LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 septembre 2021
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 899 F-D
Pourvoi n° U 20-12.425
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [Y].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 3 juillet 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 SEPTEMBRE 2021
1°/ l'AGS, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ l'UNEDIC, association déclarée, dont le siège est [Adresse 3], agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, en application de l'article L. 3253-14 du code du travail, élisant domicile au [Adresse 5] (CGEA) IDF Ouest, [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° U 20-12.425 contre les arrêts rendus les 11 octobre 2018 et 28 novembre 2019 par la cour d'appel de Paris, dans le litige les opposant :
1°/ à M. [S] [Y], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société [Z], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [Z], en qualité de mandataire ad hoc de la société Eva service nettoyage,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maunand, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'AGS et de l'UNEDIC CGEA IDF Ouest, de la SCP Lesourd, avocat de M. [Y], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Maunand, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Paris, 11 octobre 2018 et 28 novembre 2019), M. [Y] a saisi un conseil de prud'hommes de demandes de rappels de salaires à l'encontre de son employeur, la société Eva service nettoyage (la société Eva), qui l'avait engagé en qualité d'agent de propreté au cours de l'année 2009, sans contrat écrit.
2. La société Eva, placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce du 9 mai 2012, a été radiée d'office pour insuffisance d'actif par un jugement du 22 novembre 2012.
3. M. [R] a été désigné par ordonnance du président du tribunal de commerce du 19 mars 2013 en qualité de mandataire ad hoc de la société Eva.
4. Par jugement du 5 juin 2015, le conseil de prud'hommes a fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Eva la créance de M. [Y] à la somme de 16 960,96 euros à titre de rappels de salaire pour la période du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, outre une somme de 1 696,09 euros au titre des congés payés et 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il a déclaré le jugement opposable à l'AGS CGEA IDF Ouest et a débouté M. [Y] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
5. M. [Y] a interjeté appel de ce jugement.
6. Par arrêt du 11 octobre 2018, la cour d'appel a statué. Elle a été saisie d'une requête en rectification matérielle de cet arrêt par l'AGS CGEA IDF Ouest et, par arrêt du 28 novembre 2019, a rejeté cette demande.
Examen du moyen
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. L'AGS et l'UNEDIC CGEA IDF Ouest font grief à l'arrêt du 11 octobre 2018 de fixer, au passif de la liquidation judiciaire de la société Eva, la créance de M. [Y] pour les sommes de 16 960,96 euros à titre de rappel de salaire pour la période courant du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, de 1 696,09 euros au titre des congés payés afférents, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail au 30 novembre 2010, de fixer la créance de M. [Y] au passif de la société Eva à la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de déclarer le jugement opposable à l'AGS CGEA IDF Ouest, alors « que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; que le conseil de prud'hommes avait, dans son jugement du 5 juin 2015, fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Eva la créance de M. [Y] aux sommes de 16 960,96 euros à titre de rappel de salaire pour la période courant du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, et de 1 696,09 euros au titre des congés payés afférents » ; que dans le dispositif de sa décision, la cour d'appel confirme le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation judiciaire et de dommages-intérêts en résultant, après avoir énoncé que pour la période du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, M. [Y] devait être débouté de ses demandes de rappel de salaire à ce titre, et que le jugement serait infirmé, M. [Y] étant condamné à rembourser à l'AGS les sommes versées à ce titre qu'il a perçues soit la somme de 16 960,96 euros ; qu'en statuant ainsi, cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs.
9. Après avoir énoncé, dans ses motifs, que relativement aux rappels de salaire, M. [Y] n'avait fourni aucun élément permettant de rapporter la preuve qu'il aurait effectivement travaillé au sein de la société Eva à compter du 17 janvier 2009 jusqu'en novembre 2010, que les bulletins de salaire faisaient état d'une ancienneté remontant au 1er août 2009, qu'il avait été embauché par la société Seris sécurité en 2009, et que M. [Y] devait être débouté de ses demandes, le jugement infirmé et M. [Y] condamné au remboursement à l'AGS de la somme de 16 960,96 euros, l'arrêt, dans son dispositif, confirme le jugement sauf en ce qu'il demande la résiliation judiciaire du contrat de travail et des dommages-intérêts de ce chef, et statue de nouveau sur ce point.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a confirmé le jugement du conseil de prud'hommes ayant fixé, au passif de la liquidation judiciaire de la société Eva, la créance de M. [Y] à la somme de 16 960,96 euros à titre de rappels de salaire pour la période courant du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, outre une somme de 1 696,09 euros au titre des congés payés et 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et a déclaré le jugement opposable à l'AGS CGEA IDF Ouest, l'arrêt rendu le 11 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour l'AGS et l'UNEDIC CGEA IDF Ouest
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué du 11 octobre 2018 d'avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Eva service nettoyage la créance de M. [Y] pour les sommes de 16 960,96 euros à titre de rappel de salaire pour la période courant du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, de 1 696,09 euros au titre des congés payés afférents, d'avoir prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail au 30 novembre 2010, fixé la créance de M. [Y] au passif de la société Eva service nettoyage à la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'avoir déclaré le jugement opposable à l'AGS CGEA IDF Ouest ;
AUX MOTIFS QUE Sur les rappels de salaire pour la période du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, M. [Y] soutient qu'il a été embauché verbalement depuis le mois de janvier 2009 ; Que pour infirmation, l'AGS réplique que M. [Y] était embauché par la société Setis sécurité et qu'il ne pouvait donc pas cumuler deux emplois ; Que le conseil a considéré que M. [Y] occupait un poste à temps complet au sein de la société Eva service nettoyage entre le 25 janvier 2009 et le 31 juillet 2009 ; qu'il a alloué à M. [Y], pour la période du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, la somme de 16 960,96 euros, outre 1 696,09 euros au titre de congés payés y afférents ; Que l'AGS a avancé les sommes au salarié ; Que M. [Y] ne verse aucun élément permettant de rapporter la preuve qu'il aurait effectivement travaillé au sein de la société Eva service nettoyage à compter du 17 janvier 2009 jusqu'en novembre 2010 ; Que les bulletins de paie de M. [Y] font état d'une ancienneté remontant seulement au 1er août 2009 ; Qu'il ressort du relevé de carrière de M. [Y] qu'il était embauché, à temps plein, par la société Setis sécurité en 2009 ; En conséquence, M. [Y] sera débouté de ses demandes à ce titre, le jugement infirmé et il sera condamné à rembourser à l'AGS les sommes versées à ce titre qu'il a perçues soit la somme de 16 960,96 euros ;
Que sur les rappels de salaire de décembre 2010 à mai 2012 :
Que M. [Y] sollicite le paiement de rappels de salaire pour la période de décembre 2010 à mai 2012 ; Que l'AGS réplique que M. [Y] n'a fourni aucune prestation de travail entre le mois de novembre 2010 et le 9 mai 2012, date à laquelle le tribunal de commerce a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société ; Que dans ses conclusions, M. [Y] précise : « en décembre 2010, le gérant est parti à l'étranger et n'a plus donné de travail an salarié (...) il avait laissé au secrétariat, l'instruction d'attendre son retour pour reprendre le travail » ;
Qu'il reconnaît ainsi lui-même n'avoir plus travaillé pour la société Eva à partir de novembre 2010 ; Que M. [Y] était salarié à temps plein de l'entreprise Seris sécurité entre 2009 et 2012 ainsi que cela ressort du relevé de carrière de l'intéressé édité par la CNAVTS ; Qu'il ne démontre pas être resté à la disposition de la société Eva de décembre 2010 à avril 2012 de sorte que seules les sommes qui lui ont été allouées en première instance sont confirmées ; Qu'en conséquence, M. [Y] sera débouté du surplus de ses demandes et le jugement confirmé ;
1) ALORS QUE la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; que le conseil de prud'hommes avait, dans son jugement du 5 juin 2015, fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Eva service nettoyage la créance de M. [Y] aux sommes de 16 960,96 euros à titre de rappel de salaire pour la période courant du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, et de 1 696,09 euros au titre des congés payés afférents » ; que dans le dispositif de sa décision, la cour d'appel confirme le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation judiciaire et de dommages et intérêts en résultant, après avoir énoncé que pour la période du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, M. [Y] devait être débouté de ses demandes de rappel de salaire à ce titre, et que le jugement serait infirmé, M. [Y] étant condamné à rembourser à l'AGS les sommes versées à ce titre qu'il a perçues soit la somme de 16 960,96 euros ; qu'en statuant ainsi, cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; que la cour d'appel a dit que le jugement du conseil de prud'hommes du 5 juin 2015 était infirmé, en ce que M. [Y] devait voir fixer sa créance au passif de la société Eva service nettoyage aux sommes de 16 960,96 euros à titre de rappel de salaire pour la période courant du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010 et de 1 696,09 euros au titre des congés payés afférents, retenant qu'il sera condamné à rembourser à l'AGS les sommes versées à ce titre qu'il a perçues soit la somme de 16 960,96 euros ; qu'en énonçant ensuite, pour le débouter de sa demande de rappels de salaire pour la période allant de décembre 2010 à mai 2012, que seules les sommes qui lui avaient été allouées en première instance sont confirmées, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est fait grief à l'arrêt attaqué du 28 novembre 2019 rejeté la requête en rectification d'erreur matérielle ;
AUX MOTIFS QUE la lecture de l'arrêt met en évidence que s'agissant de la demande de rappels de salaire pour la période du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, la cour dans sa motivation a indiqué que M. [Y] devait être débouté de cette demande, le jugement infirmé et le salarié tenu de rembourser les sommes versées à ce titre, soit 16 960,96 euros ; que la restitution des sommes est donc la conséquence de l'infirmation de la décision concernant la demande de rappel de salaires pour cette période ; Que toutefois, dans son dispositif, la cour a confirmé le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation judiciaire et de dommages et intérêts en résultant, prononcé la résiliation judiciaire du contrat au 30 novembre 2010 et fixé la créance de dommages et intérêts du salarié ; Qu'il s'en déduit que la rectification de l'arrêt dans le sens sollicité par l'AGS aurait pour conséquence de modifier le sens du dispositif et l'étendue des droits des parties et par suite l'autorité de la chose jugée attachée à la décision, ce que ne peut autoriser la procédure de rectification prévue par l'article 462 du code de procédure civile ;
ALORS QUE les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande ; que la cour d'appel ne pouvait, sans entacher sa décision d'une erreur matérielle, énoncer dans les motifs de sa décision du 11 octobre 2018, que M. [Y] devait être débouté de sa demande de rappel de salaire pour la période du 25 janvier 2009 au 30 novembre 2010, et confirmer le jugement entrepris en qu'il avait accordé à M. [Y] les rappels de salaires et de congés payés afférents litigieux ; qu'en refusant de rectifier l'erreur matérielle affectant le dispositif de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 462 du code de procédure civile.