LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 juin 2021
Déchéance partielle et cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 463 F-D
Pourvoi n° M 18-26.693
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 JUIN 2021
Mme [B] [X], domiciliée [Adresse 1]), a formé le pourvoi n° M 18-26.693 contre l'arrêt rendu le 9 novembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [D] [X], domicilié [Adresse 2],
2°/ à M. [L] [X], domicilié [Adresse 3],
pris tous deux tant en leur nom personnel qu'en qualité d'héritiers de [H] [X],
3°/ à [H] [X], ayant été domicilié [Adresse 4], décédé,
4°/ à la société VAS, société civile, dont le siège est [Adresse 5],
5°/ à la société Eol, société civile, dont le siège est [Adresse 6],
6°/ à la société JS participations, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vigneau, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [X], de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de MM. [D] et [L] [X] et des sociétés VAS et Eol, de Me Ridoux, avocat de la société JS participations, et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Vigneau, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance du pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre la société JS participations
Vu l'article 978 du code de procédure civile :
1. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance du pourvoi, le mémoire en demande doit être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai de quatre mois à compter du pourvoi.
2. Mme [X] s'est pourvue en cassation le 27 décembre 2018 contre une décision rendue le 9 novembre précédent par la cour d'appel de Versailles dans une instance dirigée contre MM. [H], [D] et [L] [X] et les sociétés VAS, Eol et JS participations. Elle a signifié le mémoire ampliatif le 7 juillet 2020 à cette dernière, qui n'a pas constitué avocat.
3. Il y a lieu, dès lors, de constater la déchéance du pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre la société JS participations.
Faits et procédure
4. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 novembre 2018), [U] [Q] est décédée le [Date décès 1] 2013, laissant pour lui succéder son époux, [H] [X], et les trois enfants nés de leur union, [B], [D] et [L]. Bénéficiaire d'une donation entre époux, [H] [X] a opté pour l'usufruit de la totalité des biens composant la succession.
5. Mme [X] a assigné MM. [H], [D] et [L] [X] ainsi que les sociétés Eol, VAS et JS participations afin d'obtenir, notamment, le partage des biens dépendant de la succession. Sa demande a été rejetée en première instance. En cause d'appel, elle a demandé le partage de l'indivision existant entre elle et ses frères sur la nue-propriété de l'ensemble des biens composant la succession.
6. [H] [X] est décédé au cours de l'instance d'appel.
Examen des moyens
Sur les deux premiers moyens, ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Mme [X] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande tendant au partage de la nue-propriété de l'ensemble des biens et droits composant la succession de [U] [Q], alors « que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; que la demande de liquidation-partage de l'ensemble d'une succession présentée par une héritière devant le tribunal comprenait nécessairement une demande de liquidation-partage de l'indivision existant entre les héritiers sur la nue-propriété de l'ensemble des biens et droits composant la succession, le conjoint survivant ayant opté pour l'usufruit de la totalité des biens ; qu'en jugeant néanmoins que la demande de liquidation-partage de l'indivision portant sur la nue-propriété des biens présentée en appel était nouvelle et par conséquent irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 565 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 564 et 565 du code de procédure civile :
9. Selon le premier de ces textes, les parties ne peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
10. Aux termes du second, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
11. Pour déclarer irrecevable comme nouvelle la demande en partage de l'indivision de la nue-propriété des biens dépendant de la succession, l'arrêt retient que celle-ci, qui porte sur des droits différents et n'a pas le même objet, ne tend pas aux mêmes fins que la demande initiale en partage de l'ensemble de la succession.
12. En statuant ainsi, alors que la demande en partage de l'indivision de la nue-propriété des biens dépendant de la succession formée en cause d'appel par Mme [X] était incluse dans la demande en partage des biens de la succession présentée en première instance, de sorte qu'elle tendait aux mêmes fins, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen, la Cour :
CONSTATE la déchéance du pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre la société JS participations ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande en partage de la nue-propriété des biens dépendant de la succession de [U] [Q], l'arrêt rendu le 9 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne MM. [X] et les sociétés VAS et Eol aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [X] et les sociétés VAS et Eol et les condamne à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros ;
En application du même texte, condamne Mme [X] à payer à la société JS participations la somme de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [X]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR déclaré prescrite l'action Mme [B] [X] en nullité de l'acte de cession de parts sur le fondement de dol ;
AUX MOTIFS QU'elle avait, au jour de la signature de l'acte, une parfaite connaissance de la situation de la société et de la valeur des actions cédées ; la distribution postérieure des dividendes est sans incidence sur la valeur de la société prise en compte pour diminuer le prix des parts, (?) la prescription de l'action pour dol a couru à compter de la date de l'acte soit le 14 janvier 2008 ; la demande formée le 27 juin 2014 est donc prescrite ;
ALORS QUE la prescription de l'action en nullité pour dol ne court que du jour où il a été découvert ; que constitue un dol la référence dolosive portant sur un élément essentiel au regard duquel, s'il l'avait connu, le contractant lésé se serait déterminé autrement ; qu'il est constant que le 18 janvier 2008 soit 4 jours après la cession des parts de Mme [X] pour un prix total de 8.500.402 ? les actionnaires ont reçu des dividendes dans le cadre d'une distribution exceptionnelle de 7.050.000 ? c'est-à-dire très proche du prix de vente ; qu'un tel élément pouvait avoir un effet déterminant sur la volonté de Mme [X] de vendre ses actions en se privant de cette distribution ; qu'en se prononçant par un motif inopérant relatif au fait que cet élément n'avait pas d'influence sur le prix des actions, sans rechercher s'il aurait constitué un élément déterminant sur le consentement de Mme [X], ni à quelle date elle en a été informée, repoussant d'autant le point de départ de la prescription, la Cour d'appel a violé les articles 1109 et 1304 ancien du code civil, devenus 1130 et 1144 du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR déclaré Mme [B] [X] prescrite en son action en nullité de cession de parts sociales sur le fondement de la violence ;
AUX MOTIFS « qu'aux termes de l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction applicable, le délai de prescription « ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé » ; considérant que c'est à compter de ce jour que la victime, affranchie de la contrainte qui pesait sur elle, devient libre de contester le contrat ; considérant que la violence économique ou la dépendance, invoquées par Mme [X], peuvent caractériser cette contrainte ; mais considérant, d'une part, que la continuation de la violence économique invoquée après la conclusion des actes de cession n'est pas justifiée ; considérant, d'autre part, que la poursuite de l'état de dépendance prétendu jusqu'au décès de sa mère n'est établie par aucune pièce ; considérant, par conséquent, que les faits de violence invoqués ont pris fin à la date de la convention litigieuse » ;
ALORS QUE le délai de prescription de l'action en nullité d'un contrat ne court dans le cas de la violence ayant vicié le consentement que du jour où elle a cessé ; qu'en jugeant que la violence économique invoquée par Mme [X] avait cessé au jour de la conclusion de la cession litigieuse et déclaré prescrite son action en nullité, sans caractériser en quoi la contrainte élément de pur fait dont elle a retenu l'existence aurait cessé dès le jour de la signature du contrat signé sous cette contrainte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des anciens articles 1109 et 1304 du code civil, devenus les articles 1130 et 1144 du même code.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR déclaré irrecevable la demande de Mme [B] [X] tendant au partage de la nue-propriété de l'ensemble des biens et droits composant la succession de Mme [Q],
AUX MOTIFS QUE « considérant qu'en première instance, Mme [X] avait demandé que soit ordonnée la liquidation partage de la succession de Mme [Q] ; considérant que, comme l'a jugé le tribunal, cette demande était irrecevable, M. [H] [X] ayant opté, à la suite de la donation intervenue, pour l'usufruit de la totalité des biens composant la succession ; considérant que cette option n'interdit pas le partage de l'indivision existant sur la nue-propriété ; mais considérant que Mme [X] sollicite devant la cour non plus la liquidation partage de la succession dans son ensemble mais seulement celle portant sur la nue-propriété des biens composant celle-ci ; considérant que la liquidation demandée devant la cour porte donc sur des droits différents ; qu'elle n'a pas le même objet ; considérant que cette demande ne tend, en conséquence, pas aux mêmes fins que celle formée devant le tribunal ; considérant que, de même, les prescriptions de l'article 1360 du code de procédure civile doivent être appréciées non en fonction d'une demande portant sur l'entière succession mais en fonction d'une demande limitée aux droits indivis ; considérant que les conditions de recevabilité de cette demande sont donc différentes ; considérant que la demande formée en cause d'appel a donc un objet différent de la demande initiale et est subordonnée à des diligences différentes de la part de son auteur ; considérant que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres fins de non-recevoir, notamment celle tirée de l'absence de démarche amiable en vue de procéder à la liquidation partage de la nue-propriété, la demande est donc irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile » ;
1°) ALORS QUE les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; que la demande de liquidation-partage de l'ensemble d'une succession présentée par une héritière devant le tribunal comprenait nécessairement une demande de liquidation-partage de l'indivision existant entre les héritiers sur la nue-propriété de l'ensemble des biens et droits composant la succession, le conjoint survivant ayant opté pour l'usufruit de la totalité des biens ; qu'en jugeant néanmoins que la demande de liquidation-partage de l'indivision portant sur la nue-propriété des biens présentée en appel était nouvelle et par conséquent irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 565 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; que la demande de liquidation-partage de l'indivision portant sur la nue-propriété des biens composant la succession de feue Mme [Q] a pour objet le règlement de la succession et tend aux mêmes fins que la demande de liquidation-partage de la succession initialement présentée par Mme [X] devant le tribunal ; qu'en jugeant néanmoins que la demande de liquidation et de partage de l'indivision portant sur la nue-propriété des biens présentée en appel était nouvelle et par conséquent irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 565 du code de procédure civile.