LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
COUR DE CASSATION
CF
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 10 juin 2021
NON-LIEU A RENVOI ET REJET DU POURVOI
Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 531 F-D
Pourvoi n° M 21-14.239
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de [U] [L].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 avril 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 10 JUIN 2021
Par mémoire spécial présenté le 29 mars 2021, [U] [L], domicilié chez Mme [O] [K], avocat, [Adresse 1], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° M 21-14.239 qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 15 février 2021 par la cour d'appel de Rennes (chambre spéciale des mineurs), dans le litige l'opposant au conseil départemental des Côtes d'Armor, service de l'aide sociale à l'enfance, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vigneau, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de [U] [L], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du conseil départemental des Côtes d'Armor, service de l'aide sociale à l'enfance, et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Vigneau, conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller, M. Sassoust, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Intervention volontaire
1. Il est donné acte à l'association Collectif d'aide aux jeunes migrants et leurs accompagnants des Côtes d'Armor de son intervention volontaire.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 15 février 2021), le 5 juillet 2018, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Créteil a confié au conseil départemental des Côtes d'Armor [U] [L], se disant né le [Date naissance 1] 2003 à [Localité 1] (Mali) et mineur isolé, avant de se dessaisir au profit du procureur près le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc. Le 24 août 2018, ce magistrat a requis un non lieu à assistance éducative. Le 4 septembre suivant, le conseil départemental a mis fin à la prise en charge d'[U] [L].
3. Par requête présentée le 14 décembre 2018, celui-ci a sollicité du juge des enfants sa prise en charge au titre de la protection de l'enfance puis a interjeté appel du jugement de ce magistrat qui, après avoir retenu qu'il ne rapportait pas la preuve de sa minorité, a dit n'y avoir lieu à assistance éducative.
4. La cour d'appel a confirmé le jugement.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
5. A l'occasion du pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt rendu le 15 février 2021 par la cour d'appel de Rennes, [U] [L] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article 375-5, alinéa 2, du code civil, en ce qu'elles ne prévoient aucun recours contre la décision du procureur de la République qui, après avoir ordonné la remise d'un mineur non accompagné à un service départemental de l'aide sociale à l'enfance dans le cadre d'un placement provisoire, met fin à ce placement provisoire sans avoir préalablement saisi le juge des enfants, et aucune voie de droit permettant au mineur concerné d'obtenir le rétablissement de ce placement provisoire par un juge dans des délais en rapport avec l'enjeu et la nature de cette mesure, sont-elles conformes à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont découle le droit au recours juridictionnel effectif, aux dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 dont découle l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant qui impose notamment que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge, ensemble l'article 34 de la Constitution ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
6. La disposition contestée n'est pas applicable au litige. En effet, elle concerne l'absence de recours contre la décision prise par le procureur de la République de ne pas saisir le juge des enfants dans les huit jours qui ont suivi la mesure de placement prise sur le fondement de l'article 375-5, alinéa 2, du code civil et l'absence de voie de droit permettant au mineur concerné d'obtenir le rétablissement de ce placement provisoire, non l'instance engagée sur requête d'[U] [L] devant le juge des enfants et dont la cour d'appel était saisie. En outre, le refus de prise en charge au titre de la protection de l'enfance a été décidé par le juge des enfants en raison de l'absence de preuve de minorité de l'intéressé, de sorte que l'inconstitutionnalité alléguée de la disposition contestée ne permettrait pas, en toute hypothèse, sa prise en charge au titre de l'assistance éducative et n'aurait donc aucune incidence sur la solution du litige.
Examen des moyens
Sur le trois moyens, ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, qui est irrecevable, et sur les deuxième et troisième moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne [U] [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour [U] [L]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
[U] [L] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de nullité de l'ordonnance de non-lieu à assistance éducative du procureur de la République de Saint Brieuc et du jugement rendu par le juge des enfants le 22 octobre 2019 ;
Alors qu'en cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur a été trouvé a le pouvoir de prendre l'une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4, et à ce titre de confier le mineur à un service départemental de l'aide sociale à l'enfance, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure ; que l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, qui impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge, ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif, interdisent au procureur de la République de mettre fin à cette mesure au-delà de ce délai de huit jours et, en toute hypothèse, sans avoir préalablement saisi le juge des enfants afin que ce dernier puisse, le cas échéant et selon la procédure prévue par l'article 1181 du code de procédure civile, en ordonner le maintien ou le rétablissement ; que le juge des enfants qui peut, à titre provisoire mais à charge d'appel, pendant l'instance, prendre cette mesure, est également compétent pour annuler une décision du procureur de la République ayant mis fin à cette mesure au-delà de ce délai de huit jours ou sans avoir préalablement saisi le juge des enfants ; qu'en retenant qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit un recours contre la décision du procureur de la République mettant fin à la mesure et sanctionnant le défaut de saisine du juge des enfants dans le délai de huit jours, sans exercer son propre office, la cour d'appel a méconnu les articles 375 et 375-5 du code civil, ensembles l'article 3-1 article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant et l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
[U] [L] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance ;
Alors que pour refuser de tenir compte du jugement supplétif d'acte de naissance attestant de la minorité du requérant, l'arrêt relève que ce jugement est dépourvu de force probante en ce que les faits déclarés dans les actes d'état civil produits à l'instance ne correspondent pas la réalité et que le détenteur de ces actes n'est pas la personne dont l'état civil y est constaté ; qu'en statuant ainsi, sans avoir procédé à l'examen des conditions de régularité internationale de ce jugement et au constat des résultats de cet examen, la cour d'appel a violé l'article 47 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
[U] [L] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance ;
Alors que lorsque le juge, saisi d'une demande de protection d'un mineur au titre de l'assistance éducative, constate que les actes de l'état civil étrangers produits ne sont pas probants, au sens de l'article 47 du code civil, il ne peut rejeter cette demande sans examiner le caractère vraisemblable de l'âge allégué et, le cas échéant, ordonner un examen radiologique osseux ; qu'en se bornant à constater que les actes de naissance, les conditions de leur obtention, les attestations et pièces produites et les données extérieures ainsi que les éléments tirés des actes eux-mêmes établissent que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité et que le détenteur de ces actes n'est pas la personne dont l'état civil y est constaté, que cet ensemble d'éléments prive de force probante le jugement supplétif d'acte de naissance et que, dès lors, l'intéressé n'établit pas sa minorité sans rechercher, comme il le lui incombait, si l'âge allégué n'était pas vraisemblable au regard notamment des éléments du rapport d'évaluation qui avait conclu en faveur de la minorité du requérant et de ceux tirés de sa situation actuelle (conclusions d'appel, p. 9 et 10), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 375 et 388 du code civil.