LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 4 mars 2021
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 152 F-D
Pourvoi n° P 19-24.859
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 4 MARS 2021
La société Les Hauts de L'Estaque, société civile immobilière, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 19-24.859 contre l'arrêt rendu le 26 septembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-4, arrêt sur déféré), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Loximat, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
2°/ à la société Allianz Iard, société anonyme, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société Aviva assurances, société anonyme, dont le siège est [...] ,
4°/ à la société Erilia, société anonyme, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société QBE Insurance Europe Limited, société anonyme, dont le siège est [...] ), et son établissement en France, [...] ,
6°/ à la société Etudes eau environnement géologie géotechnique sol structure (EG SOL SUD), société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
7°/ à la société Bureau Veritas construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
8°/ à la société Ingerop conseil et ingénierie, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
9°/ à la société JMC, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
10°/ à la société de travaux Alpes Méditerranée, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
11°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Les Hauts de L'Estaque, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Erilia, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 janvier 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Les Hauts de L'Estaque du désistement partiel de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Loximat, la société Allianz Iard, la société Aviva assurances, la société QBE Insurance Europe Limited, la société Etudes eau environnement géologie géotechnique sol structure, la société Bureau Veritas construction, la société Ingerop conseil et ingénierie, la société JMC, la Société de travaux Alpes Méditerranée, la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-En-Provence, 26 septembre 2019) et les productions, la société Erilia a acquis de la société Les Hauts de L'Estaque (la SCI) un programme immobilier en l'état futur d'achèvement ayant fait l'objet d'une réception avec réserves.
3. A la suite de plusieurs sinistres affectant les ouvrages, la société Erilia a fait assigner devant un tribunal de grande instance la SCI en vue de la voir condamner à lever les réserves et réparer les désordres constatés, en même temps que la Société de travaux Alpes Méditerranée (la société STAM), titulaire d'un lot "gros oeuvre".
4. La SCI a appelé en la cause l'ensemble des intervenants à l'opération, notamment les sociétés Ingerop conseil et ingénierie (la société Ingerop) maître d'oeuvre et son assureur, Aviva assurances, et les sociétés Loximat, SMABTP, QBE Insurance Europe Limited, Allianz Iard.
5. Un jugement en date du 4 décembre 2017 a, notamment, débouté la société Erilia de ses demandes à l'encontre de la société STAM, condamné la SCI à lui payer certaines sommes, à reprendre les malfaçons et à procéder à des travaux au titre de l'un des sinistres, condamné la société Allianz Iard à payer à la SCI une somme au titre du coût desdits travaux et débouté cette dernière de sa demande en garantie contre la société STAM. Il a, en outre, condamné les sociétés Ingerop et Loximat à payer chacune une somme à la SCI. Le tribunal a, par ailleurs, condamné la SCI à exécuter des travaux portant sur des bassins de rétention, l'a déboutée de sa demande envers la compagnie Allianz Iard à ce titre, a condamné les sociétés Ingerop et Loximat à payer une somme chacune à la SCI, a débouté la société Erilia de sa demande de dommages-intérêts formée contre la SCI, et a condamné cette dernière à payer à la société Ingerop une somme au titre de factures impayées, et statué sur les dépens et frais irrépétibles.
6. Par actes du 2 janvier 2018, la société STAM a signifié ce jugement à la SCI et à la société Erilia.
7. La SCI a interjeté appel à l'encontre de toutes les sociétés, par déclaration du 5 février 2018 suivie d'une autre le lendemain intimant les mêmes parties.
8. Un conseiller de la mise en état a fait droit aux conclusions de la société STAM visant à déclarer irrecevable l'appel de la SCI, par une ordonnance que cette dernière a déférée à la cour d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. La SCI Les Hauts de L'Estaque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables l'appel principal interjeté le 5 février 2018 à l'encontre de la SAS Société de travaux Alpes Méditerranée, dite STAM, et de la SA d'HLM Erilia, enregistré sous le n° 18/2037, et, par voie de conséquence, l'appel principal de la SCI Les Hauts de L'Estaque interjeté à l'encontre de ces mêmes parties le 6 février 2018, enregistré sous le n° 18/2036, alors « qu'en l'absence de toute solidarité ou indivisibilité, la signification faite par une partie à une autre n'a d'effet qu'entre elles ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'il n'existait aucune indivisibilité entre les parties ; qu'elle a également constaté qu'il ressortait de la procédure que seule la société STAM avait signifié le jugement du 4 décembre 2017, par un acte remis le 2 janvier 2018 à la SCI Les Hauts de L'Estaque et à la société Erilia ; qu'en retenant que l'appel de la SCI Les Hauts de L'Estaque était irrecevable à l'encontre de la société Erilia pour avoir été présenté plus d'un mois après cette signification du 2 janvier 2018, quand la société Erilia ne pouvait se prévaloir de la signification délivrée par la société STAM à la SCI Les Hauts de L'Estaque, en l'absence de toute indivisibilité ou solidarité entre elles, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 324 et 529 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 324 et 529 du code de procédure civile :
10. Il résulte de ces textes que c'est seulement dans le cas où le jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties que chacune peut se prévaloir de la notification faite par l'une d'elles.
11. Pour infirmer partiellement la décision déférée et dire irrecevables l'appel du 5 février 2018 en ce qu'il est dirigé contre la société STAM et la société Erilia, et par voie de conséquence, celui du 6 février intimant ces mêmes parties, l'arrêt, après avoir rappelé le dispositif du jugement au fond frappé d'appel, retient qu'il n'est ni établi ni invoqué d'indivisibilité, que la condamnation prononcée in solidum ne profite qu'à une seule partie, qu'il n'est justifié que de la signification du jugement le 2 janvier 2018 à la SCI à la requête de la société STAM et de celle du même jour à la société Erilia et que le délai d'appel d'un mois expirant, pour la SCI, le 2 février 2018.
12. En statuant ainsi, alors que la société Erilia ne pouvait se prévaloir de la signification délivrée par la société STAM à la SCI Les Hauts de L'Estaque en l'absence de toute indivisibilité ou solidarité entre les sociétés intimées, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables l'appel principal de la société Les Hauts de L'Estaque, interjeté le 5 février 2018 à l'encontre de la société Erilia, et par voie de conséquence, l'appel principal de la société Les Hauts de L'Estaque, interjeté le 6 février 2018 à l'encontre de la société Erilia, l'arrêt rendu le 26 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Erilia aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Erilia et la condamne à payer à la société Les Hauts de L'Estaque la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du quatre mars deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société civile immobilière (SCI) Les Hauts de L'Estaque
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'appel principal de la SCI Les Hauts de l'Estaque interjeté le 5.2.2018 à l'encontre de la SAS Société de travaux Alpes Méditerranée, dite Stam, et de la SA d'HLM Erilia, enregistré sous le n° 18/2037, et, par voie de conséquence, l'appel principal de la SCI Les Hauts de l'Estaque interjeté à l'encontre de ces mêmes parties le 6.2.2018, enregistré sous le n° 18/2036 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur la recevabilité de l'appel principal, en application de l'article 324 du code de procédure civile, en cas de pluralité de parties, les actes accomplis par ou contre l'un des co-intéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres ; que c'est le principe de la divisibilité de l'instance, qui est cependant énoncé « sous réserve de ce qui est dit aux articles 474, 475, 529, 552, 553 et 615 » du code de procédure civile ; qu'ainsi l'article 552 du code de procédure civile énonce : « En cas de solidarité ou d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel formé par l'une conserve le droit d'appel des autres, sauf à ces dernières à se joindre à l'instance. Dans les mêmes cas, l'appel dirigé contre l'une des parties réserve à l'appelant la faculté d'appeler les autres à l'instance » ; que l'article 553 du même code précise : « En cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne sont pas jointes à l'instance ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance » ; qu'en vertu des articles 528 et 538 du code de procédure civile, le délai d'appel est de un mois, et court, sauf exceptions, à compter de la notification du jugement, même à l'encontre de celui qui notifie ; qu'en cas de pluralité de notifications, la seconde en date n'ouvre pas un nouveau délai, dès lors du moins que la première a été délivrée régulièrement ; que l'article 529 alinéa 1er du code de procédure civile énonce qu'en cas de condamnation solidaire ou indivisible de plusieurs parties, la notification faite à l'une d'elles ne fait courir le délai qu'à son égard ; qu'ainsi la notification du jugement ne produit des effets qu'à l'égard de celui à qui la notification a été effectuée ; qu'en application de l'article 529 alinéa 2 du code de procédure civile, c'est seulement dans les cas où un jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties, que chacune peut se prévaloir de la notification faite par l'une d'elles ; qu'en l'espèce, le premier juge a : – prononcé à l'encontre de la seule SCI Les Hauts de l'Estaque plusieurs condamnations, dont celle de faire procéder à des travaux et de payer diverses sommes, – débouté les parties de leurs demandes formées contre la société Stam, – prononcé une condamnation in solidum des sociétés SAS Ingerop, Aviva Assurances, Loximat, Smabtp et QBE au profit d'une seule partie : la SA Allianz Iard ;
Que dès lors qu'il n'est invoqué ou établi aucune indivisibilité, que la condamnation prononcée in solidum ne profite qu'à une seule partie, qu'il n'est justifié que de la signification du jugement déféré à la SCI Les Hauts de l'Estaque effectuée le 2.1.2018 à la requête de la SA Société de travaux Alpes Méditerranée, dite Stam, par acte délivré à personne habilitée, avec signification du même jour à la SA d'HLM Erilia, également par acte délivré à personne habilitée, actes dont la régularité n'est nullement contestée, que le délai de un mois pour interjeter appel expirait pour la SCI le vendredi 2 février 2018 à 24 heures, l'appel de la SCI Les Hauts de l'Estaque interjeté plus d'un mois après ces actes, à l'encontre tant de la SA Société de travaux Alpes Méditerranée, dite Stam, que de la SA Erilia, par déclaration du 5.2.2018, est irrecevable, comme l'est, par voie de conséquence, le second appel du 6.2.2018 interjeté contre ces mêmes parties ; que par contre, alors qu'il n'est justifié d'aucune signification de ce jugement aux autres intimés effectuée à la requête de la SCI ou d'autres parties, le délai impartie à la SCI Les Hauts Les Hauts de l'Estaque pour interjeter appel à l'encontre de ces parties n'a pas commencé à courir ; que son appel est donc recevable à leur égard et la procédure doit se poursuivre entre la SCI et ces parties ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE l'article 538 du code de procédure civile fixe le délai d'appel à un mois en matière contentieuse ; que ce délai court à compter de la date de notification du jugement ; que l'article 914 du même code donne compétence exclusive, jusqu'à son dessaisissement, au conseiller de la mise en état, pour déclarer l'appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l'appel ; que la société STAM soulève l'irrecevabilité de l'appel comme étant hors délai, la signification du jugement ayant été faite par acte du 2 janvier 2018 ; qu'en l'espèce, le délai d'appel expirait donc le 2 février 2018, de sorte que l'appel de la SCI Les Hauts de l'Estaque enregistré le 5 février 2018 est en conséquence irrecevable comme tardif ;
ALORS QU'en l'absence de toute solidarité ou indivisibilité, la signification faite par une partie à une autre n'a d'effet qu'entre elles ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'il n'existait aucune indivisibilité entre les parties ; qu'elle a également constaté qu'il ressortait de la procédure que seule la société Stam avait signifié le jugement du 4 décembre 2017, par un acte remis le 2 janvier 2018 à la SCI Les Hauts de l'Estaque et à la société Erilia ; qu'en retenant que l'appel de la SCI Les Hauts de l'Estaque était irrecevable à l'encontre de la société Erilia pour avoir été présenté plus d'un mois après cette signification du 2 janvier 2018, quand la société Erilia ne pouvait se prévaloir de la signification délivrée par la société Stam à la SCI Les Hauts de l'Estaque, en l'absence de toute indivisibilité ou solidarité entre elles, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 324 et 529 du code de procédure civile.