LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 428 FS-B
Pourvoi n° V 21-16.156
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
M. [S] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-16.156 contre l'arrêt rendu le 14 avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige l'opposant à Mme [B] [L], dite [D] [T], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [M], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [L], les plaidoiries de Me Waquet et Me Piwnica, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Mornet, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, M. Serrier, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 avril 2021), les propos suivants ont été mis en ligne :
- le 18 octobre 2017, dans un article de Mme [L] intitulé « #Moiaussi : pour que la honte change de camps », sur le site www.itinera-magica.com à l'adresse URL http://www.itinera-magica.com/moi-aussi/ : « la troisième agression, ou comment j'ai été agressée par un ancien ministre
[...]
J'avais vingt ans. À cette époque, mon père était ministre. Il était très exposé médiatiquement, et je souffrais beaucoup de cette attention extrême, de ce climat polémique qui rôdait tout le temps autour de lui, de ma famille, et j'aurais mille fois préféré l'anonymat. Mais le seul privilège de ministre qui me consolait, le seul dont lequel j'étais heureuse de bénéficier, c'était l'opéra. Le merveilleux opéra de [Localité 5] invitait régulièrement les ministres à assister aux représentations, et mon père, qui connaît mon amour pour l'art lyrique, me faisait souvent bénéficier de la deuxième invitation. L'y accompagner était une joie immense. Ce soir-là, nous allions voir un Wagner à l'opéra [Localité 3], était-ce Parsifal ? Était-ce le Ring ?, et j'étais aux anges. Mais mon père a eu une urgence à gérer, et n'a pu me rejoindre qu'à l'entracte. Du coup, les sièges étaient rebattus, et quelqu'un s'est assis à ma droite, là où mon père aurait dû être.
Je ne sais pas si vous connaissez l'opéra [Localité 3]. Dans cette immense et magnifique salle, une rangée est considérée comme la « rangée VIP ». C'est la catégorie Optima, la première rangée du premier balcon, en plein milieu de la salle (et non pas devant la scène), avec personne devant vous sur plusieurs mètres. C'est la rangée la plus exposée, où on voit aussi bien qu'on est vu. Les ministres, les hautes personnalités, les stars, sont toujours placés là, et c'était un immense bonheur pour moi de pouvoir en bénéficier. J'insiste là-dessus pour expliquer que ce ne sont pas des places discrètes, où on serait caché dans l'ombre. Ce sont des places où tout le monde sait qui vous êtes et voit ce que vous faites.
Un vieux monsieur à l'air éminemment respectable s'assoit donc à ma droite. Son épouse est à sa droite à lui. J'insiste. Son épouse est là. La représentation commence. Et au bout de dix minutes, le vieux monsieur a sa main sur ma cuisse. Je me dis qu'il doit être très âgé, perturbé. Je le repousse gentiment. Il recommence. Rebelote. Une troisième fois. Il commence à remonter ma jupe. Il glisse sa main à l'intérieur de ma cuisse, remonte vers mon entrejambe. J'enlève sa main plus fermement et je pousse un cri d'indignation étouffé, bouche fermée. Tout le monde me regarde. Il arrête. Dix minutes plus tard, il recommence.
Je lui plante mes ongles dans la main. C'est un combat silencieux, grotesque, en plein opéra [Localité 3]. Wagner sur scène, le vieux pervers contre la gamine en pantomime dans la salle.
[...]
C'est un ancien ministre de [O], membre de plusieurs gouvernements, qui a occupé des fonctions régaliennes, qui est une grande figure de gauche, décoré de l'Ordre national du mérite et de plusieurs autres Ordres européens. Une statue vivante. La représentation recommence, je suis tranquille, mais je n'arrive pas à me concentrer sur la mort des Dieux et les vocalises de la cantatrice. »
- le 19 octobre 2017, dans un article intitulé « [D] [T], fille d'[W] [L], accuse l'ex-ministre [S] [M] d'agression sexuelle », sur le site www.lexpress.fr, à l'adresse https://www.lexpress.[04].html :
« Au bout de dix minutes, le vieux monsieur a sa main sur ma cuisse. Je me dis qu'il doit être très âgé, perturbé. Je le repousse gentiment. Il recommence. Rebelote. Une troisième fois. Il commence à remonter ma jupe. Il glisse sa main à l'intérieur de ma cuisse, remonte vers mon entrejambe. J'enlève sa main plus fermement et je pousse un cri d'indignation, étouffé, bouche fermée. Tout le monde me regarde. Il arrête. Dix minutes plus tard, il recommence. Je lui plante mes ongles dans la main. C'est un combat silencieux, grotesque, en plein opéra [Localité 3]. »
[...]
« Je ne voulais pas qu'on commence à soupçonner tous les anciens ministres de [P] [O], alors j'ai donné des indices précis, mais j'ai eu peur de donner son nom, peur de mettre en cause un homme très respecté, qui a occupé les plus hautes fonctions de l'État... En même temps, j'ai vu toutes mes amies qui ont subi des agressions témoigner, et je ne veux pas être la seule qui se taise par lâcheté. D'autant que c'est l'agression qui m'a le plus sidérée, parce que je savais que je n'y étais absolument pour rien. »
2. Le 10 janvier 2018, M. [M] a assigné Mme [L] en diffamation sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. [M] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que le motif selon lequel même si l'imputation diffamatoire ne porte que sur les seuls gestes qui auraient été commis sur Mme [L], il y a lieu d'ajouter qu'il a été fait état de comportements très déplacés de M. [M] vis-à-vis d'autres femmes : M. [W] [L] a déclaré en particulier qu'une femme professeur d'université lui avait expliqué que M. [M] avait "abusé d'elle", la fille de celui-ci lui ayant demandé de ne pas témoigner contre son père ne résulte que de la reprise des notes d'audience prises en première instance à la suite de l'audition comme témoin de M. [W] [L], père d'[B] [L] auteur des propos litigieux ; que les déclarations d'un témoin à l'audience de première instance, fût-ce sans serment, doivent faire l'objet d'un procès-verbal signé notamment par lui, et que le juge ne peut se fonder sur de telles déclarations que si elles ont été régulièrement recueillies et transcrites ; en se fondant exclusivement sur des notes d'audience, dont l'objet ne peut être la transcription des propos d'un témoin entendu par le juge, et aucun procès-verbal n'ayant été dressé de ces déclarations, la Cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les articles 219, 220, 231 du code de procédure civile, 727 du même code par fausse application, 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ qu'un juge ne peut pas fonder sa décision sur un élément qui n'est pas régulièrement dans le débat ; que dès lors que le témoin dont s'agit a été entendu par le premier juge sans procès-verbal, qu'aucune des parties devant la Cour d'appel ne s'est référée explicitement à ce témoignage, et que le tribunal de grande instance l'a seulement analysé ainsi : « Monsieur [W] [L], père de la défenderesse, était entendu à titre de simple renseignement et confirmait les accusations de sa fille qui lui avait rapporté les faits, selon lui, en arrivant au ministère le soir même », excluant ainsi toute référence à d'autres propos, la Cour d'appel n'avait pas le pouvoir de s'emparer de ces autres propos à titre de preuve, et elle a encore violé les textes précités, outre les articles 4 et 16 du même code et les droits de la défense ;
3°/ que la détermination du point de savoir si un diffamateur accusant notamment une personne d'agression sexuelle, était de bonne foi et disposait lors de la publication de ses propos, d'une base factuelle suffisante ne peut pas résulter même pour partie d'un témoignage anonyme, fût-il rapporté de manière indirecte par un autre témoin, un tel témoignage étant insusceptible d'une contestation précise ; en se fondant de façon manifestement importante sur le « contexte » résultant de propos tenus par des tiers dont un anonyme – à propos d'un comportement inacceptable de M. [M], pour retenir l'existence d'une base factuelle suffisante aux propos de Mme [L], la Cour d'appel a violé les articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits d'homme, l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, et les droits de la défense ;
4°/ qu'est déloyal le procédé consistant à reprendre comme élément de preuve de la base factuelle d'un propos accusant un homme d'agression sexuelle sur une jeune fille les propos tenus à l'audience de première instance par le père de celle-ci, dont aucune des parties ne s'est prévalue à l'audience d'appel, que le tribunal dans son jugement infirmé n'avait pas retenu, lesquels propos ne se référaient qu'à un témoignage absolument anonyme en disant : « un professeur d'université qui n'a pas souhaité venir témoigner, mais que j'ai eu au téléphone (...) m'a expliqué ce qui s'était passé dans son bureau (de l'homme en question) alors qu'il était ministre de l'Intérieur, qu'il a abusé d'elle alors qu'elle avait été placée sous sa responsabilité par sa famille », sans faire état de ce que l'avocat de la défense a immédiatement protesté contre des « propos inacceptables » qu'il a demandé au président de « faire cesser », en retenant ainsi un témoignage absolument anonyme pour justifier une atteinte à l'honneur d'un homme, et sans inviter au minimum ce dernier et sa défense à s'en expliquer contradictoirement devant la Cour ; ainsi la Cour d'appel a violé les principes fondamentaux gouvernant une procédure équitable, les articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, les articles 219 et 220 du code de procédure civile et les droits de la défense. »
Réponse de la Cour
4. Le moyen, qui critique un motif surabondant relatif au comportement déplacé de M. [M] vis-à-vis d'autres femmes, est inopérant.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. M. [M] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'exception de bonne foi est exclue en l'absence de base factuelle suffisante ; que si l'exigence d'une base factuelle suffisante ne se confond pas avec la preuve de la vérité des faits, du moins exige-t-elle la preuve qu'ils sont vraisemblables ; que l'imputation de faits imaginaires est exclusive de toute base factuelle ; qu'en retenant qu' « il n'appartient pas à la cour de rechercher si les propos dénoncés par l'appelante sont réels ou imaginaires, mais uniquement si, compte tenu du contexte dans lequel ils ont été tenus, elle peut bénéficier de la bonne foi », la cour d'appel, qui nie ce qui constitue l'objet même d'une base factuelle, a méconnu son office et violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que, en matière de diffamation, y compris dans le contexte d'un débat d'intérêt général, le diffamateur, même apparemment crédible, ne peut être dispensé de l'exigence d'une base factuelle suffisante, étayée par des éléments objectifs, en rapport avec les accusations portées et leur gravité, en l'espèce, selon les propos poursuivis, une agression sexuelle, survenue à l'opéra [Localité 3], durant un opéra de Wagner, dans des circonstances minutieusement décrites ; que si Mme [L] justifie que « les parties (ont) assisté le 25 mars 2010 à une représentation de l'Or du Rhin à l'Opéra [Localité 3] et (...) se trouvaient à proximité l'une de l'autre », l'arrêt relève que, contrairement à son récit, cet opéra ne comporte pas de « mort des Dieux », de « vocalises », que « Mme [L], qui met en avant son « amour pour l'art lyrique », ne se souvenait pas quel opéra de Wagner était représenté le soir des faits », « a insisté sur l'existence d'un entracte, pendant lequel son père serait arrivé et où elle aurait changé de place, alors que l'opéra l'Or du Rhin est toujours exécuté sans entracte » ; que l'arrêt ajoute : « il n'est produit aucun témoignage direct des faits et aucune attestation émanant de personnes présentes lors de la représentation, alors que Madame [L] avait écrit que tout le monde l'avait regardée et qu'elle avait, à la fin du spectacle, demandé à l'agent de sécurité de rechercher l'identité de l'homme qui était assis à ses côtés » ; qu'en évacuant ces erreurs factuelles et l'absence de témoignage direct au motif, insusceptible de combler la base factuelle manquante constatée, que « ces erreurs de fait, qu'elle a ensuite reconnues, ne sont pas de nature à discréditer l'ensemble de ses propos, dès lors qu'elle les exprime plus de sept ans et demi après les faits, cette durée faisant également obstacle à la recherche de témoins directs, tels que l'agent de sécurité », la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que l'arrêt relève encore la production de 4 témoignages indirects de proches, qui n'étaient pas présents au moment des faits prétendus et ne font que rapporter les dires d'[B] [L] ; d'un rapport d'expertise psychiatrique amiable attestant de l'absence de pathologie mentale susceptible d'affecter ses propos établi 8 ans après les faits ; outre les déclarations d'un père convaincu que « c'est une enfant qui ne mentait jamais » ; qu'en jugeant que les pièces et le témoignage produit constituent une base factuelle suffisante, ce que ses constatations excluaient, la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ que les éléments produits au titre de la base factuelle doivent se rapporter aux accusations portées ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que « Mme [C] [Y], qui se présente comme faisant partie du cercle des amis proches de Mme [L], atteste du mal-être de son amie, à l'époque de son agression qu'elle avait gardée sous silence, de sa prise de poids et de son état de détresse » de sorte qu'il n'apparaît pas que son témoignage se rapporte précisément aux faits dénoncés dont elle ne savait rien ; que l'arrêt constate que l'attestation de Mme [V] [I] et les déclarations de M. [W] [L] relatant les dires d'un témoin anonyme ne se rapportent pas aux gestes dénoncés par Mme [L] ; qu'en se fondant néanmoins sur ces éléments pour retenir l'existence d'une base factuelle suffisante, la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.
7. En matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'est exprimé dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, s'est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher, en application du paragraphe 2 du premier de ces textes, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante.
8. La cour d'appel a énoncé que, si les propos litigieux portaient atteinte à l'honneur ou à la considération de M. [M], ils s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général consécutif à la libération de la parole des femmes à la suite de l'affaire [H].
9. Elle a relevé, au vu des pièces produites par Mme [L], que les parties avaient assisté le 25 mars 2010 à une représentation de l'Or du Rhin à l'Opéra [Localité 3] et étaient assises à côté l'une de l'autre, qu'après la soirée, Mme [L] avait confié avoir subi une agression à plusieurs personnes de son entourage, à savoir ses parents, son compagnon et un ami, que son compagnon et sa mère avaient contribué à la dissuader de déposer plainte et qu'une expertise psychiatrique amiable, effectuée huit ans après les faits dénoncés, ne faisait état d'aucune pathologie mentale qui aurait pu affecter la crédibilité des propos.
10. Elle a retenu souverainement que, si Mme [L] avait commis des erreurs de fait dans son récit quant à l'opéra représenté et à l'existence d'un entracte, ces erreurs, qu'elle avaient reconnues, n'étaient pas de nature à discréditer l'ensemble de ses propos dès lors qu'elle les exprimait plus de sept ans et demi après les faits et que cette durée faisait également obstacle à la recherche de témoins directs.
11. Sans méconnaître son office, elle en a déduit, à bon droit, abstraction faite de motifs justement critiqués par les première et quatrième branches mais surabondants, que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et que, compte tenu du contexte dans lequel ils avaient été tenus, le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à Mme [L].
12. Le moyen ne peut donc être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux, signé par lui et Mme Tinchon, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [M].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. [S] [M] de l'ensemble de ses demandes fondées sur la diffamation publique commise à son encontre par Mme [B] [L], en faisant bénéficier celle-ci de l'exception de bonne foi,
AUX MOTIFS, notamment, QUE « Même si l'imputation diffamatoire ne porte que sur les seuls gestes qui auraient été commis sur Mme [L], il y a lieu d'ajouter qu'il a été fait état de comportements très déplacés de M. [M] vis-à-vis d'autres femmes : M. [W] [L] a déclaré en particulier qu'une femme professeur d'université lui avait expliqué que M. [M] avait "abusé d'elle", la fille de celui-ci lui ayant demandé de ne pas témoigner contre son père. » (arrêt p. 6 § 4).
1° ALORS QUE ce motif ne résulte que de la reprise des notes d'audience prises en première instance à la suite de l'audition comme témoin de M. [W] [L], père d'[B] [L] auteur des propos litigieux ; que les déclarations d'un témoin à l'audience de première instance, fût-ce sans serment, doivent faire l'objet d'un procès-verbal signé notamment par lui, et que le juge ne peut se fonder sur de telles déclarations que si elles ont été régulièrement recueillies et transcrites ; en se fondant exclusivement sur des notes d'audience, dont l'objet ne peut être la transcription des propos d'un témoin entendu par le juge, et aucun procès-verbal n'ayant été dressé de ces déclarations, la Cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les articles 219, 220, 231 du code de procédure civile, 727 du même code par fausse application, 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2° ALORS QU'un juge ne peut pas fonder sa décision sur un élément qui n'est pas régulièrement dans le débat ; que dès lors que le témoin dont s'agit a été entendu par le premier juge sans procès-verbal, qu'aucune des parties devant la Cour d'appel ne s'est référée explicitement à ce témoignage, et que le tribunal de grande instance l'a seulement analysé ainsi : « Monsieur [W] [L], père de la défenderesse, était entendu à titre de simple renseignement et confirmait les accusations de sa fille qui lui avait rapporté les faits, selon lui, en arrivant au ministère le soir même », excluant ainsi toute référence à d'autres propos, la Cour d'appel n'avait pas le pouvoir de s'emparer de ces autres propos à titre de preuve, et elle a encore violé les textes précités, outre les articles 4 et 16 du même code et les droits de la défense ;
3° ALORS QUE la détermination du point de savoir si un diffamateur accusant notamment une personne d'agression sexuelle, était de bonne foi et disposait lors de la publication de ses propos, d'une base factuelle suffisante ne peut pas résulter même pour partie d'un témoignage anonyme, fût-il rapporté de manière indirecte par un autre témoin, un tel témoignage étant insusceptible d'une contestation précise ; en se fondant de façon manifestement importante sur le « contexte » résultant de propos tenus par des tiers dont un anonyme – à propos d'un comportement inacceptable de M. [M], pour retenir l'existence d'une base factuelle suffisante aux propos de Mme [L], la Cour d'appel a violé les articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits d'homme, l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, et les droits de la défense ;
4° ALORS QU'est déloyal le procédé consistant à reprendre comme élément de preuve de la base factuelle d'un propos accusant un homme d'agression sexuelle sur une jeune fille les propos tenus à l'audience de première instance par le père de celle-ci, dont aucune des parties ne s'est prévalue à l'audience d'appel, que le tribunal dans son jugement infirmé n'avait pas retenu, lesquels propos ne se référaient qu'à un témoignage absolument anonyme en disant : « un professeur d'université qui n'a pas souhaité venir témoigner, mais que j'ai eu au téléphone (...) m'a expliqué ce qui s'était passé dans son bureau (de l'homme en question) alors qu'il était ministre de l'Intérieur, qu'il a abusé d'elle alors qu'elle avait été placée sous sa responsabilité par sa famille », sans faire état de ce que l'avocat de la défense a immédiatement protesté contre des « propos inacceptables » qu'il a demandé au président de « faire cesser », en retenant ainsi un témoignage absolument anonyme pour justifier une atteinte à l'honneur d'un homme, et sans inviter au minimum ce dernier et sa défense à s'en expliquer contradictoirement devant la Cour ; ainsi la Cour d'appel a violé les principes fondamentaux gouvernant une procédure équitable, les articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, les articles 219 et 220 du code de procédure civile et les droits de la défense.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. [S] [M] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir débouté de l'ensemble de ses demandes fondées sur la diffamation publique commise à son encontre par Mme [B] [L],
1° ALORS QUE l'exception de bonne foi est exclue en l'absence de base factuelle suffisante ; que si l'exigence d'une base factuelle suffisante ne se confond pas avec la preuve de la vérité des faits, du moins exige-t-elle la preuve qu'ils sont vraisemblables ; que l'imputation de faits imaginaires est exclusive de toute base factuelle ; qu'en retenant qu' « il n'appartient pas à la cour de rechercher si les propos dénoncés par l'appelante sont réels ou imaginaires, mais uniquement si, compte tenu du contexte dans lequel ils ont été tenus, elle peut bénéficier de la bonne foi », la cour d'appel, qui nie ce qui constitue l'objet même d'une base factuelle, a méconnu son office et violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2° ALORS QUE en matière de diffamation, y compris dans le contexte d'un débat d'intérêt général, le diffamateur, même apparemment crédible, ne peut être dispensé de l'exigence d'une base factuelle suffisante, étayée par des éléments objectifs, en rapport avec les accusations portées et leur gravité, en l'espèce, selon les propos poursuivis, une agression sexuelle, survenue à l'opéra [Localité 3], durant un opéra de Wagner, dans des circonstances minutieusement décrites ; que si Mme [L] justifie que « les parties (ont) assisté le 25 mars 2010 à une représentation de l'Or du Rhin à l'Opéra [Localité 3] et (...) se trouvaient à proximité l'une de l'autre », l'arrêt relève que, contrairement à son récit, cet opéra ne comporte pas de « mort des Dieux », de « vocalises », que « l'appelante, qui met en avant son "amour pour l'art lyrique", ne se souvenait pas quel opéra de Wagner était représenté le soir des faits », « a insisté sur l'existence d'un entracte, pendant lequel son père serait arrivé et où elle aurait changé de place, alors que l'opéra l'Or du Rhin est toujours exécuté sans entracte »; que l'arrêt ajoute : « il n'est produit aucun témoignage direct des faits et aucune attestation émanant de personnes présentes lors de la représentation, alors que l'appelante avait écrit que tout le monde l'avait regardée et qu'elle avait, à la fin du spectacle, demandé à l'agent de sécurité de rechercher l'identité de l'homme qui était assis à ses côtés » ; qu'en évacuant ces erreurs factuelles et l'absence de témoignage direct au motif, insusceptible de combler la base factuelle manquante constatée, que « ces erreurs de fait, qu'elle a ensuite reconnues, ne sont pas de nature à discréditer l'ensemble de ses propos, dès lors qu'elle les exprime plus de sept ans et demi après les faits, cette durée faisant également obstacle à la recherche de témoins directs, tels que l'agent de sécurité », la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme;
3° ALORS QUE l'arrêt relève encore la production de 4 témoignages indirects de proches, qui n'étaient pas présents au moment des faits prétendus et ne font que rapporter les dires d'[B] [L] ; d'un rapport d'expertise psychiatrique amiable attestant de l'absence de pathologie mentale susceptible d'affecter ses propos établi 8 ans après les faits ; outre les déclarations d'un père convaincu que « c'est une enfant qui ne mentait jamais » ; qu'en jugeant que les pièces et le témoignage produit constituent une base factuelle suffisante, ce que ses constatations excluaient, la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4° ALORS QUE les éléments produits au titre de la base factuelle doivent se rapporter aux accusations portées ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que « Mme [C] [Y], qui se présente comme faisant partie du cercle des amis proches de l'appelante, atteste du mal-être de son amie, à l'époque de son agression qu'elle avait gardée sous silence, de sa prise de poids et de son état de détresse, (pièce n° 6) » de sorte qu'il n'apparaît pas que son témoignage se rapporte précisément aux faits dénoncés dont elle ne savait rien ; que l'arrêt constate que l'attestation de Mme [V] [I] et les déclarations de M. [W] [L] relatant les dires d'un témoin anonyme ne se rapportent pas aux gestes dénoncés par Mme [L] ; qu'en se fondant néanmoins sur ces éléments pour retenir l'existence d'une base factuelle suffisante, la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.