LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 janvier 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 36 F-D
Pourvoi n° P 20-19.067
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JANVIER 2022
La caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-19.067 contre le jugement rendu le 18 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Créteil (pôle social), dans le litige l'opposant à la société [3], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la société [3], après débats en l'audience publique du 17 novembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort (tribunal judiciaire de Créteil, 18 juin 2020), la société [3] (la société), prestataire en appareillages médicaux spécialisés dans l'assistance respiratoire à domicile, a fourni un appareil d'assistance respiratoire à l'un de ses patients, décédé par la suite, sur prescription d'un médecin pneumologue. Subrogée dans les droits du patient, elle a transmis à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne (la caisse) une demande d'accord préalable, établie le 10 novembre 2015, pour la prise en charge d'un traitement d'assistance respiratoire de longue durée à domicile.
Par courrier du 19 janvier 2016, la caisse a notifié au patient une décision de refus de prise en charge. La société a saisi la commission de recours amiable le 16 mars 2016. Suite au refus implicite de cette dernière, la société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. La caisse fait grief au jugement de dire recevable le recours exercé par la société, alors « que si le gérant d'une société à responsabilité limitée peut valablement déléguer à un de ses préposés le pouvoir de le représenter en justice pour les procédures dispensées du ministère d'avocat, le délégué du gérant ne peut lui-même subdéléguer le pouvoir de représenter la société en justice à un autre préposé que si la première convention de délégation le prévoit ; qu'en l'espèce, le tribunal a déclaré recevable le recours formé par requête introductive d'instance signée par Mme [C], responsable juridique adjoint de la société, laquelle avait reçu délégation de pouvoir et de signature de Mme [O], responsable juridique, laquelle avait elle-même reçu délégation de pouvoir et de signature de M. [L], gérant de la société ; qu'en statuant ainsi lorsqu'il résultait des constatations du jugement que la délégation de pouvoir donnée par M. [L], gérant de la société, à Mme [O] pour le représenter en justice ne prévoyait pas la possibilité pour cette dernière de subdéléguer son pouvoir à un autre préposé, le tribunal a violé les articles 117 et 416 du code de procédure civile , ensemble l'article 223-18 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
3. La société conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est nouveau et mélangé de fait et de droit.
4. Il ne résulte ni du jugement ni des pièces de la procédure que la caisse ait soutenu devant les juges du fond que si le gérant d'une société à responsabilité limitée peut valablement déléguer à un préposé le pouvoir de le représenter en justice dans les procédures dispensées du ministère d'avocat, le délégué du gérant ne peut lui-même subdéléguer le pouvoir de représenter la société en justice à un autre préposé que si la première convention de délégation le prévoit et qu'en l'espèce, l'absence de pouvoir de la responsable juridique adjointe pour signer la requête introductive d'instance résultait du fait que la délégation de pouvoir donnée par le représentant légal ne prévoyait pas la possibilité pour cette dernière de subdéléguer son pouvoir à un autre préposé.
5. Le moyen, nouveau, mélangé de fait et de droit, est, dès lors, irrecevable.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. La caisse fait grief au jugement d'avoir fait droit à la demande de prise en charge financière formulée par la société à hauteur de 1 200 euros, alors 2°/ « que les juge ne peuvent modifier l'objet du litige, tel que déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, les parties s'accordaient sur le fait que la demande d'entente préalable avait été établie le 10 novembre 2015 ; qu'en retenant que la demande d'entente préalable aurait été reçue par la caisse le 10 novembre 2015, et non établie à cette date, pour en déduire que la caisse aurait donné son accord tacite dès le 25 novembre 2015, le tribunal a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
7. Pour dire tardive la décision de refus du 19 janvier 2016 de la caisse, notifiée à l'assuré, le jugement énonce qu'il résulte des termes du courriel que celle-ci a adressé le 18 février 2019 à l'expert judiciaire, qu'elle a reçu le 10 novembre 2015 la demande d'accord préalable et non le 7 janvier 2016, comme cela est soutenu et qu'il en résulte l'accord tacite de la caisse à compter du 25 novembre 2015.
8. En statuant ainsi, alors que les parties n'élevaient dans leurs conclusions
aucune contestation sur la date d'établissement de la demande d'entente préalable par le médecin du 10 novembre 2015, le tribunal, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a dit le recours exercé par la société [3] Est recevable, le jugement rendu le 18 juin 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Créteil ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Créteil autrement composé ;
Condamne la société [3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [3] et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six janvier deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-de-Marne
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La CPAM du Val de Marne fait grief au jugement attaqué d'AVOIR dit recevable le recours exercé par la SARL [3]
ALORS QUE si le gérant d'une société à responsabilité limitée peut valablement déléguer à un de ses préposés le pouvoir de le représenter en justice pour les procédures dispensées du ministère d'avocat, le délégué du gérant ne peut lui-même subdéléguer le pouvoir de représenter la société en justice à un autre préposé que si la première convention de délégation le prévoit ; qu'en l'espèce, le tribunal a déclaré recevable le recours formé par requête introductive d'instance signée par Mme [C], responsable juridique adjoint de la SARL [3], laquelle avait reçu délégation de pouvoir et de signature de Mme [O], responsable juridique, laquelle avait elle-même reçu délégation de pouvoir et de signature de M. [L], gérant de la SARL ; qu'en statuant ainsi lorsqu'il résultait des constatations du jugement que la délégation de pouvoir donnée par M. [L], gérant de la SARL, à Mme [O] pour le représenter en justice ne prévoyait pas la possibilité pour cette dernière de subdéléguer son pouvoir à un autre préposé, le tribunal a violé les articles 117 et 416 du code de procédure civile, ensemble l'article 223-18 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)La CPAM du Val de Marne fait grief au jugement attaqué d'AVOIR fait droit à la demande de prise en charge financière formulée par la SARL [3] à hauteur de 1.200 euro.
1° - ALORS QUE le juge doit répondre aux conclusions des parties ; que pour contester devoir prendre en charge le traitement d'assistance respiratoire de l'assuré, la Caisse faisait valoir dans ses conclusions que la prise en charge du dispositif de ventilation assistée du forfait 6 nécessitait l'accord préalable du médecin-conseil, et qu'en l'espèce, la demande d'entente préalable ayant été établie le 10 novembre 2015 pour une prise en charge à compter du même jour, aucun accord préalable de la caisse n'avait été sollicité avant le début du traitement (cf. ses concl. d'appel, p. 4, in fine et p. 5, § 1) ; qu'en faisant droit à la demande de prise en charge du traitement formulée par la société [3] au motif qu'il y avait un accord tacite le 25 novembre sans répondre à ce moyen pertinent pris ce que l'accord n'était pas préalable, le tribunal a privé sa décision de motif en violation de l'article 455 du code de procédure civile.
2° - ALORS QUE les juge ne peuvent modifier l'objet du litige, tel que déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, les parties s'accordaient sur le fait que la demande d'entente préalable avait été établie le 10 novembre 2015 ; qu'en retenant que la demande d'entente préalable aurait été reçue par la caisse le 10 novembre 2015, et non établie à cette date, pour en déduire que la caisse aurait donné son accord tacite dès le 25 novembre 2015, le tribunal a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.
3° - ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en retenant que la Caisse aurait reçu le 10 novembre 2015, et non le 7 janvier 2916, la demande d'accord préalable de sorte qu'il en résultait un accord tacite de sa part à compter du 25 novembre 2015, ce qui rendait tardif sa décision de refus datée du 19 janvier 2016, lorsqu'il ne résulte ni du jugement, ni des pièces de la procédure, que la société [3] aurait invoqué de tels moyens, le tribunal qui a relevé d'office ces moyens sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile.
4° - ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant d'une part, que la demande d'entente préalable avait été « reçue le 10 novembre 2015 » par la Caisse et d'autre part, qu'elle avait été « établie le 10 novembre 2015 » ou « remplie le 10 novembre 2015 », le tribunal qui a statué par des motifs contraires, a violé l'article 455 du code de procédure civile.
5° - ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les écrits versés aux débats ; qu'en retenant que la Caisse aurait reçu le 10 novembre 2015 la demande d'accord préalable, et non le 7 janvier 2016 comme soutenu, le tribunal a dénaturé la demande d'entente préalable qui était datée du 10 novembre 2015 et qui portait, sur son volet 3, un tampon de la Caisse mentionnant « 7 janvier 2016 – courrier arrivé », en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis.
6° - ALORS en tout état de cause QUE même si l'accord de la Caisse est réputé acquis à défaut de réponse dans le délai de quinze jours qui suit la réception de la demande d'entente préalable, le contrôle médical peut toujours intervenir pour donner son avis sur la prise en charge de la suite du traitement ou la poursuite des actes, et la Caisse ne peut être tenue de prendre en charge les prestations effectuées postérieurement à la notification du refus de la demande d'entente préalable ; qu'en l'espèce, le tribunal a condamné la caisse à prendre en charge le traitement d'assistance respiratoire pour la période du 10 novembre 2015 au 31 octobre 2016 au prétexte que cette décision de refus de prise en charge du 19 janvier 2016 serait tardive et qu'il y aurait eu accord tacite de sa part à compter du 25 novembre 2015 ; qu'en statuant ainsi lorsque la caisse ne pouvait être tenue de prendre en charge les prestations effectuées postérieurement à la notification du refus de la demande d'entente préalable, le tribunal a violé l'article R. 162-23 du code de la sécurité sociale.
7° - ALORS QU'il résulte de l'article R. 162-23 du code de la sécurité sociale que lorsque les formalités de l'entente préalable n'ont pas été respectées, aucune prise en charge ne peut être imposée à la caisse ; qu'il en ainsi, notamment, lorsque les éléments médicaux relatifs à la prise en charge des soins n'ont pas été communiqués à la caisse avec la demande d'entente préalable mais fournis tardivement en cours de procédure pour tenter de justifier rétroactivement le bien-fondé de la demande de prise en charge ; qu'en l'espèce, le tribunal a constaté qu'à l'appui de la demande d'entente préalable remplie le 10 novembre 2015 pour un appareillage de ventilation relevant du forfait 6, le médecin traitant avait uniquement joint un examen médical polysommographique mettant en évidence des symptômes d'apnée du sommeil ; que c'était seulement en cours de procédure que la société [3] avait communiqué à l'expert une attestation du médecin traitant du 26 mars 2016 indiquant que le patient nécessitait un traitement de ventilation assistée inférieure à 12 heures pour un « syndrome obstructif ne pouvant être sevré totalement du ventilateur » ; qu'en se fondant sur cet élément qui n'était pas joint à la demande d'entente préalable pour dire qu'étaient réunies les conditions de prises en charge du forfait 6 exigeant que les malades présentent un syndrome obstructif et ne puissent être sevrés totalement du ventilateur, le tribunal a violé l'article R. 165-23 du code de la sécurité sociale.
8° - ALORS QUE le juge ne peut se prononcer sur une difficulté d'ordre médical dont dépend la solution du litige ; qu'il lui appartient, s'il s'estime insuffisamment éclairé à la suite d'une expertise médicale, d'ordonner un complément d'expertise, ou, sur demande des parties, une nouvelle expertise ; qu'en l'espèce, après avoir ordonné une expertise médicale pour dire si le traitement de l'assuré était justifié par son état de santé, le tribunal a estimé que l'expert n'avait pas été en mesure de remplir sa mission ; qu'il a ensuite retenu que le patient était atteint d'une des pathologies pour lesquelles la prise en charge du forfait 6 était assurée de sorte que les conditions de prise en charge du traitement étaient remplies ; qu'en se prononçant ainsi sur une difficulté d'ordre médical lorsqu'il lui appartenait, s'il s'estimait insuffisamment éclairé par l'expertise médicale de recourir à un complément d'expertise, le tribunal a violé les articles L. 141-1 et L. 141-2 du code de la sécurité sociale.
9° - ALORS QUE la prise en charge par la caisse des produits de santé et dispositifs médicaux ne peut se faire que dans les conditions prévues par la législateur et la réglementation en vigueur qui fixe les tarifs de remboursement ; que selon le titre 1er du chapitre 1er de la liste des produits et prestations remboursables, le traitement de ventilation assistée inférieure à 12 heures prescrit et fourni à l'assuré est pris en charge sur la base du forfait 6 ; qu'en l'espèce, le tribunal a constaté que le médecin avait prescrit au patient un traitement de ventilation assistée inférieure à 12 heures relevant du forfait de soins n° 6 pour lequel avait été formée une demande d'entente préalable et que la société [3] lui avait fourni cet appareil ; qu'en jugeant la société [3] était fondée à demander à la caisse la prise en charge ce traitement sur la base du forfait 9 au prétexte inopérant que l'état de santé du patient nécessitait en réalité un dispositif médical à Pression Positive Continue, soit un traitement au titre du forfait 9 d'ailleurs moins onéreux, le tribunal a violé les articles L. 165-1 et R. 165-1 du code de la sécurité sociale, ensemble la liste des produits et prestations remboursables.
10° - ALORS QUE les jugements doivent être motivées ; qu'en faisant droit à la demande de prise en charge financière formulée par la société [3] à hauteur de 1.200 euros sans préciser comment il avait arbitrairement fixé ce montant, le tribunal a violé l'article 455 du code de procédure civile.