LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
NL4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 octobre 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 638 F-D
Pourvoi n° U 20-15.070
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2021
M. [R] [S], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 20-15.070 contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2020 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [H] [Y],
2°/ à Mme [B] [T],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dazzan, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [S], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Y], de Mme [T], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dazzan, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 9 janvier 2020), par acte sous seing privé du 10 mai 2012, M. [Y] et Mme [T] (les acheteurs) ont acquis un navire de M. [S] (le vendeur).
2. Le 12 novembre 2013, après avoir fait procéder à une expertise amiable, réalisée le 6 juin 2013, en raison de désordres affectant le moteur, les acheteurs ont assigné en référé le vendeur aux fins d'obtenir une expertise qui a été ordonnée le 8 janvier 2014. Le 11 mai 2016, à l'issue du dépôt du rapport, le 18 juin 2015, ils ont assigné le vendeur en résolution de la vente et en paiement de certaines sommes sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Le vendeur fait grief à l'arrêt de dire recevable l'action des acheteurs, de prononcer la résolution de la vente, d'ordonner la restitution du bien et du prix de vente et de le condamner à payer certaines sommes, alors « que le délai de deux ans de l'article 1648 du code civil est un délai de forclusion ; que la suspension de prescription prévue à l'article 2239 du code civil n'est pas applicable en cas de délai de forclusion ; qu'en traitant le délai de deux ans comme délai de prescription, pour considérer que la prescription avait été suspendue par la décision du juge des référés prescrivant une mesure d'instruction, et ne recommencer à courir qu'à l'issue du délai de six mois après l'achèvement de la mesure d'instruction, les juges du fond ont violé les articles 1648, 2220, 2239 et 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel a énoncé à bon droit que le délai de deux ans prévu par l'article 1648 du code civil constituait un délai de prescription qui était interrompu par une assignation en référé, conformément à l'article 2241 du code civil, et suspendu lorsque le juge faisait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, en application de l'article 2239 du même code.
5. Ayant retenu que le délai de prescription, qui avait commencé à courir le 6 juin 2013, date du dépôt du rapport d'expertise amiable, avait été interrompu le 12 novembre 2013, date de l'assignation en référé expertise, puis suspendu le 8 janvier 2014, date à laquelle il avait été fait droit à la demande, et avait recommencé à courir, le 18 juin 2015, date du dépôt du rapport de l'expert, elle en a exactement déduit que l'action en garantie des vices cachés introduite le 11 mai 2016 n'était pas prescrite.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. L'acquéreur fait grief à l'arrêt, après avoir résolu la vente et ordonné des restitutions, de mettre à sa charge des indemnités chiffrées à 3 484,30 euros et 2 439,84 euros, alors « que la partie qui fait effectuer des réparations sur la chose vendue pour qu'elle puisse correspondre à sa destination, peut légitimement penser que la chose vendue, en raison de ces réparations, répond à ce qu'on peut en attendre ; qu'étant rappelé que la bonne foi est présumée, les juges du fond auraient dû rechercher à quelle date il a commandé les réparations et si, eu égard à ces réparations, il ne pouvait pas légitimement s'attendre à ce que le bateau réponde à sa destination ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces différents points, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1645 et 1646 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. Sous le couvert du grief non fondé de défaut de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l'appréciation souveraine par la cour d‘appel de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis et au regard desquels elle a estimé que le vendeur connaissait les désordres présentés par le bateau lors de la vente.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [S] et le condamne à payer à M. [Y] et Mme [T] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. [S]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a décidé que l'action de M. [Y] et Mme [T] était recevable, eu égard aux délais, et confirmant le jugement, a prononcé la résolution, ordonné des restitutions et mis à la charge de M. [S] des indemnités ;
AUX MOTIFS QUE « l'article 1648 du code civil dispose que l'action en vice rédhibitoire doit être intentée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ; que M. [S] soulève en cause d'appel une fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action intentée par [H] [Y] et [B] [T] dont le point de départ est le jour de l'assignation en référé ; que les intimés s'opposent à cette analyse et revendiquent comme seul point de départ la prescription après interruption par l'assignation en référé, la date du dépôt du rapport d'expertise ; qu'il ressort des éléments de l'espèce que les intimés par courrier du 3 août 2012 ont écrit à M. [S] pour lui dénoncer « les avaries » qu'ils subissaient et « les nombreuses imperfections » trouvées par le mécanicien chargé des réparations, puis par nouvelle lettre du 12 juillet 2013 adressée par leur conseiller juridique, ils faisaient état de l'accomplissement d'une expertise amiable réalisée au contradictoire de M. [S] qui constatait « sur le moteur une très forte oxydation extérieure, une oxydation des circuits électriques de mauvaises connexions électriques, un raccordement bidouillé et un cardan oxydé » ; qu'ils ont sur cette base sollicité réparation du bateau considéré par l'expert amiable comme « inapte à l'utilisation » et indemnisation de son immobilisation ; qu'ils n'ont donc pas découvert les désordres du système de refroidissement et l'oxydation du moteur ainsi que l'oxydation des circuits électriques, rendant nécessaire leur changement à la lecture du rapport d'expertise judiciaire comme ils le prétendent ; qu'il convient de constater en effet, que le rapport rédigé par l'expert judiciaire reprend les éléments techniques du rapport amiable ; qu'il résulte de ce éléments que les intimés ont eu connaissance du vice rédhibitoire affectant le bien dans son origine et son ampleur, dès le dépôt du rapport d'expertise amiable du 6 juin 2013, et que c'est cette dernière date qui fait courir le délai de prescription ; que par ailleurs, selon l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription, de sorte que le délai a été interrompu par la saisine du juge des référés aux fins de voir ordonner une expertise ; qu'il résulte enfin de l'article 2239 du code civil que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit, avant tout procès, à une demande de mesure d'instruction, ce délai de prescription ne recommençant à courir pour une durée qui ne peut pas être inférieure à 6 mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ; que le délai de prescription a l'action en garantie des vices cachés de Mme [T] et M. [Y] a commencé à courir le 6 juin 2013 ; que ce délai a été interrompu par leur saisine du juge des référés aux fins de voir ordonner une expertise le 12 novembre 2013 ; que le 8 janvier 2014, le juge des référés a fait droit à la mesure d'instruction sollicitée par les consorts [T]-[Y] ; que le délai de prescription a été alors suspendu (puisque le juge des référés a fait droit à cette mesure d'instruction présentée avant tout procès) et n'a recommencé à courir, pour une durée qui ne pouvait pas être inférieure à 6 mois, à compter du jour de l'exécution de la mesure ; que l'expert judiciaire a déposé son rapport le 18 juin 2015 ; qu'il résulte du tout qu'interrompu par leur demande en référé expertise, le délai biennal de l'action en garantie des vices cachés des consorts [T]-[Y] n'a commencé à courir que le 18 juin 2015 ; qu'or, ils ont assigné au fond M. [S], l'assignation au fond a été délivrée par les intimés le 11 mai 2016 ; que leur action en garantie des vices cachés n'est donc pas prescrite » ;
ALORS QUE le délai de deux ans de l'article 1648 du code civil est un délai de forclusion ; que la suspension de prescription prévue à l'article 2239 du code civil n'est pas applicable en cas de délai de forclusion ; qu'en traitant le délai de deux ans comme délai de prescription, pour considérer que la prescription avait été suspendue par la décision du juge des référés prescrivant une mesure d'instruction, et ne recommencer à courir qu'à l'issue du délai de six mois après l'achèvement de la mesure d'instruction, les juges du fond ont violé les articles 1648, 2220, 2239 et 2241 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QUE, après avoir résolu la vente et ordonné des restitutions, il a mis à la charge de M. [S] des indemnités chiffrées à 3.484,30 € et 2.439,84 € ;
AUX MOTIFS QUE « par application de l'article 1645 du code civil, M. [S] est tenue de réparer les préjudices subis du fait du vice caché s'il est démontré qu'il en avait connaissance ; que l'expert judiciaire relève en page 9 de son rapport que le phénomène de surchauffe était connu depuis 2010 et n'avait pas trouvé de solutions malgré les différentes réparations ; qu'il ajoute que les réparations de 2012 : remplacement du dégazeur, auraient dû conduire à faire réaliser un contrôle du circuit de réfrigération ; que la récurrence des dysfonctionnements et les réparations effectuées n'y mettant pas un terme conduisent à retenir que M. [S] contrairement à ce qu'il prétend, connaissait les désordres présentés par le bateau mis à la vente ; que la prétention formée au titre des frais annexes, qui incluent les frais de location d'un emplacement de bateau, des frais de réparation (deux factures) et la prime d'assurance du bateau pour un total de 3.484,30 € accueilli par le premier juge doit être également confirmée ; qu'il a été précédemment indiqué que les intimés n'avaient pas pu profiter de leur bateau ; qu'ils ont dû ainsi louer un autre bateau de remplacement pour des frais justifiés de 2.439,84 € » ;
ALORS QUE la partie qui fait effectuer des réparations sur la chose vendue pour qu'elle puisse correspondre à sa destination, peut légitimement penser que la chose vendue, en raison de ces réparations, répond à ce qu'on peut en attendre ; qu'étant rappelé que la bonne foi est présumée, les juges du fond auraient dû rechercher à quelle date M. [S] a commandé les réparations et si, eu égard à ces réparations, il ne pouvait pas légitimement s'attendre à ce que le bateau réponde à sa destination ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ces différents points, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1645 et 1646 du code civil.