LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 janvier 2021
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 92 F-D
Pourvoi n° R 19-24.010
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme N....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 22 mai 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 27 JANVIER 2021
M. Q... T..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° R 19-24.010 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2019 par la cour d'appel de Bourges (chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme K... N..., épouse T..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. T..., de la SCP Ortscheidt, avocat de Mme N..., et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er décembre 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges 5 septembre 2019), un jugement a prononcé le divorce de M. T... et de Mme N....
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. T... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer la somme de 50 000 euros à titre de prestation compensatoire, alors « que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible ; que la cour d'appel qui, pour condamner M. T... à verser à son ex-épouse la somme de 50 000 euros en capital à titre de prestation compensatoire, s'est bornée à constater « qu'il est incontestable que le divorce emporte des conséquences financières pour l'appelante qui a été contrainte de procéder à la mise en redressement judiciaire de son entreprise au 19 octobre 2016 et à sa liquidation », sans procéder à aucun examen, même sommaire, du patrimoine et des revenus des époux, a privé sa décision de base légale au regard des articles 270 et 271 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 270 et 271 du code civil :
4. Il résulte du premier de ces textes que l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Selon le second, la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
5. Pour condamner M. T... à payer une somme de 50 000 euros à titre de prestation compensatoire, l'arrêt retient que le divorce emporte des conséquences financières pour Mme N..., contrainte de procéder à la mise en redressement judiciaire de son entreprise et à sa liquidation et que la somme de 50 000 euros qu'elle réclame correspond à trois années de situation économique très difficile à la suite de l'engagement de la procédure de divorce.
6. En se déterminant ainsi, sans procéder, comme il lui incombait, à une évaluation, même sommaire, du patrimoine et des revenus des époux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. T... à payer à Mme N... la somme de 50 000 euros au titre de la prestation compensatoire, l'arrêt rendu le 5 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges autrement composée ;
Condamne Mme N... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. T....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné Monsieur Q... T... à régler à Madame K... N... une somme de 50.000 € en capital au titre de la prestation compensatoire ;
AUX MOTIFS Qu'aux termes des dispositions de l'article 271 du Code civil, la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible ; qu'à cet effet, le juge prend en considération notamment :
- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa ;
Qu'en l'espèce, la durée du mariage entre les époux a été de cinq années, soit une durée relativement courte ; que Madame K... N... est âgée, au jour où la Cour statue, de 39 ans et Monsieur Q... T... de 41 ans, ce qui ne leur interdit pas, pour chacun, de poursuivre une relation amoureuse ; que l'appelante n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations relatives à une dépendance psychologiques aux viols dont elle fait état durant le mariage ou à des soucis de santé qui seraient liés à la procédure ; que le premier juge a relevé pour Madame N... qu'aucun élément psychologique ou psychiatrique en vient conforter les éléments allégués ; que de même aucun dépôt de plainte pour de tels faits n'est produit par l'appelante ; que l'appelante est titulaire d'un BTS Agricole en gestion forestière obtenu le 9 septembre 2003 en France Comté ; que, de son côté, Monsieur exerce la profession de chargé de clientèle au Crédit Mutuel ; que, sur le plan professionnel, il apparaît clairement que Madame N... a, dans un premier temps, poursuivi sa collaboration au sein de l'entreprise maternelle, mais été clairement poussé par l'intimé à exiger soit une augmentation, soit la cession de parts sociales, comme le démontrent les pièces 20 à 23 de l'appelante ; qu'il ressort des échanges de mails en décembre 2010 que Monsieur T... invitait très fermement sa future épouse, soit à obtenir une augmentation, soit à ouvrir une entreprise concurrente, au risque de rompre les relations mère-fille ; qu'il doit être tenu compte de cette attitude qui va aboutir d'une part à la création de l'entité nouvelle PAGC MEDICAL laquelle avait pour principal client l'EHPAD Oeuvre Hospitalière dirigée par le père de Q... T... à savoir le beau-père de l'appelante, comme le démontrent les copies des échanges de mails entre les parties ; qu'encore, à la suite de la demande en divorce engagée au cours du mois de mai 2016, le Crédit Mutuel, sous la signature de son directeur d'agence de DECIZE mettait fin à l'autorisation de découvert bancaire de Madame N... dans le cadre de l'entreprise PAGC MEDICAL ; qu'il est incontestable que le divorce emporte des conséquences financières pour l'appelante qui a été contrainte de procéder à la mise en redressement judiciaire de son entreprise au 19 octobre 2016 et à sa liquidation ; que, dès lors, la demande de prestation compensatoire présentée par Madame N... est fondée ; que la somme de 50.000 € qu'elle réclame correspond à trois années de situation économique très difficile à la suite de l'engagement de la procédure de divorce ; que Monsieur Q... T... doit être condamné au paiement de cette somme en capital ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible ; que la Cour d'appel qui, pour condamner Monsieur T... à verser à son ex-épouse la somme de 50.000 euros en capital à titre de prestation compensatoire, s'est bornée à constater « qu'il est incontestable que le divorce emporte des conséquences financières pour l'appelante qui a été contrainte de procéder à la mise en redressement judiciaire de son entreprise au 19 octobre 2016 et à sa liquidation », sans procéder à aucun examen, même sommaire, du patrimoine et des revenus des époux, a privé sa décision de base légale au regard des articles 270 et 271 du Code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE, dans ses conclusions d'appel (p. 8 et s.), Monsieur T... avait fait valoir que la liquidation judiciaire de la société de son épouse n'était nullement due au divorce, mais au fait que son ex-épouse s'en était totalement désintéressée et il versait aux débats trois attestations confirmant cette situation (pièces n° 7, 8 et 9) ; qu'en se bornant à énoncer qu'il « est incontestable que le divorce emporte des conséquences financières pour l'appelante qui a été contrainte de procéder à la mise en redressement judiciaire de son entreprise au 19 octobre 2016 et à sa liquidation », sans rechercher, comme elle y était pourtant expressément invitée, si la mise en redressement judiciaire de l'entreprise de Madame N... n'était pas la conséquence de ses propres agissements, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 270 et 271 du Code civil ;
ALORS, ENFIN, QUE la prestation compensatoire a pour objet de « compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives » ; qu'en se bornant à énoncer « que le divorce emporte des conséquences financières pour l'appelante qui a été contrainte de procéder à la mise en redressement judiciaire de son entreprise au 19 octobre 2016 et à sa liquidation » et que « la somme de 50.000 € qu'elle réclame correspond à trois années de situation économique très difficile à la suite de l'engagement de la procédure de divorce », la Cour d'appel, qui n'a pas constaté l'existence d'une disparité dans les conditions de vie des époux résultant de la rupture du mariage, a privé sa décision de base légale au regard des articles 270 et 271 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur Q... T... de sa demande de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE l'appelante n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations relatives à une dépendance psychologiques aux viols dont elle fait état durant le mariage ou à des soucis de santé qui seraient liés à la procédure ; que le premier juge a relevé pour Madame N... qu'aucun élément psychologique ou psychiatrique en vient conforter les éléments allégués ; que de même aucun dépôt de plainte pour de tels faits n'est produit par l'appelante
ET QUE Monsieur Q... T... soutient que l'action engagée par son ex-épouse ouvre droit à l'allocation de dommages intérêts ; qu'il lui reproche des fautes en ce qu'elle aurait fait plaider qu'elle aurait été violé par son époux ; que, cependant, ces éléments figurant dans les conclusions de première instance n'ont pas donné suite à une quelconque plainte ; que la demande de dommages-intérêts n'apparaît pas fondée, la preuve d'une faute de l'appelante et d'un dommage de l'intimé n'étant pas rapportée ;
ALORS QUE la Cour d'appel a expressément constaté « que l'appelante n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations relatives à une dépendance psychologique aux viols dont elle fait état durant le mariage ou à des soucis de santé qui seraient liés à la procédure ; que le premier juge a relevé pour Madame N... qu'aucun élément psychologique ne vient conforter les éléments allégués ; que de même aucun dépôt de plainte pour de tels faits n'est produite par l'appelante » ; qu'elle a néanmoins débouté l'exposant de sa demande de dommages et intérêts fondée sur les fautes commises par son ex-épouse en ce qu'elle aurait fait plaider qu'elle aurait été violée par son époux en relevant que « ces éléments figurant dans les conclusions de première instance n'ont pas donné suite à une quelconque plainte » ; qu'en se fondant ainsi sur une circonstance totalement inopérante pour enlever aux faits reprochés leur caractère fautif, la Cour d'appel a violé l'article 1240 du Code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016.