LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 février 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 163 F-D
Pourvoi n° H 21-11.429
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 FÉVRIER 2022
1°/ Mme [G] [I], domiciliée [Adresse 7],
2°/ Mme [K] [I], épouse [C], domiciliée [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° H 21-11.429 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Célestino, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat des consorts [I], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Célestino, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 26 novembre 2020), par acte authentique du 6 novembre 1989, M. et Mme [I], aux droits desquels se trouvent Mmes [G] [I] et [K] [N] [I] épouse [C] (les consorts [I]), ont consenti un bail à construction, prenant fin le 31 mai 2019, à la société civile immobilière des Goélands, aux droits de laquelle est venue la société Celestino.
2. Un bâtiment à usage de supermarché a été construit sur le terrain donné à bail.
3. Une ordonnance du 29 juillet 2019 a accordé à la société Celestino un délai, expirant le 30 novembre 2019, pour restituer les locaux aux consorts [I].
4. Le 2 décembre 2019, les consorts [I] ont fait délivrer à la société Celestino un commandement de quitter les lieux avant le 10 décembre 2019.
5. Le 4 décembre 2019, la société Celestino a demandé au juge de l'exécution un délai expirant le 31 janvier 2021 pour quitter les lieux.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Les consorts [I] font grief à l'arrêt d'accorder à la société Celestino un délai pour quitter le terrain et les locaux commerciaux, alors « que l'objet du litige est fixé par les prétentions respectives des parties ; que le juge doit respecter le principe du contradictoire ; qu'en qualifiant, dans ses motifs, de « bail commercial » le bail à construction consenti le 6 novembre 1989 par les époux [I], aux droits desquels se trouvent les consorts [I], et la SCI des Goélands, aux droits de laquelle est venue la société Celestino, quand les parties s'accordaient sur la qualification de bail à construction soumis aux dispositions des articles L. 251-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel a violé les articles 4 et 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
7. Il résulte de ce texte que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
8. Pour accorder à la société Celestino un délai pour quitter les lieux et rejeter les demandes des consorts [I], l'arrêt retient que les parties ne contestent pas l'application des articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution à l'occupant d'un bail commercial, que les diligences accomplies par la société Celestino en vue du relogement de son activité commerciale sont réelles et sérieuses et que, s'il est attesté du mauvais état du bâtiment, les manquements du preneur à son obligation d'entretien des lieux loués prévue au bail commercial ne sont pas établis.
9. Il ajoute que la mesure d'expertise judiciaire en cours a permis d'observer un certain nombre de dégradations et détériorations affectant le local commercial et son environnement proche sans qu'il soit pour autant possible à ce stade d'en imputer la responsabilité à la société Celestino et qu'il en est par exemple ainsi de l'affaissement de la charpente qui pourrait tout aussi bien être reprochée au bailleur en raison de la gravité du phénomène constatée par l'expert judiciaire et au regard de ses obligations en sa qualité de propriétaire.
10. Il retient, enfin, qu'au regard de l'état actuel du bâtiment, et plus généralement des lieux anciennement loués, les consorts [I] ne peuvent pas se prévaloir d'un préjudice résultant de l'impossibilité de proposer de nouveau le bien à la location.
11. En statuant ainsi, en qualifiant de « bail commercial » le bail à construction consenti le 6 novembre 1989, alors que les parties s'accordaient sur la qualification de bail à construction soumis aux dispositions des articles L. 251-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Condamne la société Celestino aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Celestino et la condamne à payer aux consorts [I] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour les consorts [I]
Mme [G] [I] et Mme [K] [N] [I], épouse [C] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé en toutes ses dispositions le jugement en date du 4 février 2020 rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux, puis, statuant à nouveau, d'avoir accordé à la société Celestino un délai jusqu'au 31 janvier 2021 pour quitter le terrain et les locaux commerciaux édifiés sur celui-ci cadastrés E n° [Cadastre 3] et E n° [Cadastre 4] situés au n° [Adresse 2] dans la commune de [Adresse 8] appartenant à Mme [G] [I] et Mme [K] [N] [C], née [I], rejeté les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, condamné in solidum Mme [G] [I] et Mme [K] [N] [C], née [I], aux dépens de première instance ainsi qu'aux dépens d'appel ;
1° Alors en premier lieu que l'objet du litige est fixé par les prétentions respectives des parties ; que le juge doit respecter le principe du contradictoire ; qu'en qualifiant, dans ses motifs, de « bail commercial » (arrêt, p. 6, § 5, ligne 4) le bail à construction consenti le 6 novembre 1989 par les époux [I], aux droits desquels se trouvent les consorts [I], et la SCI des Goélands, aux droits de laquelle est venue la société Celestino, quand les parties s'accordaient sur la qualification de bail à construction soumis aux dispositions des articles L. 251-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel a violé les articles 4 et 16 du code de procédure civile,
2° Alors en deuxième lieu que pour la fixation des délais pour quitter les lieux prévus par l'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution, accordés par le juge de l'exécution à l'occupant de locaux construits et exploités à des fins commerciales dans le cadre d'un bail à construction qui a pris fin avec l'arrivée du terme, il doit être tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de sa réinstallation ; qu'il s'évince des constatations de l'arrêt que « les procès-verbaux des 28 mai 2018 et 23 mai 2019 attestent le mauvais état du bâtiment dans lequel la société Celestino exerce jusqu'à présent son activité commerciale », que « la mesure d'expertise judiciaire en cours a effectivement permis d'observer un certain nombre de dégradations et détériorations affectant le local commercial et son environnement proche », que la charpente présente un état d'affaissement, que « le rapport émanant de la Socotec, produit par les propriétaires des lieux, fait effectivement état de la nécessité d'une mise en oeuvre très rapide de solutions réparatoires » et que les importants travaux de remise en état déjà préconisés par l'expert judiciaire empêcheront, durant leur réalisation, de proposer le bien à la location ; qu'en accordant néanmoins à la société Celestino un délai supplémentaire jusqu'au 31 janvier 2021 pour quitter le terrain et les locaux commerciaux édifiés sur celui-ci cadastrés E n° [Cadastre 3] et E n° [Cadastre 4] situés [Adresse 2] dans la commune de Lège Cap-Ferret appartenant aux consorts [I], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales se ses constatations et a violé les articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article L. 251-4 du code de la construction et de l'habitation,
3° Alors en troisième lieu que pour la fixation des délais pour quitter les lieux prévus par l'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution, accordés par le juge de l'exécution à l'occupant de locaux construits et exploités à des fins commerciales dans le cadre d'un bail à construction qui a pris fin avec l'arrivée du terme, il doit être tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de sa réinstallation ; qu'il s'évince des constatations de l'arrêt que « les procès-verbaux des 28 mai 2018 et 23 mai 2019 attestent le mauvais état du bâtiment dans lequel la société Celestino exerce jusqu'à présent son activité commerciale », que « la mesure d'expertise judiciaire en cours a effectivement permis d'observer un certain nombre de dégradations et détériorations affectant le local commercial et son environnement proche », que la charpente présente un état d'affaissement, que « le rapport émanant de la Socotec, produit par les propriétaires des lieux, fait effectivement état de la nécessité d'une mise en oeuvre très rapide de solutions réparatoires » et que les importants travaux de remise en état déjà préconisés par l'expert judiciaire empêcheront, durant leur réalisation, de proposer le bien à la location ; qu'en accordant néanmoins à la société Celestino un délai supplémentaire jusqu'au 31 janvier 2021 pour quitter le terrain et les locaux commerciaux édifiés sur celui-ci aux motifs radicalement inopérants que « les manquements de la société Celestino à son obligation d'entretien des lieux loués prévue au bail commercial [sic] ne sont pas encore réellement établis », qu'il n'était pas « possible à ce stade » d'imputer à la société Celestino la responsabilité des dégradations et détériorations affectant le local commercial », que la société Celestino justifie avoir entrepris des travaux dans le courant de l'année 2016 même si leur ampleur, jugée insuffisante par les consorts [I], devra être appréciée par l'expert judiciaire » et qu' « aucun danger sur les personnes ou obstacle à la poursuite de l'activité commerciale n'a été relevé par la commission de sécurité » la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article L. 251-4 du code de la construction et de l'habitation,
4° Alors en quatrième lieu que dans leurs conclusions d'appel les consorts [I] se prévalaient de la mauvaise volonté affichée par la société Celestino dans l'exécution de ses obligations qui s'était manifestée à un double titre, d'une part, en voulant s'affranchir, pour des raisons purement commerciales, de l'obligation contractuelle de quitter les lieux à la date butoir du 31 mai 2019 alors même que la convention de bail stipulait expressément « qu'en aucun cas la durée du présent bail ne pourra faire l'objet d'une prorogation par tacite reconduction » ainsi que n'avaient pas manqué de lui rappeler à plusieurs reprises les consorts [I] par différents courriers recommandés et significations en date des 22 juin 2018, 20 novembre 2018, 11 mars 2019 et 23 mai 2019, et, d'autre part, en ne procédant pas en temps utile, dès avant le terme de la convention, aux travaux d'entretien et de réparations nécessaires ; qu'il était fait état, à cet effet, des multiples courriers recommandés, sommation de quitter les lieux et procès-verbal de constat d'huissier attestant de la volonté des consorts [I] de se prévaloir des stipulations du bail à construction pour exiger de la société Celestino qu'elle quitte les lieux le 31 mai 2019 après avoir exécuté ses obligations contractuelles d'entretien et de réparation ; qu'il en était déduit que la société Celestino s'était sciemment prévalue des dispositions des articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution pour rester dans les lieux qu'elle occupait sans droit ni titre depuis le 31 mai 2019 sans procéder à la réparation des locaux gravement dégradés et détériorés ; qu'en ne répondant pas à ce moyen déterminant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile,
5° Alors en cinquième lieu que pour la fixation des délais pour quitter les lieux prévus par l'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution, accordés par le juge de l'exécution à l'occupant de locaux construits et exploités à des fins commerciales dans le cadre d'un bail à construction qui a pris fin avec l'arrivée du terme, il doit être tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de sa réinstallation dans des conditions normales; qu'en énonçant, pour justifier l'octroi d'un délai supplémentaire jusqu'au 31 janvier 2021, que « le relogement de la société Celestino ne peut pour le moment être réalisé dans des conditions normales compte tenu de la spécificité de la zone urbaine concernée et des contraintes inhérentes à son activité commerciale » sans rechercher si l'impossibilité de se réinstaller dans cette zone précise ne résultait pas de la situation géographique d'implantation du fonds, soit à la pointe du Cap Ferret, dans une zone où il n'existe manifestement pas de locaux commerciaux à usage équivalent, situation qui était parfaitement connue des parties et par conséquent normale compte tenu de la zone de chalandise particulièrement prisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article L. 251-4 du code de la construction et de l'habitation,
6° Alors en sixième lieu que pour la fixation des délais pour quitter les lieux prévus par l'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution, accordés par le juge de l'exécution à l'occupant de locaux construits et exploités à des fins commerciales dans le cadre d'un bail à construction qui a pris fin avec l'arrivée du terme, il doit être tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de sa réinstallation dans des conditions normales ; qu'en énonçant que « les diligences accomplies par la société Celestino en vue du relogement de son activité commerciale sont réelles et sérieuses » quand il ressortait des constatations de l'arrêt qu'il n'était justifié que d'une « proposition émanant des gérants de la SCI propriétaire d'un emplacement situé [Adresse 6] » et non d'une promesse de bail, et que les autorités municipales avaient simplement sollicité la société Celestino pour qu'elle communique son projet « afin de de soumettre aux services préfectoraux avant tout dépôt d'un permis de construire dans le but d'obtenir leur appréciation sur les façades du bâtiment envisagé » sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Celestino, qui exploitait un supermarché et qui était pleinement informée dès la cession du bail à construction intervenue le 28 janvier 2010 qu'en l'absence de toute prolongation par tacite reconduction elle devrait nécessairement quitter les lieux à la date butoir du 31 mai 2019, ne s'était pas abstenue de toute diligence durant toute cette période, ne pouvant se prévaloir que d'une seule « proposition » relative à un bâtiment pour l'heure à usage de hangar à bateaux qui lui aurait été faite et dont elle aurait seulement fait état lors de la seconde demande de délai de grâce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble les articles L. 251-1 et L. 251-4 du code de la construction et de l'habitation,
7° Alors en septième lieu que pour la fixation des délais pour quitter les lieux prévus par l'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution, accordés par le juge de l'exécution à l'occupant de locaux construits et exploités à des fins commerciales dans le cadre d'un bail à construction qui a pris fin avec l'arrivée du terme, il doit être tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de sa réinstallation dans des conditions normales ; qu'en matière de bail à construction le preneur ne peut, à l'expiration de la convention, prétendre à l'octroi de délais pour quitter les lieux au motif qu'il rencontre des difficultés faute de pouvoir procéder à la réinstallation du fonds de commerce à proximité des locaux dans lesquels celui-ci était jusqu'alors exploité ; qu'en considérant que la société Celestino pouvait, par le biais des dispositions des articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution, obtenir du juge des référés l'octroi d'un délai supplémentaire pour quitter les lieux dès lors que « pour le moment » le « relogement de son activité commerciale » ne pouvait s'effectuer « compte tenu de la spécificité de la zone urbaine concernée et des contraintes inhérentes à son activité commerciale », la cour d'appel a violé les articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble les articles L. 251-1 et L. 251-4 du code de la construction et de l'habitation.