LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 janvier 2021
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 85 FS-P+L
Pourvoi n° N 20-10.602
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 JANVIER 2021
1°/ la commune de Lussac, représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité, [...],
2°/ la communauté de communes Grand Saint-Emilionnais, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° N 20-10.602 contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige les opposant à Mme U... G..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de la commune de Lussac et de la communauté de communes Grand Saint-Emilionnais, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme G..., et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 1er décembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Georget, Djikpa, M. Zedda, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la communauté de communes Grand Saint-Emilionnais du désistement de son pourvoi.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 24 octobre 2019), Mme G... est propriétaire d'un terrain situé sur la commune de Lussac (Gironde), en zone naturelle.
3. Après avoir obtenu, le 1er avril 2005, un permis de construire, elle y a entrepris la construction d'un chalet en bois.
4. Le 25 août 2013, soutenant que la construction n'était conforme ni au permis de construire, ni au plan d'occupation des sols, lequel interdisait en zone naturelle les constructions nouvelles à usage d'habitation, la commune de Lussac l'a assignée en démolition.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. La commune de Lussac fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables, alors « que l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme dispose que la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le Livre IV du code de l'urbanisme, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre dudit code, en violation de son article L. 421-8 ; que ce texte ne prévoit aucunement que l'existence d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme priverait la commune de sa qualité à agir afin de voir cesser la situation illicite consommée sur son territoire ; qu'en estimant que la commune n'était plus recevable à agir en démolition des ouvrages litigieux à compter du 1er janvier 2013, date à laquelle elle avait transféré à la communauté de communes du Grand Saint-Emilionnais sa compétence en matière de plan local d'urbanisme, la cour d'appel a violé l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme par refus d'application. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable :
6. Aux termes de ce texte, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié sans l'autorisation exigée par le présent livre ou en méconnaissance de cette autorisation dans un secteur soumis à des risques naturels prévisibles.
7. Il résulte de l'article L. 480-1 du code de l'urbanisme que la commune a qualité pour agir, concurremment avec l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme, pour exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits commis sur son territoire.
8. Il ressort de l'article L. 422-3 du code de l'urbanisme que la commune conserve, sauf délégation, sa compétence pour délivrer le permis de construire, d'aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable.
9. Il s'ensuit que le transfert de la compétence en matière de plan local d'urbanisme au profit d'un établissement public de coopération intercommunale ne prive pas la commune de toute compétence pour délivrer les autorisations et faire sanctionner la violation des règles d'urbanisme.
10. De surcroît, la réalisation de l'objectif d'intérêt général qui s'attache au respect de ces règles et justifie l'action en démolition ou en mise en conformité implique la faculté pour la commune d'exercer cette action en cas d'abstention de l'établissement public compétent en matière de plan local d'urbanisme, alors même qu'une violation de la règle d'urbanisme a été constatée.
11. Pour déclarer irrecevables les demandes de la commune, l'arrêt retient que seule la compétence en matière de plan local d'urbanisme détermine qui, de la commune ou de l'établissement, a qualité pour agir en démolition, que la commune verse au dossier les statuts de la communauté de communes du Grand Saint-Emilionnais qui attribuent expressément à cette communauté la compétence d'élaboration, de gestion et de suivi des documents d'urbanisme, dont le plan local d'urbanisme intercommunautaire, et qu'il est constant que ce transfert s'est opéré à partir du 1er janvier 2013, de sorte que, à la date de l'assignation, la communauté de communes avait seule qualité pour agir en démolition de la construction de Mme G..., quand bien même la commune détenait la compétence du plan local d'urbanisme au moment de la délivrance du permis de construire.
12. En statuant ainsi, alors que la commune a, concurremment avec l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme, qualité pour agir en démolition ou en mise en conformité, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne Mme G... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme G... et la condamne à payer à la commune de Lessac la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour la commune de Lussac et la communauté de communes Grand Saint-Emilionnais.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR déclaré irrecevables les demandes formulées par la commune de Lussac contre Madame G... ;
AUX MOTIFS QUE l'article L. 480-14 du Code de l'urbanisme dispose : « La commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l'article L. 421-8. L'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à complet de l'achèvement des travaux » ; que, contrairement à ce que soutient la commune de Lussac, seule la compétence en matière de plan local d'urbanisme détermine qui de la commune ou de l'EPCI a qualité pour agir en démolition ; que la commune de Lussac verse au dossier les statuts de la communauté de communes dont l'article II A. alinéa 3 attribue expressément à la communauté de communes du Grand Saint-Emilionnais la compétence d'élaboration, de gestion et de suivi des documents d'urbanisme dont le plan local d'urbanisme intercommunautaire ; qu'il est constant que ce transfert s'est opéré à partir du 1er janvier 2013 et que, dès lors, la communauté de commune du Grand Saint-Emilionnais avait seule qualité pour agir en démolition de la construction de Mme G..., et ce quand bien même la commune détenait la compétence du plan local d'urbanisme au moment de la délivrance du permis de construire ; qu'ainsi, la commune de Lussac n'avait pas qualité pour agir lorsqu'elle a assigné Mme G... le 25 août 2013, cette date étant postérieure à celle du transfert de la compétence du PLU à l'EPCI ; qu'elle est, en conséquence, irrecevable en toutes ses demandes, ce qui rend par ailleurs sans objet l'analyse de la demande qu'elle forme au titre de l'habilitation du maire pour former appel provoqué ;
ALORS QUE l'article L. 480-14 du Code de l'urbanisme dispose que la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée par le Livre IV du Code de l'urbanisme, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre dudit Code, en violation de son article L. 421-8 ; que ce texte ne prévoit aucunement que l'existence d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme priverait la commune de sa qualité à agir fin de voir ainsi cesser la situation illicite consommée sur son territoire ; qu'en estimant que la commune n'était plus recevable à agir en démolition des ouvrages litigieux à compter du 1er janvier 2013, date à laquelle elle avait transféré à la communauté de communes Grand Saint-Emilionnais sa compétence en matière de plan local d'urbanisme, la Cour a violé l'article L. 480-14 du Code de l'urbanisme par refus d'application.