LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 mars 2021
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 184 F-D
Pourvoi n° B 19-11.255
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
M. F... L..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° B 19-11.255 contre l'arrêt rendu le 3 octobre 2018 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Ecologgia investissement, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
2°/ à M. V... Q..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Georget, conseiller référendaire, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de M. L..., de Me Balat, avocat de la société Ecologgia investissement, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Georget, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 3 octobre 2018), le 20 janvier 2007, MM. Q... et L..., associés à parts égales au sein de la société civile immobilière 4 C (la SCI), ont cédé leurs parts à la société Erelia investissement, qui les a cédées à la société Lvm invest, devenue Erelia invest, puis Ecologgia investissement.
2. Une décision du 6 janvier 2011 a condamné la SCI à payer une certaine somme au liquidateur judiciaire de la société Quincaillerie Antoine.
3. Le 10 octobre 2012, la SCI a été dissoute avec transmission de son patrimoine à la société Ecologgia investissement.
4. Se fondant sur l'article 1857 du code civil, la société Ecologgia investissement a assigné MM. Q... et L... en paiement de la moitié de la dette chacun.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. L... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Ecologgia investissement la somme principale de 27 500 euros, alors « qu'à l'égard des tiers, les associés d'une société civile répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements ; que cette obligation indéfinie et conjointe aux dettes sociales a été instituée au seul profit des tiers détenant une créance à l'encontre de la société, de sorte qu'une telle action ne peut être engagée par le cessionnaire des titres d'un associé, ni par la société absorbante de la société, faute de détenir une créance à son encontre ; qu'en affirmant cependant que la société Ecologgia investissement, cessionnaire final des titres de M. L... puis société absorbante de la société des 4 C, « avait la qualité de tiers à l'égard de MM. Q... et L..., anciens associés de la société des 4 C », la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1857 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1857, alinéa 1er, du code civil :
6. Selon ce texte, à l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.
7. Pour condamner M. L... à payer une somme à la société Ecologgia investissement, l'arrêt retient que MM. Q... et L... étaient associés au sein de la SCI jusqu'au 20 janvier 2007 et que la dette est née d'un paiement indu reçu par la SCI en janvier 2006 et exigible le 16 mars 2006 selon l'arrêt définitif du 6 janvier 2011.
8. L'arrêt ajoute qu'à la date de la demande en paiement, la société Ecologgia investissement avait la qualité de tiers à l'égard de MM. Q... et L..., anciens associés de la SCI dont la dissolution par absorption est intervenue le 10 octobre 2012, et qu'il est admis que le paiement d'une dette d'une société civile immobilière dissoute et liquidée peut être poursuivi directement par le créancier contre l'un des anciens associés.
9. En statuant ainsi, sans constater que la société Ecologgia investissement était un tiers à l'égard de la SCI et qu'elle était créancière d'une dette sociale au jour de l'assignation en paiement de M. L..., la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. L... à payer à la société Ecologgia investissement la somme de 27 500 euros assortie des intérêts légaux à compter du 18 juin 2013, l'arrêt rendu le 3 octobre 2018 entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Ecologgia investissement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Ecologgia investissement et la condamne à payer à M. L... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour M. L...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. V... L... à payer à la société Ecologgia investissement la somme principale de 27 500 € ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur la prescription, la cour, confirmant le jugement déféré, constate que l'action née de la condamnation à paiement de la société des 4 C aux droits de laquelle est venue la société Ecologgia investissement par arrêt de la cour d'appel de Nancy le 6 janvier 2011 est soumise à la prescription quinquennale de l'article 1859 du code civil ; que le délai de prescription qui a commencé à courir à la date de la dissolution par absorption de la société le 10 octobre 2012 a expiré le 10 octobre 2017 de sorte que l'action a été utilement engagée le 18 juin 2013 ; que, sur le fond, la société Ecologgia Investissement, cessionnaire finale des parts de la société des 4 C, réclame paiement à MM. L... et Q... d'une dette née d'un paiement indu reçu par la société des 4 C alors qu'ils étaient associés à parts égales au sein de cette société ; que la cour rappelle que l'article 1857 du code civil dispose : « A l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements. L'associé qui n'a apporté que son industrie est tenu comme celui dont la participation dans le capital social est la plus faible » ; qu'aux termes de l'article 1858 du même code, « les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale » ; que la cour observe que MM. L... et Q... étaient associés au sein de la société des 4 C jusqu'au 20 janvier 2007 et que la dette est née d'un paiement indu reçu par la société des 4 C en janvier 2006 et exigible le 16 mars 2006 selon l'arrêt définitif de la cour d'appel de Nancy du 6 janvier 2011 ; qu'elle relève qu'à la date de la demande en paiement, la société Ecologgia investissement avait la qualité de tiers à l'égard de MM. L... et Q..., anciens associés de la société des 4 C dont la dissolution par absorption est intervenue le 10 octobre 2012, qu'il est admis que le paiement d'une dette d'une société civile immobilière dissoute et liquidée peut être poursuivi directement par le créancier contre l'un des anciens associés ; qu'elle note que l'acte de cession du 20 janvier 2007 comporte une garantie d'actif et de passif de M. L... seul et que le protocole d'accord signé le 22 janvier 2007 entre M. Q... et la société Erelia Investissement devenue Ecologgia investissement emporte renonciation de la société Erelia Investissement à toute réclamation ultérieure concernant les responsabilités de M. Q..., notamment dans la société des 4 C, société dans laquelle « il a exercé une responsabilité importante au niveau comptable et commercial notamment sur l'exercice 2006 » ; qu'elle remarque toutefois que l'arrêt revêtu de l'autorité de chose jugée de la cour d'appel de Nancy du 6 janvier 2011 a retenu que la société des 4 C s'était prêtée à une opération ayant pour seul objet de permettre à son associé M. Q... de régulariser son compte courant d'associé au sein de la société Quincaillerie Antoine dont le paiement ne correspondait à aucune obligation vis-à-vis de la société des 4 C ; qu'elle en induit que les manoeuvres frauduleuses commises par M. Q... sont constitutives d'un comportement dolosif ayant vicié le consentement de la société Ecologgia investissement et que ce vice est exclusif de l'application de la clause de renonciation à recours en responsabilité stipulée au protocole du 22 janvier 2007 ; que la cour confirmera dès lors le jugement déféré qui a condamné MM. L... et Q..., associés à parts égales de la société des 4 C à la date d'exigibilité de la dette, à payer respectivement à la société Ecologgia investissement la somme de 27 500 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 18 juin 2013 valant mise en demeure ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTÉS QU' il apparaît que la société des 4 C a versé la somme de 55 000 € à la société Quincaillerie Antoine ; qu'une facture à été émise à ce titre ; qu'en janvier 2016, un chèque d'un même montant a été tiré de cette dernière société et encaissé par la société des 4 C ; que la cour d'appel de Nancy, estimant cette somme indue, a condamné la société des 4 C à rembourser la somme litigieuse ; que selon la même juridiction, la somme était exigible le 16 mars 2006 ; que cette somme reste à la charge des associés qui, lors de la naissance et de l'exigibilité de la dette, étaient obligés vis-à-vis de la société Ecologgia investissement qui n'était pas un tiers à ce moment (sic) ; que la société Ecologgia investissement prouve ainsi l'obligation dont elle réclame le paiement ;
1°) ALORS QU'à l'égard des tiers, les associés d'une société civile répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements ; que cette obligation indéfinie et conjointe aux dettes sociales a été instituée au seul profit des tiers détenant une créance à l'encontre de la société, de sorte qu'une telle action ne peut être engagée par le cessionnaire des titres d'un associé, ni par la société absorbante de la société, faute de détenir une créance à son encontre ; qu'en affirmant cependant que la société Ecologgia investissement, cessionnaire final des titres de M. L... puis société absorbante de la société des 4 C, « avait la qualité de tiers à l'égard de MM. Q... et L..., anciens associés de la société des 4 C », la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1857 du code civil ;
2°) ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, l'intérêt au succès ou au rejet d'une prétention s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice ; que la recevabilité de l'action d'un tiers tendant à engager la responsabilité indéfinie et conjointe d'un associé de société civile aux dettes sociales doit être appréciée au jour de l'introduction d'une telle demande en justice ; qu'en appréciant cependant la qualité de tiers de la société Ecologgia investissement, pour accueillir son action en responsabilité indéfinie et conjointe à l'encontre de M. L..., « à la date de la demande en paiement », soit à la date d'exigibilité de la créance sociale le 16 mars 2006, et non au jour de sa demande introductive d'instance le 18 juin 2013, la cour d'appel a violé les articles 31 et 32 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer luimême le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur un moyen qu'il a relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que la société Ecologgia investissement avait uniquement fondé son action en paiement à l'encontre de M. L... sur l'article 1857 du code civil (concl. Ecologgia investissement, p. 9) sans invoquer, ni dans le dispositif ni dans les motifs de ses conclusions, l'application de la clause de garantie d'actif et de passif mise à la charge de M. L... par l'acte de cession du 20 janvier 2007 ; qu'en décidant néanmoins, pour condamner M. L... au paiement des sommes réclamées par la société Ecologgia investissement, que « l'acte de cession du 20 janvier 2007 comporte une garantie d'actif et de passif de M. L... seul », la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE, EN TOUTE HYPOTHESE, en se bornant à affirmer, pour accueillir la demande en paiement de la société Ecologgia investissement à l'encontre de M. L..., que « l'acte de cession du 20 janvier 2007 comporte une garantie d'actif et de passif de M. L... seul », la cour d'appel n'a pas recherché si les conditions d'application de cette convention étaient réunies, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.