LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 janvier 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 71 FS-D
Pourvoi n° K 17-19.489
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2022
M. [L] [Y], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 17-19.489 contre l'arrêt rendu le 7 mars 2017 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant à Pôle emploi Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [Y], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Pôle emploi Rhône-Alpes, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 novembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache, M. Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 7 mars 2017) et les productions, M. [Y] a bénéficié du revenu de remplacement dénommé aide au retour à l'emploi, du 11 janvier 2005 au 28 février 2006 puis du 10 février 2007 au 31 août 2008, lequel a été versé par l'ASSEDIC des Alpes, aux droits de laquelle se trouve Pôle emploi Rhône-Alpes (Pôle emploi).
2. Considérant que M. [Y] avait omis de déclarer une activité de gérant d'une société de droit suisse et la réalisation de prestations pour le compte de cette société, le préfet de la Haute-Savoie a, le 24 novembre 2008, prononcé la suppression définitive de ses allocations à compter du 11 janvier 2005.
3. Par jugement du 20 mai 2011, le tribunal administratif a rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par M. [Y] contre cette décision. Par ordonnance du 15 décembre 2011, devenue irrévocable, la cour administrative d'appel a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement.
4. Le 18 mars 2013, Pôle emploi a assigné M. [Y] en remboursement des allocations indûment perçues, lequel a opposé en appel l'illégalité de la décision du préfet de la Haute-Savoie et demandé que la question préjudicielle de la légalité de cette décision soit soumise à la juridiction administrative.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [Y] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Pôle emploi la somme de 167 927,41 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2009 et capitalisation par années entières à compter du 18 mars 2013, alors « qu'à la différence du jugement d'annulation qui est revêtu d'une autorité absolue de la chose jugée, le jugement rejetant au fond un recours pour excès de pouvoir n'est investi que d'une autorité relative, de sorte que son prononcé ne fait pas obstacle à ce que le requérant excipe de l'illégalité de l'acte administratif devant le juge judiciaire, à l'occasion de l'application qui en est faite par le juge judiciaire ; qu'en considérant que M. [Y] ne pouvait plus exciper de l'illégalité de la décision préfectorale l'excluant du bénéfice de remplacement depuis que le juge administratif avait écarté son recours en annulation par une décision irrévocable sans mettre en cause son autorité de chose jugée, ni l'autorité attachée aux décisions administratives, quand Pôle emploi n'était pas partie à l'instance administrative, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil, ensemble le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et la loi des 16 et 24 août 1790. »
Réponse de la Cour
Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile :
6. Il résulte des deux premiers de ces textes que le rejet d'un recours en excès de pouvoir, qui n'a qu'une autorité relative à l'égard du juge judiciaire, ne fait pas obstacle à ce que soit contestée devant lui la légalité de la décision administrative individuelle à l'occasion de l'application qui en est faite.
7. Aux termes du dernier, lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative et elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle.
8. Pour rejeter la demande de question préjudicielle et accueillir la demande en paiement de Pôle emploi, l'arrêt retient que la demande de M. [Y] se heurte à l'autorité de chose jugée des décisions rendues par la juridiction administrative et qu'elle s'analyse en un recours en révision qui devrait être présenté devant le Conseil d'Etat selon les dispositions des articles R. 834-1 à R. 834-4 du code de justice administrative.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel, à laquelle il appartenait d'apprécier le caractère sérieux de la contestation de légalité de la décision du 24 novembre 2008 soulevée par M. [Y], a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne Pôle emploi Rhône-Alpes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour M. [Y]
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR condamné M. [Y] à payer à POLE EMPLOI RHONE ALPES, la somme de 267 927,41 euros, outre les intérêts légaux à compter du 8 avril 2009 avec capitalisation par années entières à compter de l'assignation du 18 mars 2013 ;
AUX MOTIFS QUE le principe d'autorité de chose jugée, applicable en contentieux administratif, interdit à l'administration de revenir sur sa décision, que par ailleurs, la règle de séparation des autorités interdit également au juge judiciaire de remettre en cause les décisions de l'autorité administrative ; que la demande de M. [Y] visant à voir saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle se heurte de même à l'autorité de chose jugée des décisions rendues par celle-ci, qu'elle ne pourrait s'analyser autrement que comme un recours en révision qui devrait être présenté devant le conseil d'Etat selon les dispositions des articles R 834-1 à R 834-4 du code de justice administrative ; qu'au surplus M. [Y] ne peut faire valoir qu'il n'a pas été en mesure de présenter sa défense devant le tribunal administratif de Grenoble dès lors qu'il a lui-même choisi de déposer des conclusions tendant au sursis à statuer sur le fond, alors qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir apprécier par une même décision non seulement la régularité formelle et procédurale d'une décision administrative mais également son bien-fondé ;
ALORS QUE d'une part à la différence du jugement d'annulation qui est revêtu d'une autorité absolue de la chose jugée, le jugement rejetant au fond un recours pour excès de pouvoir n'est investi que d'une autorité relative, de sorte que son prononcé ne fait pas obstacle à ce que le requérant excipe de l'illégalité de l'acte administratif devant le juge judiciaire, à l'occasion de l'application qui en est faite par le juge judiciaire ; qu'en considérant que M. [Y] ne pouvait plus exciper de l'illégalité de la décision préfectorale l'excluant du bénéfice de remplacement depuis que le juge administratif avait écarté son recours en annulation par une décision irrévocable sans mettre en cause son autorité de chose jugée, ni l'autorité attachée aux décisions administratives, quand POLE EMPLOI n'était pas partie à l'instance administrative, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil, ensemble le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et la loi des 16 et 24 août 1790 ;
ALORS QUE d'autre part il n'y a pas d'autorité de chose jugée à l'égard des demandes qui procèdent d'une cause différente ; de sorte que l'autorité de chose jugée, attachée à un jugement rejetant un recours en excès de pouvoir, laisse à l'auteur dudit recours la faculté d'exciper de l'illégalité de l'acte administratif, à l'occasion de l'application qui lui en est faite par le juge judiciaire, en soulevant un moyen procédant d'une autre cause juridique ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. [Y] n'a pas contesté le bien-fondé de la décision l'excluant du bénéfice du remplacement lorsqu'il en a demandé l'annulation au tribunal administratif de Grenoble par des moyens qui n'étaient tirés que de son irrégularité formelle et procédurale ; qu'en décidant qu'il n'était plus permis à M. [Y] d'exciper de l'illégalité de cet acte administratif par des moyens tirés de l'illégalité interne qu'il avait choisis de ne pas invoquer devant le juge administratif, quand le rejet de son recours n'interdisait pas à M. [Y] d'exciper de l'illégalité de la décision d'exclusion par des moyens d'illégalité interne qui procédaient d'une cause juridique distincte de ceux qu'il avait invoqués devant le juge administratif et qui n'étaient tirés que d'une illégalité externe, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil, ensemble le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et la loi des 16 et 24 août 1790.