l'indemnité principale des emprises réalisées par la Société hérouvillaise d'économie mixte et d'aménagement appartenant au GFA du Siquet, à la somme totale de 183 939 euros (soit 173 936 euros au titre de la parcelle cadastrée section [...] et 10 003 euros au titre des parcelles cadastrées [...] et [...] ) et fixe l'indemnité de remploi à la somme de 19 994 euros, l'arrêt rendu le 28 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne la Société hérouvillaise d'économie mixte et d'aménagement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société hérouvillaise d'économie mixte et d'aménagement et la condamne à payer au GFA du Siquet la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour le Groupement foncier agricole du Siquet.
Le GFA du Siquet fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la valeur de l'indemnité principale des emprises réalisées par la société Hérouvillaise d'Economie Mixte et d'Aménagement sur les parcelles [...] , [...] et [...] lui appartenant à la somme totale de 183.939 € et d'avoir fixé l'indemnité de remploi à la somme de 19.994 € ;
AUX MOTIFS QUE sur les dates de référence et la qualification des parcelles ; que le premier juge a exactement considéré en premier lieu que les dates de référence à retenir étaient d'une part, s'agissant de la consistance et de l'usage effectif du bien, et par application de l'article L. 213-6 du code de l'urbanisme, celle du 6 juin 2013, et d'autre part, pour l'appréciation de la qualification de terrain à bâtir, celle du 3 novembre 2007, par application de l'article L. 322-3 du code de l'expropriation ; que l'article L. 322-3 du code de l'expropriation énonce que : « la qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L.1 ou, dans le cas prévu à l'article L.122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois : 1º situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d'occupation des sols, plan local d'urbanisme, document d'urbanisme en tenant lieu, ou par une carte communale, ou bien, en l'absence d'un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d'une commune, 2º effectivement desservis par une voie d'accès, un réseau électrique, un réseau d'eau potable, et dans la mesure où les règles relatives à l'urbanisme et à la santé publique l'exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d'assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu'il s'agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d'occupation des sols, un plan d'urbanisme, un document d'urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l'objet d'une opération d'aménagement d'ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l'ensemble de la zone. Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions, sont évalués en fonction de leur usage effectif, conformément à l'article L. 322-2 » ; qu'il n'est pas contesté que les parcelles [...] , [...] et [...] sont classées en zone [...], correspondant à une zone agricole dans laquelle seules les constructions agricoles sont autorisées, le premier juge en ayant exactement déduit que cette constructibilité limitée aux besoins des exploitations agricoles ne conférait nullement en tant que tel aux parcelles concernées la nature de terrains constructibles ; que par ailleurs, aucun des éléments produits ne justifie qu'à la date de référence, soit le 3 novembre 2007, les réseaux exigés par l'article précité auraient été existants par leur nature et leur capacité au regard de la zone d'aménagement concerté ; que c'est donc pertinemment que le premier juge a considéré que la qualification de terrain à bâtir ne pouvait être retenue ; que l'indemnisation des parcelles en cause, en l'absence de qualification de terrains à bâtir, doit donc se faire par référence à leur usage effectif à la date du 6 juin 2013 ; que sur les indemnités, 1º) les indemnités principale et de remploi ; que le GFA du Siquet fait valoir la qualité paysagère exceptionnelle des terrains, avec vue sur mer, lesquels terrains sont en outre situés à proximité de parcelles fortement urbanisées, la commune souhaitant renforcer encore cette urbanisation comme en témoigne l'évolution des documents d'urbanisme ; qu'il soutient à cet égard que la volonté de la commune est de rendre lesdits terrains à terme entièrement constructibles, s'agissant des parcelles [...] et [...] ; qu'il ajoute que la voie d'accès aux dites parcelles constitue une véritable voie ; que comme il a déjà été dit, la qualification de terrain à bâtir ne peut être retenue en l'espèce, ce qui interdit de prendre en considération les termes de comparaison tirés de ventes de terrains à bâtir ; que subsidiairement, le GFA considère que, tout le moins, ses parcelles doivent être considérées comme terrains agricoles en situation privilégiée ; qu'il ne produit aucun terme de comparaison mais une attestation rédigée par le service négociation immobilière d'une étude notariale en date du 4 juillet 2017, dont la valeur probante reste très limitée ;
que la SHEMA lui oppose en premier lieu les acquisitions réalisées en 2009 dans le cadre de la première tranche d'aménagement sur la base de 5 € du m², ajoutant que, saisis par la SHEMA, les services de France Domaine ont évalué les deux terrains par estimation du 9 septembre 2016 à la valeur libre de 5,70 €/ m², en parfaite cohérence avec le montant précité comme avec ceux retenus par la chambre de l'expropriation de la cour d'appel de Caen dans des arrêts rendus le 18 avril 2011 pour des terrains situés dans la même ZAC ; qu'elle vante encore deux arrêts en date du 19 février 2019 ayant infirmé les jugements rendus par le juge de l'expropriation, s'agissant de terrains contigus de ceux en cause par la présente affaire, voire plus proches de l'urbanisation existante, pour lesquels une valeur de 8 € /m² a été retenue ; que le commissaire du gouvernement propose de son côté trois termes de comparaison correspondant à des mutations intervenues en juin 2014 pour deux d'entre elles, et janvier 2015, précisant que l'aliénation des grands terrains viabilisés pour l'aménagement de la ZAC en zone 2NAz donne lieu à des indemnités variant de 7 €/m² à 47 €/m² pour des superficies allant de 3500 m² à 6000 m², soit une moyenne de 28,30 €/ m² ; qu'il considère par ailleurs qu'il convient d'opérer une distinction entre les parcelles, la valeur de la parcelle [...] pouvant être estimé à 10 €/m², celle des parcelles [...] et [...] , à 7€/m² ; que ces éléments de comparaison apparaissent toutefois peu exploitables compte-tenu de la très grande diversité des indemnités dont s'agit ; qu'il peut être en revanche admis, comme le relève le commissaire du gouvernement, que dès lors que les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, par application de l'article L. 322-2 du code de l'expropriation, et que dans le cas présent, on a pu observer une légère progression du marché local depuis la réalisation de la première tranche, que l'indemnité principale alloué au GFA du Siquet doit être fixée à 8€/m², s'agissant de la parcelle [...] , et à 7€/ m² pour les parcelles [...] et [...] ; que le jugement entrepris doit donc être réformé de ce chef, et les indemnités ramenées à : 1- indemnité principale : Parcelle [...] : 8 € x 21.742 m² = 173.936 €, Parcelles [...] et [...] : 7 € x 1.429 m² = 10.003 €, Total : 183.939 € ; 2- indemnité de remploi : de 1 à 5.000 € = 5.000€ x 20% = 1.000€, de 5.001€ à 15.000€ = 10.000€ x 15% = 1.500 €, audessus de 15.000 € = 168.939 € x 10% = 16.893,9 €, arrondis à 16.894 €, soit un total au titre de l'indemnité de remploi de 19.994 € ;
1°) ALORS QU'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, le commissaire du gouvernement dépose au greffe de la cour d'appel ses conclusions et les pièces sur lesquelles il fonde son évaluation dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant ; qu'en se fondant, pour fixer le montant des indemnités principale et de remploi, sur les conclusions et pièces du commissaire du gouvernement en date du 18 septembre 2018 lesquelles devaient pourtant être déposées au greffe de la cour d'appel au plus tard dans le délai de trois mois à compter de la notification des conclusions du GFA du Siquet en date du 16 mai 2018, la cour d'appel a violé l'article R. 311-26 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
2°) ALORS QUE le GFA du Siquet soutenait, dans ses conclusions d'appel (p. 18), qu'il fallait reconnaître à ses parcelles leur caractère constructible dès lors que la commune de Les Pieux avait, depuis 2007, manifesté une volonté constante d'urbaniser la zone dans laquelle elles étaient situées, en créant tout d'abord, le 8 février 2007, la zone d'aménagement concerté, en classant ensuite ses parcelles en « zone à urbaniser » lors de la modification, le 5 mars 2008, du Plan Local d'Urbanisme (PLU), puis, en classant celles-ci, lors de la révision du Plan d'Occupation des Sols en date du 6 juin 2013, en zone d'urbanisation future et, enfin, en les classant en zone d'urbanisation future lors de la modification, le 7 février 2019, du PLU de la communauté d'agglomération du Cotentin ; qu'en se bornant à énoncer, pour exclure la qualification de terrain à bâtir, qu'il n'était pas contesté que le 3 novembre 2007, les parcelles [...] , [...] et [...] étaient classées en zone [...], correspondant à une zone agricole dans laquelle seules les constructions agricoles étaient autorisées en sorte que cette constructibilité limitée aux besoins des exploitations agricoles ne conférait nullement en tant que telle aux parcelles concernées la nature de terrains constructibles, la cour d'appel n'a pas répondu au moyen opérant précité, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le GFA du Siquet faisait valoir, dans ses conclusions d'appel (p. 20), que les réseaux d'eau et d'électricité qui desservaient ses parcelles étaient suffisants dès lors qu'ils avaient permis, dès 2001, de desservir un lotissement situé à proximité immédiate, ainsi que des « pôles santé et enfance » ; qu'en se bornant à énoncer, pour exclure la qualification de terrain à bâtir, que les éléments produits ne justifiaient pas qu'à la date de référence, soit le 3 novembre 2007, les réseaux exigés auraient été existants par leur nature et leur capacité au regard de la zone d'aménagement concerté, la cour d'appel n'a pas répondu au moyen opérant précité, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, la parcelle, qui ne peut être qualifiée de terrain à bâtir, peut néanmoins bénéficier d'une plus-value compte tenu de sa situation privilégiée ; qu'en se bornant à énoncer, pour fixer le montant des indemnités principale et de remploi, que la qualification de terrain à bâtir ne pouvait être retenue en l'espèce, ce qui interdisait de prendre en considération les termes de comparaison tirés de ventes de terrains à bâtir et que dès lors que les biens étaient estimés à la date de la décision de première instance et qu'il y avait eu une légère progression du marché local depuis la réalisation de la première tranche, l'indemnité principale allouée au GFA du Siquet devait être fixée à 8 € / m2 s'agissant de la parcelle [...] et à 7 € / m2 pour les parcelles [...] et [...] , sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les parcelles expropriées ne bénéficiaient pas d'une situation privilégiée de nature à leur conférer une plus-value, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 321-1 et L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.