LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 novembre 2020
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 785 F-D
Pourvoi n° E 19-17.951
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 NOVEMBRE 2020
La société D..., société civile immobilière, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° E 19-17.951 contre l'arrêt rendu le 15 mars 2019 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile TGI), dans le litige l'opposant à la société E..., société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Greff-Bohnert, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société D..., de Me Carbonnier, avocat de la société E..., après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Greff-Bohnert, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 15 mars 2019), par acte du 9 juin 2005, la société E... a vendu à la société civile immobilière D... (la SCI D...) un appartement en duplex avec le droit à la jouissance exclusive et particulière d'une parcelle de terrain à usage de jardin privatif, d'une surface de 35,21 mètres carrés.
2. Le 31 mai 2016, soutenant que cette parcelle ne lui avait pas été délivrée en son intégralité, la SCI D... a assigné la société E... en indemnisation de ses préjudices.
3. En appel, la SCI D... a formé une demande en revendication de la parcelle.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. La SCI D... fait grief à l'arrêt de déclarer prescrites ses demandes d'indemnisation, alors « que la SCI D... faisait valoir dans ses conclusions qu'il lui avait été impossible d'avoir connaissance de l'existence de la parcelle litigieuse dès lors que la société E... l'avait cédée à un tiers qui l'avait clôturée ; qu'elle produisait un constat d'huissier qui attestait : « Je constate qu'il est impossible de voir à travers la clôture grillagée installée autour du jardin privatif du logement 20, dans la mesure où elle est obstruée par une rangée successive de claustra, de canisse en bambou et d'ombrière ». « Je relève donc qu'il est impossible de voir toute l'étendue du jardin privatif du logement 20 en étant positionné à l'extérieur » : qu'en se fondant uniquement sur les indications de l'acte de vente pour apprécier la connaissance qu'aurait eu la SCI D... des faits fondant son action, et en laissant sans réponse ses conclusions qui démontraient que malgré les mentions de son contrat de vente, elle avait été dans l'impossibilité d'identifier la parcelle manquante jusqu'en 2017, ce qui avait constitué un
obstacle suffisant à la pleine connaissance de ses droits et à l'introduction de cette action, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. » Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a retenu que, dès la prise de possession du bien, soit le 9 juin 2005, la SCI D... avait la possibilité de vérifier la superficie du bien acquis et que, s'il manquait une superficie de 35 m², elle ne pouvait que le constater, cette surface étant presque égale à celle de l'appartement.
6. Elle a relevé que la parcelle était individualisée et décrite dans l'acte de vente, de sorte que la SCI D... ne pouvait que se rendre compte immédiatement, au regard de la nature du bien acheté, si cette parcelle à usage de jardin privatif lui avait été remise.
7. Répondant aux conclusions prétendument délaissées, elle en a déduit à bon droit que la prescription était acquise lorsque la SCI D... a engagé son action par assignation du 31 mai 2016.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
9. La SCI D... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme nouvelle en cause d'appel la demande de restitution de la parcelle, alors « qu'en examinant la recevabilité de la demande au regard des seules dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, sans rechercher si cette demande, fondée comme en première instance sur le contrat de vente qu'avait conclu la SCI D... avec la société E..., n'était pas l'accessoire, la conséquence ou le complément de la demande qu'elle avait présentée devant les premiers juges, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 566 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 566 du code de procédure civile :
10. Il résulte de ce texte qu'en appel, les parties peuvent ajouter à toutes demandes soumises au premier juge, celles qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
11. Pour déclarer irrecevable la demande en restitution de la parcelle litigieuse, l'arrêt retient qu'une demande en revendication de propriété et une demande en indemnisation d'un préjudice de jouissance et d'un préjudice moral résultant du non-respect par le vendeur de son obligation de délivrance conforme ne tendent pas aux mêmes fins.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la demande nouvelle en appel ne constituait pas l'accessoire, la conséquence ou le complément de la demande originaire en première instance, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande en restitution de la parcelle, l'arrêt rendu le 15 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis autrement composée ;
Condamne la société E... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq novembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société D....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable comme nouvelle en cause d'appel l'action de la SCI D... tendant à ce qu'il lui soit restituée la parcelle à usage de parking d'une surface de 35,21 m² figurant parmi les éléments qui lui ont été cédés par acte authentique du 9 juin 2005 conclu avec la SAS E... ;
AUX MOTIFS QUE l'action en revendication de la société D... ne tend pas aux mêmes fins que les demandes formées en première instance qui avaient uniquement pour objet l'indemnisation du préjudice de jouissance et du préjudice moral résultant du manquement de la SAS E..., venderesse, à son obligation de lui délivrer une partie de ce qui était l'objet de la vente à savoir le « droit à la jouissance exclusive et particulière d'une parcelle à usage de jardin privatif d'une surface de 35,21 m² » ; une demande de revendication de propriété et une demande en indemnisation d'un préjudice de jouissance et d'un préjudice moral résultant du non-respect par le vendeur de son obligation de délivrance conforme ne tendent pas aux mêmes fins ; la demande tendant à la « restitution du parking sous astreinte » formée pour la première fois en appel par la SCI D... est donc irrecevable ;
1°) ALORS QUE devant la cour d'appel les parties peuvent ajouter aux demandes formées en première instance « toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément »; que constitue le complément d'une demande en paiement de dommages-intérêts dirigée contre le vendeur d'un immeuble pour défaut de délivrance d'une parcelle qui était comprise dans l'acte de vente passé avec celui-ci, la demande formée en appel ayant pour objet la revendication de cette même parcelle ; qu'en jugeant cette dernière demande irrecevable en appel en raison de sa nouveauté, la cour d'appel a violé l'article 566 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en tout état de cause, en examinant la recevabilité de la demande au regard des seules dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, sans rechercher si cette demande, fondée comme en première instance sur le contrat de vente qu'avait conclu la SCI D... avec la SAS E..., n'était pas « l'accessoire, la conséquence ou le complément » de la demande qu'elle avait présentée devant les premiers juges, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 566 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré prescrite la demande de dommages intérêts engagée pas la SCI D... contre la société E... et d'avoir condamné la SCI D... à verser à la société E... diverses sommes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QUE cette action en dommages intérêts à l'encontre de son cocontractant constitue une action personnelle ; ainsi que l'a rappelé le tribunal, en application de l'article 2244 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, dès la prise de possession du bien, la SCI D... avait la possibilité de vérifier la superficie du bien acquis et, s'il lui manquait effectivement une superficie de 35 m² ne pouvait que le constater, cette superficie étant presqu'égale à celle de l'appartement ; en outre cette parcelle objet du litige était parfaitement individualisée et décrite dans l'acte de vente (une parcelle de terrain à usage de jardin privatif d'une superficie d'environ 35,21 m2) et la SCI D... ne pouvait que se rendre compte immédiatement, au regard de la nature du bien acheté si oui ou non cette parcelle à usage de terrain privatif lui avait été remise ; la SCI ayant eu, selon l'acte authentique, la jouissance du bien dès la signature de celui-ci, soit le 9 juin 2005, la prescription de l'action en indemnisation aujourd'hui exercée par la SCI a commencé à courir à compter de cette date ; la prescription était ainsi acquise lorsqu'elle a engagé son action par assignation du 31 mai 2016 ; le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable les demandes en dommages intérêts présentées par la SCI D... ;
ALORS QUE la SCI D... faisait valoir dans ses conclusions qu'il lui avait été impossible d'avoir connaissance de l'existence de la parcelle litigieuse dès lors que la SAS E... l'avait cédée à un tiers qui l'avait clôturée ; qu'elle produisait un constat d'huissier qui attestait : « Je constate qu'il est impossible de voir à travers la clôture grillagée installée autour du jardin privatif du logement 20, dans la mesure où elle est obstruée par une rangée successive de claustra, de canisse en bambou et d'ombrière ». « Je relève donc qu'il est impossible de voir toute l'étendue du jardin privatif du logement 20 en étant positionné à l'extérieur » : qu'en se fondant uniquement sur les indications de l'acte de vente pour apprécier la connaissance qu'aurait eu la société D... des faits fondant son action, et en laissant sans réponse ses conclusions qui démontraient que malgré les mentions de son contrat de vente, elle avait été dans l'impossibilité d'identifier la parcelle manquante jusqu'en 2017, ce qui avait constitué un obstacle suffisant à la pleine connaissance de ses droits et à l'introduction de cette action, la cour d'appel a violé l'article455 du code de procédure civile.