LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 octobre 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1053 F-P+B+I
Pourvoi n° C 19-21.928
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 OCTOBRE 2020
Mme T... F..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° C 19-21.928 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 13), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) Ile-de-France, dont le siège est département des contentieux amiables et judiciaires, D 123, TSA 80028, 93518 Montreuil cedex,
2°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, dont le siège est 14 avenue Duquesne, 75350 Paris 07 SP,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Fischer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme F..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF Ile-de-France, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 9 septembre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Le Fischer, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Szirek, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2019), associée, jusqu'au 15 décembre 2011, au sein d'un cabinet d'avocats constitué sous la forme d'une société civile professionnelle, Mme F... (la cotisante) a sollicité auprès de l'URSSAF Ile-de-France (l'URSSAF) le remboursement des cotisations et contributions sociales réglées par elle au titre de l'année 2011, au motif que s'étant retirée de la société à la fin de la clôture de l'exercice, elle n'était pas, pour l'année considérée, soumise à l'impôt sur le revenu sur la quote-part des bénéfices qui lui avait été attribuée.
2. L'URSSAF ayant refusé de faire droit à sa demande, la cotisante a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La cotisante fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors :
« 1°/ que la quote-part des bénéfices perçus, au cours d'une année donnée, par l'associé d'une société civile professionnelle d'avocats non soumise à l'impôt sur les sociétés, qui se retire de la structure avant le 31 décembre de l'année en cause, ne constitue pas un revenu d'activité professionnelle retenu pour le calcul de son impôt sur le revenu et n'est par conséquent pas intégrée dans l'assiette de calcul des cotisations sociales dues par cet associé au titre de l'année du retrait ; qu'en retenant au contraire que les bénéfices litigieux devraient être pris en considération pour le calcul de l'impôt sur le revenu – et, par voie de conséquence, dans l'assiette de calcul des cotisations sociales du travailleur indépendant en cause – même s'ils n'étaient pas eux-mêmes assujettis à cet impôt, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les articles L. 131-6 et L. 136-3 du code de la sécurité sociale et, par refus d'application, les articles 8 ter, 12 et 93 B du code général des impôts ;
2°/ que l'absence d'assujettissement à l'impôt sur le revenu d'un travailleur indépendant du chef des bénéfices perçus au cours d'un exercice justifie, à soi seule, l'absence de prise en considération des sommes concernées dans l'assiette de calcul de ses cotisations sociales, peu important que les sommes en cause n'aient pas été déclarées à l'administration fiscale ou que cette dernière n'ait pas pris à leur égard de décision d'exclusion, déduction, abattement ou exonération ; qu'en retenant néanmoins que l'absence de déclaration des sommes concernées par le travailleur indépendant à l'administration fiscale, et l'absence consécutive de décision d'exclusion ou de déduction prise par cette dernière, interdiraient à l'intéressé de faire valoir que ces sommes n'avaient pas été retenues pour le calcul de son impôt et qu'elles ne devaient donc pas non plus être intégrées à l'assiette de ses cotisations sociales, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés ;
3°/ que l'absence d'assujettissement à l'impôt sur le revenu d'un travailleur indépendant du chef des bénéfices perçus au cours d'un exercice justifie, à soi seule, l'absence de prise en considération des sommes concernées dans l'assiette de calcul de ses cotisations sociales ; qu'en retenant pourtant, pour débouter la cotisante de sa demande en remboursement des cotisations sociales provisionnelles versées par elle au titre de l'année 2011, qu'il n'y avait lieu à application de règles fiscales que pour le calcul du revenu d'activité non salariée proprement dite, indépendamment de l'application de la règle d'assiette propre au droit de la sécurité sociale, et que le sort fiscal des sommes perçues par la cotisante était indifférent à la détermination de l'assiette des cotisations sociales dues par elle, quand ce sort n'était pas indifférent, dès lors que les sommes n'étaient pas imposables entre ses mains mais entre celles des associés présents dans la société civile professionnelle d'avocats au 31 décembre 2011, la cour d'appel a de plus fort violé les textes susmentionnés. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses, le revenu professionnel pris en compte pour la détermination de l'assiette des cotisations personnelles d'assurance maladie et maternité et d'allocations familiales des travailleurs indépendants non agricoles est celui retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu avant application des déductions, abattements et exonérations mentionnés aux dispositions du code général des impôts qu'il énumère.
5. Selon l'article L. 136-3 du même code, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses, la contribution sociale due au titre de la contribution sociale généralisée par les travailleurs indépendants non agricoles sur les revenus d'activité est assise sur les revenus déterminés par application des dispositions de l'article L. 131-6.
6. Selon l'article 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 modifiée, dans sa rédaction applicable au litige, la contribution sur les revenus d'activité et de remplacement perçue au titre de la contribution pour le remboursement de la dette sociale est assise sur les revenus visés et dans les conditions prévues, notamment, aux articles L. 136-2 à L. 136-4 du code de la sécurité sociale.
7. Ayant constaté qu'une certaine somme avait été attribuée à la cotisante au titre des bénéfices résultant de son activité d'avocate associée pour la période comprise entre le 1er janvier et le 15 décembre 2011, ce dont il ressortait que cette somme présentait le caractère d'un revenu professionnel non salarié retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu, au sens de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a exactement déduit que ce revenu entrait dans l'assiette des cotisations et contributions litigieuses, indépendamment des règles fiscales régissant la répartition du bénéfice imposable entre les associés.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme F... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour Mme F...
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR rejeté l'intégralité des demandes de madame F... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE madame T... F..., avocate, avait quitté le cabinet d'avocats Orrick-Rambaud-Martel dans lequel elle était associée le 15 décembre 2011 et avait adressé le 11 mars 2013 à l'Urssaf de Paris-Région parisienne une déclaration rectificative de revenus pour 2011 au motif qu'ayant quitté la société avant la clôture de l'exercice et à défaut d'option conclue avec les associés pour une taxation immédiate, la quote-part de résultat qui lui avait été attribuée au titre de l'année de retrait n'était pas imposable et donc non soumise à cotisations sociales ; que madame F... avait donc demandé le remboursement des cotisations provisionnelles pour 2011 déjà versées, qui lui avait été refusé par lettre du 5 mai 2014 par l'Urssaf ; qu'aux termes de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses : « Les cotisations d'assurance maladie et maternité, d'allocations familiales et d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants non agricoles sont assises sur le revenu d'activité non salarié. Ce revenu est celui retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu [
] » ; que l'article L. 131-6-2 du même code, dans sa rédaction applicable à la même date, disposait que : « Les cotisations sont dues annuellement. Elles sont calculées, à titre provisionnel, en pourcentage du revenu d'activité de l'avant-dernière année. Pour les deux premières années d'activité, les cotisations provisionnelles sont calculées sur un revenu forfaitaire fixé par décret après consultation des conseils d'administration des organismes de sécurité sociale concernés. / Lorsque le revenu d'activité est définitivement connu, les cotisations font l'objet d'une régularisation [
] » ; qu'en l'espèce, la question portait sur l'assiette du calcul des cotisations sociales dues par madame F... ; que celle-ci faisait valoir qu'elle n'avait pas à déclarer à l'administration fiscale les bénéfices perçus au cours de son année de retrait avant la clôture de l'exercice et que dès lors, ces revenus ne devaient pas être soumis à cotisations sociales ; que cependant, si l'article L. 131-6 se référait expressément au revenu professionnel retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu, il n'y avait pas lieu pour l'Urssaf de tenir compte des abattements, déductions et exonérations mentionnés au code général des impôts ; qu'ainsi les bénéfices litigieux devaient être pris en considération pour le calcul du montant de l'impôt sur le revenu même s'ils n'étaient pas eux-mêmes assujettis à cet impôt ; qu'il était de jurisprudence constante que la circonstance que ces revenus n'étaient pas soumis à l'impôt n'excluait pas leur assujettissement aux cotisations sociales ; qu'il y avait donc lieu par ces motifs de confirmer le jugement déféré (arrêt, p. 3) ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTES QU'aux termes des dispositions de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, « les cotisations d'assurance maladie et maternité, d'allocations familiales et d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants non agricoles ne relevant pas du régime prévu à l'article L. 133-6-8 du présent code sont assises sur leur revenu d'activité non salarié. / Ce revenu est celui retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu. sans qu'il soit tenu compte des plus-values et moins-values professionnelles à long terme, des reports déficitaires, des exonérations, du coefficient multiplicateur mentionné au 7 de l'article 158 du code général des impôts et des déductions à effectuer du chef des frais professionnels et des frais, droits et intérêts d'emprunt prévues aux deuxième et dernier alinéas du 3° de l'article 83 de ce code » ; que les cotisations calculées sur le revenu professionnel s'entendaient du revenu professionnel retenu pour le calcul et l'établissement de l'impôt, tel qu'évalué par l'administration fiscale ; qu'il était de jurisprudence constante que les déductions propres à la législation fiscale étaient sans incidences sur l'assiette de cotisations sociales dues par les travailleurs indépendants avant déductions, abattements et exonérations mentionnés au code général des impôts ; qu'il ressortait de la jurisprudence de la Cour de cassation que la définition du revenu d'activité non salarié procédait de l'interprétation et de l'application autonomes des dispositions de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale (Cass 2ème civile 27 novembre 2014 n°13- 26.022) ; qu'il s'en évinçait qu'il n'y avait lieu à application de règles fiscales que pour le calcul du revenu d'activité non salariée proprement dite, indépendamment de l'application de la règle d'assiette propre au droit de la sécurité sociale ; qu'en l'espèce, madame F... avait bénéficié d'un revenu de 404 674 € au titre de ses dividendes d'associé de société civile professionnelle au titre de son activité non salariée entre le 1er janvier 2011 et le 15 décembre 2011, date à laquelle elle avait quitté cette société ; qu'elle déclarait ne pas avoir établi d'option conjointe pour une taxation immédiate entre ses mains, mais n'en justifiait pas, ne produisant ni la sentence arbitrale ni l'acte de cession subséquent à cette sentence ; qu'elle précisait qu'elle avait effectué une première déclaration puis une déclaration rectificative en ne reportant pas les revenus correspondant à sa quote-part de résultat et déclarait que les revenus de 407 674 € n'avaient pas été imposés au titre de l'année 2011, conduisant à les exclure de l'assiette de cotisations ; qu'elle indiquait dans ses écritures (saisine du TASS) que n'étant pas associée de la société de personne à la clôture d'exercice, la quote-part de résultat qui lui avait été attribuée au titre de l'année de retrait ne devait pas être imposable entre ses mains, et qu'en conséquence, elle « n'a[vait] pas reporté ces revenus dans sa déclaration générale de revenus 2011 » ; que madame F... produisait un avis d'imposition dont il ne ressortait pas qu'elle ait mentionné la somme de 407 674 € dans sa déclaration initiale et/ou rectificative avec les éléments justifiant le cas échéant l'exclusion de ces revenus dans le calcul de l'impôt après décision de l'administration fiscale, la déclaration produite mentionnant un bénéfice « 0 » dans la case « QA » en page 4 de la déclaration ; que madame F... ne pouvait prétendre que le revenu de 407 674 € n'avait pas été retenu pour le calcul et l'établissement de l'impôt alors qu'il n'avait pas été présenté dans sa déclaration fiscale et ne pouvait donc faire l'objet d'une exclusion ou déduction du revenu professionnel imposable par décision de l'administration fiscale ; que la quote-part de résultat attribuée à madame F... au titre de l'année de retrait, non déclarée n'avait pu être prise en compte dans le calcul de l'impôt ; que compte tenu de l'interprétation et de l'application autonomes des dispositions de l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale par la Cour de cassation, les revenus de 407 674 € devaient être retenus dans l'assiette des cotisations, indépendamment du sort fiscal de ces éléments de revenus ; que le calcul n'en avait pas été contesté ; qu'il y avait lieu en conséquence de rejeter la demande de remboursement de madame T... F... ; que ses autres demandes seraient rejetées (jugement, pp. 5-6, soulignements d'origine) ;
ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE la quote-part des bénéfices perçus, au cours d'une année donnée, par l'associé d'une société civile professionnelle d'avocats non soumise à l'impôt sur les sociétés, qui se retire de la structure avant le 31 décembre de l'année en cause, ne constitue pas un revenu d'activité professionnelle retenu pour le calcul de son impôt sur le revenu et n'est par conséquent pas intégrée dans l'assiette de calcul des cotisations sociales dues par cet associé au titre de l'année du retrait ; qu'en retenant au contraire que les bénéfices litigieux devraient être pris en considération pour le calcul de l'impôt sur le revenu – et, par voie de conséquence, dans l'assiette de calcul des cotisations sociales du travailleur indépendant en cause – même s'ils n'étaient pas eux-mêmes assujettis à cet impôt, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les articles L. 131-6 et L. 136-3 du code de la sécurité sociale du code de la sécurité sociale et, par refus d'application, les articles 8 ter, 12 et 93 B du code général des impôts ;
ALORS, EN DEUXIÈME LIEU, QUE l'absence d'assujettissement à l'impôt sur le revenu d'un travailleur indépendant du chef des bénéfices perçus au cours d'un exercice justifie, à soi seule, l'absence de prise en considération des sommes concernées dans l'assiette de calcul de ses cotisations sociales, peu important que les sommes en cause n'aient pas été déclarées à l'administration fiscale ou que cette dernière n'ait pas pris à leur égard de décision d'exclusion, déduction, abattement ou exonération ; qu'en retenant néanmoins que l'absence de déclaration des sommes concernées par le travailleur indépendant à l'administration fiscale, et l'absence consécutive de décision d'exclusion ou de déduction prise par cette dernière, interdiraient à l'intéressé de faire valoir que ces sommes n'avaient pas été retenues pour le calcul de son impôt et qu'elles ne devaient donc pas non plus être intégrées à l'assiette de ses cotisations sociales, la cour d'appel a derechef violé les textes susvisés ;
ALORS, EN TROISIÈME LIEU, QUE l'absence d'assujettissement à l'impôt sur le revenu d'un travailleur indépendant du chef des bénéfices perçus au cours d'un exercice justifie, à soi seule, l'absence de prise en considération des sommes concernées dans l'assiette de calcul de ses cotisations sociales ; qu'en retenant pourtant, pour débouter madame F... de sa demande en remboursement des cotisations sociales provisionnelles versées par elle au titre de l'année 2011, qu'il n'y avait lieu à application de règles fiscales que pour le calcul du revenu d'activité non salariée proprement dite, indépendamment de l'application de la règle d'assiette propre au droit de la sécurité sociale, et que le sort fiscal des sommes perçues par madame F... était indifférent à la détermination de l'assiette des cotisations sociales dues par elle, quand ce sort n'était pas indifférent, dès lors que les sommes n'étaient pas imposables entre ses mains mais entre celles des associés présents dans la société civile professionnelle d'avocats au 31 décembre 2011, la cour d'appel a de plus fort violé les textes susmentionnés.