LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mai 2021
Cassation partielle et annulation sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 430 F-D
Pourvoi n° C 20-16.711
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2021
M. [P] [O], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 20-16.711 contre deux jugements rendus les 20 février 2020 et 28 mai 2020 par le tribunal de proximité de Nantua, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Orpi Gex Immobilier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à Mme [T] [S], épouse [N], domiciliée [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Parneix, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [O], de la SCP Boullez, avocat de Mme [S], après débats en l'audience publique du 7 avril 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Parneix, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les jugements attaqués (tribunal de proximité de Nantua, 20 février et 28 mai 2020), rendus en dernier ressort, M. et Mme [O] ont pris à bail une maison d'habitation appartenant à Mme [S].
2. Les lieux ont été restitués le 2 août 2019.
3. Soutenant avoir subi différents désordres, M. [O] a saisi le tribunal de proximité en indemnisation de son préjudice de jouissance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [O] fait grief au jugement de condamner Mme [S] à lui payer la somme de 414,19 euros à titre de dommages-intérêts, après déduction du solde de loyer de juillet et août 2019, alors « que les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents de la cause ; que le tribunal d'instance a limité à 414,19 euros la somme due à M. [O] par [Personne physico-morale 1][S] à titre de dommages et intérêts, aux motifs que « le préjudice subi sera indemnisé par l'allocation de la somme de 2 500,00 ? à titre de dommages et intérêts ; que toutefois, il convient de tenir compte du fait que Monsieur [P] [O] s'est, ainsi qu'il ressort du décompte en date du 2 septembre 2019 qu'il verse aux débats, abstenu de procéder au règlement des loyers dus pour les mois de juillet 2019 et août 2019 d'un montant total de 2 075,81 ?, et s'est, de la sorte, d'ores et déjà fait justice à lui-même à concurrence de cette somme » ; qu'en statuant ainsi, quand il ressortait de ce décompte, intitulé « remboursement de dépôt de garantie » et établi par la société Orpi, que les loyers dus pour les mois de juillet 2019 et août 2019, à savoir la somme de 2 075,81 euros, avaient été déduits du montant du dépôt de garantie, le tribunal d'instance a dénaturé cette pièce, en violation du principe suivant lequel le juge ne peut dénaturer les écrits soumis à son examen. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour limiter la condamnation de Mme [S] à la somme de 414,19 euros, après avoir fixé le montant des dommages-intérêts à celle de 2 500 euros, le jugement retient qu'il convient de tenir compte du fait que M. [O] s'est abstenu, ainsi qu'il ressort du décompte du 2 septembre 2019 versé aux débats, de procéder au règlement des loyers dus pour les mois de juillet et août 2019, d'un montant total de 2 075,81 euros, et s'est, de la sorte, d'ores et déjà fait justice à lui-même à concurrence de cette somme.
6. En statuant ainsi, alors qu'il résultait du décompte du 2 septembre 2019 que l'arriéré de loyer avait été déduit du montant du dépôt de garantie, le tribunal, qui a dénaturé les termes clairs et précis de ce document, a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
7. En application de l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation partielle du jugement du 20 février 2020 entraîne, par voie de conséquence, l'annulation du jugement du 28 mai 2020, rendu sur requête en rectification d'erreur matérielle, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
8. Par ailleurs, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme [S] à payer à M. [O] la somme de 414,19 euros à titre de dommages-intérêts, le jugement rendu le 20 février 2020, entre les parties, par le tribunal de proximité de Nantua ;
ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 28 mai 2020 par le tribunal de proximité de Nantua ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne Mme [S] à payer à M. [O] la somme de 2 500 euros à titre de dommages-intérêts ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des jugements partiellement cassé et annulé ;
Ainsi fait et jugé par la cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Echappé, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [O].
Il est fait grief au jugement attaqué du 20 février 2020 d'AVOIR condamné Mme [S] à payer à M. [O] la somme de 414,19 euros à titre de dommages et interêts ;
AUX MOTIFS QUE : « Sur la demande de dommages-intérêts formée par Monsieur [P] [O] : Selon l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de délivrer la chose louée et s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent (...) ; d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ; d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; que l'article 6 de la loi n°89-462 en date du 6 juillet 1989 prévoit que le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation ; que le bailleur est obligé : de délivrer au locataire un logement en bon état d'usage et de réparation ainsi que les équipements mentionnés au contrat de location en bon état de fonctionnement (...) ; d'assurer au locataire la jouissance paisible du logement et, sans préjudice des dispositions de l'article 1721 du code civil, de le garantir des vices ou défauts de nature à y faire obstacle (...) ; d'entretenir les locaux en état de servir à l'usage prévu par le contrat et d'y faire toutes réparations, autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l'entretien normal des locaux loués (...) ; qu'il résulte des pièces versées aux débats que : aux termes d'un courrier électronique en date du 05 mars 2019, la société de nettoyage Clean Code indiquait à la société Orpi Gex Immobilier être intervenue dans les lieux loués pendant une durée de 8 heures et avoir procédé au nettoyage de l'ensemble des pièces. La société Clean Code précisait en outre que "certaines armoires et placards en particuliers (chambre des enfants) ont demandé bien plus de temps de nettoyage que ce que nous faisons normalement, ceci étant dû à leur degré de saleté (poussière et toiles d'araignées pour ainsi dire littéralement incrustées aux surfaces). Les plafonds étaient parfois recouverts de toiles d''araignées sur une bonne partie de leur surface, et non pas simplement dans les coins'' ; Madame [T] [S] épouse [N] a fait procéder au remplacement de 5 radiateurs au sein du logement, ainsi qu'à celui de la VMC et à l'équilibrage des installations électriques à la suite d'un problème de disjoncteur (facture Abr Electricité n°FA0000182 en date du 06 mai 2019 d'un montant de 4 010,16 ?), ainsi qu'au remplacement de l'horloge modulaire du tableau électrique (facture Abr Electricité n°FA00001184 en date du 15 mai 2019 d'un montant de 192,39 ?) ; il résulte en outre d'un message adressé par l'agence Orpi Gex Immobilier 08 mars 2019 à Madame [T] [S] épouse [N] que la porte du garage ferme et s'ouvre normalement mais qu 'elle est lourde à manipuler", rendant ainsi nécessaire le remplacement du kit motorisation de ladite porte (devis Serrurerie dépannage du pays Gessien n°DE00000708 en date du 21 mars 2019) ; que les dysfonctionnements et avaries relevés ci-dessus sont les seuls dont Monsieur [P] [O] rapporte la preuve de façon certaine, les autres points reprochés à la bailleresse au soutien de ses prétentions étant destinés à demeurer à l'état de pures allégations faute de preuves ; qu'il convient toutefois de souligner que les avaries relevées constituent pour la bailleresse des manquements suffisamment graves à son obligation de mettre à disposition des locataires un logement conforme aux dispositions de l'article 6 de la loi du 06 juillet 1989 ; qu'ainsi, l'absence de fonctionnement de 5 radiateurs sur 8, radiateurs dont le bon état de fonctionnement n'a pas été constaté par l'Huissier de justice lors de l'entrée dans les lieux, a occasionné chez les locataires un préjudice, les contraignant à vivre sans chauffage ou avec un chauffage gravement dysfonctionnant au cours des mois de mars 2019 et avril 2019. Sur ce point, la bailleresse ne peut sérieusement prétendre avoir fait procéder au remplacement de l'ensemble des radiateurs pour un montant de 4 010,16 ? dans le seul but d'améliorer le confort des locataires ; qu'il en va de même de l'absence de nettoyage de la maison préalablement à l'entrée des locataires dans les lieux, le courrier électronique adressé par la société Clean Code à la société Orpi Gex Immobilier ne comportant aucune ambiguïté sur ce point, même s'il convient de constater qu'il a été rapidement mis un terme à cet état de saleté ; que s'agissant du préjudice subi par Monsieur [P] [O] et sa famille, il convient de constater que l'attestation rédigée par Monsieur [G] [U] et versée aux débats n'est pas conforme aux exigences de l'article 202 alinéa 3 du code civil en ce qu'elle n'est pas manuscrite, et n'est pas de nature à démontrer l'exigence d'un préjudice particulier dû au relogement en urgence allégué par le demandeur, dès lors qu'elle ne fait pas état du paiement du moindre loyer ou frais, alors que, dans sa déclaration au Greffe, le demandeur écrivait avoir été contraint de "retrouver une autre location meublée au coût de frais d'agence que nous aurions pu économiser", et que l'engagement de tels frais laisse nécessairement des traces écrites que Monsieur [P] [O] se trouve bien incapable de produire aux débats ; que Monsieur [P] [O] ne produit en outre aucune pièce permettant d'attester objectivement de ce qu'il a été contraint de poser des demi-journées de congés afin de permettre l'intervention de divers artisans au sein des lieux loués ; qu'il n'en reste pas moins que l'absence d'appareils de chauffage décents au cours des mois de mars 2019 et avril 2019 ainsi que les dysfonctionnements récurrents de la VMC et du disjoncteur électrique, tout comme le caractère difficilement maniable (et donc intrinsèquement dangereux) de la porte du garage ont nécessairement causé un préjudice important à Monsieur [P] [O], dont il n'est pas contesté qu'il vivait dans le bien loué avec sa famille comprenant des enfants en bas âge ; que le préjudice subi sera indemnisé par l'allocation de la somme de 2 500,00 ? à titre de dommages et intérêts ; que toutefois, il convient de tenir compte du fait que Monsieur [P] [O] s'est, ainsi qu'il ressort du décompte en date du 02 septembre 2019 qu'il verse aux débats, abstenu de procéder au règlement des loyers dus pour les mois de juillet 2019 et août 2019 d'un montant total de 2 075,81 ?, et s'est, de la sorte, d'ores et déjà fait justice à lui-même à concurrence de cette somme ; qu'au regard de ce qui précède, Madame [T] [S] épouse [N] sera condamnée à lui payer la somme de 414,19 ? à titre de dommages et intérêts » ;
ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents de la cause ; que le tribunal d'instance a limité à 414,19 euros la somme due à M. [O] par Mme [S] à titre de dommages et intérêts, aux motifs que « le préjudice subi sera indemnisé par l'allocation de la somme de 2 500,00 ? à titre de dommages et intérêts ; que toutefois, il convient de tenir compte du fait que Monsieur [P] [O] s'est, ainsi qu'il ressort du décompte en date du 02 septembre 2019 qu'il verse aux débats, abstenu de procéder au règlement des loyers dus pour les mois de juillet 2019 et août 2019 d'un montant total de 2 075,81 ?, et s'est, de la sorte, d'ores et déjà fait justice à lui-même à concurrence de cette somme » ; qu'en statuant ainsi, quand il ressortait de ce décompte, intitulé « remboursement de dépôt de garantie » et établi par la société Orpi, que les loyers dus pour les mois de juillet 2019 et août 2019, à savoir la somme de 2 075,81 euros, avaient été déduis du montant du dépôt de garantie, le tribunal d'instance a dénaturé cette pièce, en violation du principe suivant lequel le juge ne peut dénaturer les écrits soumis à son examen.