LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 novembre 2020
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 879 F-D
Pourvoi n° A 19-22.294
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 NOVEMBRE 2020
1°/ M. D... T..., domicilié [...] ,
2°/ M. A... T..., domicilié [...] ,
3°/ Mme F... T..., épouse L..., agissant en qualité d'ayant droit de sa mère, A... G... Q... T..., veuve P..., ayant été domiciliée [...] , décédée,
ont formé le pourvoi n° A 19-22.294 contre l'arrêt rendu le 29 avril 2019 par la cour d'appel de Basse-Terre (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme W... K..., domiciliée [...] ,
2°/ à U... K..., ayant été domicilié [...] , décédé, aux droits duquel vient La Collectivité de ses héritiers,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des consorts T..., après débats en l'audience publique du 6 octobre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. D... T..., Mme A... T... et Mme F... T..., intervenue en qualité d'ayant droit de A... T..., veuve P..., (les consorts T...) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les héritiers de U... K....
2. Ce désistement rend sans objet leur requête en interruption d'instance.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 29 avril 2019), A... T... veuve P..., M. D... T... et Mme A... T..., propriétaires de parcelles cadastrées section [...] et [...], ont assigné Mme R..., épouse K... et U... K... (les consorts K...) en expulsion, en destruction, sous astreinte, de toutes constructions édifiées sur ces parcelles et en paiement de dommages-intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. Les consorts T... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « que la preuve du droit de propriété qui est distincte de la question de la délimitation des fonds n'est pas subordonnée à l'exercice d'une action en bornage ni à l'existence d'un procès-verbal de bornage délimitant les propriétés respectives ; que cette preuve peut être rapportée par tout moyen ; qu'en se fondant pour écarter l'existence d'un empiétement des ouvrages réalisés par les consorts K... sur la parcelle des consorts T..., sur l'impossibilité d'une action en bornage faute pour les consorts K... de justifier de leur droit de propriété et sur l'absence de procès-verbal de bornage, la cour d'appel a violé les articles 544, 545, 1315 ancien et 646 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 544 et 646 du code civil :
5. Selon le premier de ces textes, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue. Selon le second, tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës.
6. Pour rejeter la demande des consorts T..., l'arrêt retient que, s'ils ont prouvé leur propriété par un acte de prescription acquisitive, il n'en est pas de même des consorts K... et qu'en l'absence de bornage délimitant les propriétés respectives, aucun empiétement ne peut être retenu.
7. En statuant ainsi, alors qu'un bornage, qui n'est pas attributif de propriété, mais a seulement pour effet de fixer les limites de fonds contigus, ne permet pas de constater un empiétement, la cour d'appel, qui a rejeté les demandes des consorts T... sans statuer sur leur revendication de la portion de terrain où était implantés les ouvrages litigieux, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ;
Condamne Mme W... K... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme W... K... à payer aux consorts T... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour les consorts T...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Mme F... Z... B... T... épouse L..., M. D... E... Y... T... et Mme A... H... X... T... de l'ensemble de leurs demandes ;
AUX MOTIFS QUE les appelants demandent par dernières conclusions du 19 janvier 2019 d'infirmer le jugement, s'il était jugé qu'il existe un problème d'empiétement, ordonner une mesure d'expertise aux fins de délimiter les parcelles à la lumière de l'acte de prescription acquisitive du 17 mai 1995 modifié le 23 septembre 1998 et des photos aériennes et condamner les intimés au paiement d'une indemnité de procédure de 3000 euros.
Lorsque l'intimé ne conclut pas ou a été déclaré irrecevable à conclure, il est néanmoins statué sur le fond et il appartient à la cour d'examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s'était déterminé.
Pour retenir l'empiétement réalisé par les consorts K... sur la propriété T..., le premier juge a retenu que les premiers « n'apportent aucun élément probant justifiant de l'absence d'empiétement sur le terrain des demandeurs, à l'inverse des demandeurs qui justifient par plusieurs pièces versées aux débats l'étendue de leur propriété par bornage réalisé et constaté par des professionnels en la matière ».
Cependant il convient de rappeler que l'action en bornage ne peut opposer que des propriétaires. Si les consorts T... ont prouvé leur propriété en se prévalant de l'acte de prescription acquisitive du 17 mai 1995 modifié le 23 septembre 1998 visé par les appelants, il n'en est pas de même des appelants qui se contentent d'alléguer de leur présence ancienne sur la parcelle et de photographies aériennes ne pouvant faire preuve de leur propriété, a fortiori de son étendue. Aucun bornage n'a eu lieu et ne pouvait avoir lieu, le tribunal mentionnant d'ailleurs que le géomètre mandaté par les consorts T..., l'Eurl Jet, a pris un procès-verbal de carence, « la présence de la clôture mise en place par les défendeurs ayant empêché l'opération de réimplantation des bornes », alors qu'un procès-verbal de bornage n'était versé au débat. En l'absence d'un procès-verbal de bornage délimitant les propriétés respectives, aucun empiétement ne peut être retenu et il convient d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions.
1°- ALORS QU'en se fondant pour rejeter la demande des consorts T... tendant à voir ordonner l'expulsion des consorts K... et la démolition des ouvrages construits par ces derniers sur leur terrain, sur la circonstance que ni les consorts K... ni les consorts T... ne démontreraient leur droit de propriété sur la parcelle objet de la revendication, quand il lui appartenait de statuer sur l'action en revendication dont elle était saisie et de trancher la question de la propriété de la parcelle supportant les constructions édifiées par les consorts K... revendiquée par les parties, la Cour d'appel a violé l'article 4 du code civil et méconnu l'étendue de ses pouvoirs ;
2°- ALORS QUE la preuve du droit de propriété qui est distincte de la question de la délimitation des fonds n'est pas subordonnée à l'exercice d'une action en bornage ni à l'existence d'un procès-verbal de bornage délimitant les propriétés respectives ; que cette preuve peut être rapportée par tout moyen ; qu'en se fondant pour écarter l'existence d'un empiétement des ouvrages réalisés par les consorts K... sur la parcelle des consorts T..., sur l'impossibilité d'une action en bornage faute pour les consorts K... de justifier de leur droit de propriété et sur l'absence de procès-verbal de bornage, la Cour d'appel a violé les articles 544, 545, 1315 ancien et 646 du code civil ;
3°- ALORS QUE pour retenir la preuve du droit de propriété des consorts T... sur la parcelle litigieuse, le jugement s'était fondé non seulement sur le bornage qui a donné au lieu au procès-verbal de carence, mais aussi sur l'acte de partage notarié du 1er février 2001, sur les constatations du géomètre l'EURL Jet qui relève dans son rapport d'expertise que les défendeurs ont posé une maison en bois sur le terrain des consorts T... et qu'ils empiètent sur ce terrain par une clôture, et notamment sur l'annexe 4 de ce rapport, sur des constats d'huissier et sur des pièces démontrant que les consorts K... ont déjà été assignés par des voisins de parcelles pour des empiétements sur leur propriété et qu'un jugement du 22 mars 2007 validant l'expertise avait ordonné leur expulsion ; qu'en énonçant que pour retenir l'empiétement réalisé par les consorts K... sur la propriété T..., le premier juge aurait retenu que les premiers « n'apportent aucun élément probant justifiant de l'absence d'empiétement sur le terrain des demandeurs, à l'inverse des demandeurs qui justifient par plusieurs pièces versées aux débats l'étendue de leur propriété par bornage réalisé et constaté par des professionnels en la matière », la Cour d'appel a dénaturé par omission le jugement déféré en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;
4°- ALORS QU'en s'abstenant d'examiner au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s'était fondé pour retenir la preuve de l'empiétement réalisé sur la propriété des consorts T... par les consorts K..., sur les mentions de l'acte de partage notarié du 1er février 2001, les constatations du rapport d'expertise de l'EURL Jet et notamment de l'annexe 4 de ce rapport, les constats d'huissier et sur les pièces démontrant que les consorts K... ont déjà été assigné par des voisins de parcelles pour des empiétements sur leur propriété et qu'un jugement du 22 mars 2007 validant l'expertise a ordonné leur expulsion, la Cour d'appel a violé l'article 472 du code de procédure civile.