LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 septembre 2021
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 799 F-D
Pourvoi n° H 20-10.045
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 SEPTEMBRE 2021
La société Newton, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 20-10.045 contre l'arrêt rendu le 21 octobre 2019 par la cour d'appel de Nancy (chambre de l'exécution - JEX), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [P] [O],
2°/ à Mme [T] [M], épouse [O],
domiciliés tous deux [Adresse 3],
3°/ à M. [B] [N], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Newton, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. et Mme [O], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 juin 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 21 octobre 2019), le 9 avril 2014, en exécution d'une ordonnance rendue par un juge de l'exécution le 9 janvier 2014, M. et Mme [O] ont fait pratiquer une saisie conservatoire sur les créances détenues par la société civile immobilière Newton (la SCI Newton) pour le compte de M. [N].
2. À la suite d'un arrêt d'une cour d'appel du 20 septembre 2017 ayant condamné M. [N] à payer à M. et Mme [O] une certaine somme, ces deniers ont fait signifier, le 19 janvier 2018, à la SCI Newton un acte de conversion de la saisie conservatoire en saisie-attribution.
3. Le 7 février 2018, M. [N] a assigné M. et Mme [O] devant un juge de l'exécution aux fins de contester cette conversion et demander la mainlevée de la saisie-attribution.
4. Par acte d'huissier de justice du 20 février 2018, M. et Mme [O] ont appelé en cause la SCI Newton et demandé la condamnation de cette dernière à leur payer la somme de 160 000 euros sur le fondement de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La SCI Newton fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. et Mme [O] la somme de 160 000 euros à titre de dommages-intérêts, en application de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution et de la débouter de ses demandes, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'application du second alinéa de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution, pour condamner la SCI Newton à réparer le préjudice prétendument causé à M. et Mme [O] par la déclaration inexacte et mensongère imputée au gérant de cette dernière lors de la saisie conservatoire, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur l'existence d'un tel préjudice, dont la réparation n'était pourtant pas demandée par M. et Mme [O], la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
7. Pour condamner la SCI Newton à payer à M. et Mme [O] la somme de 160 000 euros, l'arrêt retient, après avoir rappelé les termes de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution, que, d'une part, si le caractère manifestement inexact des informations données est établi, les déclarations faites ne sauraient s'analyser en une absence de réponse au sens de l'article L. 211-3 du code des procédures civiles d'exécution et, d'autre part, qu'il ressort des pièces communiquées, notamment du constat fait par l'huissier de justice le 9 avril 2014, que la SCI Newton a fait une déclaration inexacte et mensongère en procédant au versement de la somme réclamée à M. [N], en violation des effets de la saisie, et ce dans le dessein évident de faire échec à la réclamation de M. et Mme [O], dont le préjudice doit s'analyser en une perte de chance qu'il convient d'indemniser, au regard des circonstances de la cause, à la somme de 160 000 euros.
8. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen de droit qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne M. et Mme [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [O] et les condamne à payer à la société civile immobilière Newton la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société civile immobilière (SCI) Newton
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la SCI Newton à verser à M. et Mme [O] la somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts, en application de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution et d'AVOIR débouté la SCI Newton de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE « la cour d'appel rappelle qu'à titre de sanctions, l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution prévoit que "le tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements prévus, s'expose à devoir payer les sommes pour lesquelles la saisie a été pratiquée si le débiteur est condamné et sauf son recours contre ce dernier. Il peut être condamné à des dommages-intérêts en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère" ; qu'il est de jurisprudence constante que le tiers saisi, qui ne fournit pas les renseignements prévus par l'article L. 211-3 du même code est condamné au paiement des causes de la saisie ; qu'une déclaration incomplète, inexacte ou mensongère ne peut donner lieu qu'à sa condamnation à des dommages-intérêts ; qu'en l'espèce, si le caractère manifestement inexact des informations données est ainsi établi, les déclarations ainsi faites ne sauraient s'analyser en une absence de réponse, au sens de l'article L. 211-3 sus visé ; qu'il ressort des pièces communiquées, notamment du constat fait par l'huissier le 9 avril 2014, que la SCI Newton a fait une déclaration inexacte et mensongère, dès lors qu'elle a procédé au versement de la somme réclamée à Monsieur [N] en violation des effets de la saisie et ce dans le dessein évident de faire échec à la réclamation des époux [O], dont le préjudice doit s'analyser en une perte de chance ; que réclamant dans le dispositif de leurs conclusions l'application des dispositions de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution dans son ensemble, leur préjudice sera réparé par l'allocation de dommages et intérêts ; qu'il convient au regard des circonstances de la cause de leur octroyer à titre d'indemnisation du préjudice subi la somme de 160 000 euros » (arrêt attaqué, p. 6) ;
1°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'application du second alinéa de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution, pour condamner la SCI Newton à réparer le préjudice prétendument causé aux époux [O] par la déclaration inexacte et mensongère imputée au gérant de cette dernière lors de la saisie conservatoire, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur l'existence d'un tel préjudice, dont la réparation n'était pourtant pas demandée par les époux [O], la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, un manquement à un devoir d'information n'est pas causal s'il n'est pas démontré que, mieux informé, le bénéficiaire de ce devoir aurait pu éviter le dommage allégué ; qu'en condamnant la SCI Newton à payer aux époux [O] la somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison d'une déclaration inexacte et mensongère effectuée par son gérant lors de la saisie conservatoire, sans établir que, mieux informés par celui-ci, les époux [O] auraient pu récupérer la somme litigieuse entre les mains de la SCI Newton, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du second alinéa de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, seule une négligence fautive ou une déclaration inexacte ou mensongère ayant causé un préjudice au créancier poursuivant peut justifier la condamnation du tiers saisi à lui payer des dommages et intérêts ; qu'en retenant, pour condamner la SCI Newton à verser aux époux [O] des dommages et intérêts, que celle-ci avait procédé au versement de la somme réclamée à M. [N] en violation des effets de la saisie conservatoire litigieuse, quand seul le préjudice causé par le manquement imputé à la SCI Newton pouvait justifier sa condamnation à des dommages et intérêts, la cour d'appel a violé le second alinéa de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, seule une négligence fautive ou une déclaration inexacte ou mensongère ayant causé un préjudice au créancier poursuivant peut justifier la condamnation du tiers saisi à lui payer des dommages et intérêts ; qu'en retenant, pour condamner la SCI Newton à verser aux époux [O] des dommages et intérêts, que celle-ci avait procédé au versement de la somme réclamée à M. [N] en violation des effets de la saisie conservatoire litigieuse, cependant qu'elle constatait elle-même que cette saisie avait porté sur une créance éventuelle, de sorte qu'elle n'avait produit aucun effet à l'égard de la SCI Newton, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution ;
5°) ALORS QU'en toute hypothèse, le juge doit, en toutes circonstances, observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en retenant que le préjudice subi par les époux [O] en raison de la déclaration inexacte ou mensongère de la SCI Newton devait s'analyser en une perte de chance, dont la réparation n'était pourtant pas sollicitée par les époux [O], sans inviter les parties à présenter leurs observations sur le moyen tiré de l'existence d'un tel préjudice qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
6°) ALORS QU'en toute hypothèse, la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en condamnant la SCI Newton à payer aux époux [O] la somme de 160 000 euros, au titre d'une perte de chance d'obtenir la somme due par M. [N], quand cette somme correspondait au montant de la créance objet de la saisie conservatoire litigieuse, la cour d'appel a violé le second alinéa de l'article R. 523-5 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article 1240 du code civil.