LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 juin 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 600 F-B
Pourvoi n° A 19-20.592
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022
Mme [B] [X], épouse [V], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 19-20.592 contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige l'opposant à la société Grandes Études européennes de santé (GEDS), société de droit portugais, dont le siège est [Adresse 2]), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [X] épouse [V], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Grandes Études européennes de santé (GEDS), et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 juillet 2019), Mme [X] est titulaire des marques françaises « GEDS » n° 4 422 912, « Grandes Études européennes de santé » n° 4 422 914, « Grandes Études européennes de santé », n° 4 422 915, « Grands Établissements européens de santé » n° 4 422 917, « Grandes Écoles portugaises de santé GEPS » n° 4 422 934 et « Grandes Écoles portugaises de santé GEPS » n° 4 422 955.
2. La société de droit portugais Grandes Études européennes de santé (GEDS) (la société GEDS) a assigné Mme [X] devant le tribunal de grande instance de Marseille en revendication ou annulation de ces marques.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [X] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'exception de nullité de l'assignation, alors « que les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure, tel le défaut de pouvoir d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale, peuvent être proposées en tout état de cause ; que dès lors, en déclarant irrecevable comme soulevée tardivement, l'exception de nullité opposée par Mme [V] fondée sur le défaut de pouvoir de M. [H] pour représenter la prétendue société de droit portugais GEDS, la Cour d'appel a méconnu son office en refusant de trancher le litige par une fausse application des dispositions des articles 117 et suivants du Code de procédure civile, excédant ainsi ses pouvoirs. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société GEDS conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que les articles 607-1 et 608 du code de procédure civile doivent conduire à distinguer entre les chefs de dispositif, en cas de décision mixte, et que, dès lors, en application du dernier de ces textes, le second moyen est irrecevable en l'absence d'excès de pouvoir.
6. Cependant, le pourvoi qui attaque une décision ayant notamment prononcé sur la compétence, sans statuer sur le fond du litige, et critique le chef de dispositif ayant prononcé sur la compétence ainsi que d'autres chefs de l'arrêt, entre dans les prévisions de l'article 607-1 du code de procédure civile.
7. Il en résulte que, comme le moyen qui critique le chef de dispositif relatif à la compétence de la juridiction, le moyen relatif au chef de dispositif de l'arrêt statuant sur une exception de nullité est recevable quand bien même aucun excès de pouvoir ne serait caractérisé.
8. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien fondé du moyen
Vu les articles 117 et 118 du code de procédure civile :
9. Les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure peuvent être proposées en tout état de cause.
10. Pour déclarer irrecevable cette exception, l'arrêt retient qu'il résulte de l'articulation des articles 118 et 74 du code de procédure civile que toutes les exceptions de nullité de fond, fussent-elles d'ordre public, doivent être présentées simultanément, c'est à dire dans les mêmes conclusions dès lors que la procédure est écrite.
11. Il relève que Mme [X] a déposé le 7 septembre 2018 devant le juge de la mise en état des conclusions soulevant une exception d'incompétence territoriale et que ce n'est que par conclusions déposées le 26 septembre 2018 qu'elle a soulevé une exception tendant à faire déclarer nul l'acte introductif d'instance.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'exception de nullité, l'arrêt rendu le 4 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.
Condamne la société Grandes Études européennes de santé (GEDS) aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Grandes Études européennes de santé (GEDS) et la condamne à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [X] épouse [V]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Mme [X] épouse [V] ;
AUX MOTIFS QUE « Les dispositions combinées de l'article L716-3 du Code de la propriété intellectuelle et D 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire donne compétence exclusive au tribunal de grande instance de MARSEILLE pour connaître des actions civiles et des demandes relatives aux marques dans le ressort des cours d'appel d'AIX EN PROVENCE, BASTIA, MONTPELLIER et NIMES.
La lecture de l'assignation délivrée par la société GEDS le 25 mai 2018 permet de constater que son action s'analyse en une demande en annulation de l'enregistrement de marques françaises et en revendication de celles-ci sur le fondement de l'article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle ; cette action a donc pour objet manifeste une demande relative à des marques, et la défenderesse habitant [Localité 3], elle dépend de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de MARSEILLE ; à bon droit, le juge de la mise en état a rejeté en conséquence l'exception d'incompétence territoriale. »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « En application de l'article L 716-3 du code de la propriété intellectuelle, les actions civiles et les demandes relatives aux marques, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire.
L'article D. 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire désigne le tribunal de grande instance de Marseille pour connaître des actions en matière de propriété littéraire et artistique, de dessins et modèles, de marques et d'indications géographiques des ressorts des cours d'appel d'Aix en Provence, Bastia, Montpellier et Nîmes.
En l'espèce, l'action tend, d'une part au transfert de la propriété de marques françaises, d'autre part à l'annulation de marques françaises.
Il importe peu que la société demanderesse soit une société de droit portugais et qu'elle ne soit titulaire d'aucune marque GRANDES ECOLES EUROPÉENNE DE SANTE, si on considère que les demandes sont sous tendues par une allégation de fraude en regard de l'existence de droits antérieurs.
Il appartiendra au tribunal d'apprécier la pertinence des demandes, notamment si la société demanderesse est fondée à se prévaloir, sur le territoire français, de droits antérieurs, mais ces moyens affectant le fond du droit, il ne peut être utilement soutenu que, dès lors que la société demanderesse n'est pas elle-même titulaire d'une marque, sa demande ne relève pas des juridictions françaises. »
ALORS QUE seule l'existence d'une marque, soit d'un signe distinctif et original, justifie de la compétence des juridictions spécialisées désignées par les articles L.711-3 du Code de la propriété intellectuelle et D. 211-6-1 du Code de l'organisation judiciaire ; que dès lors, l'arrêt attaqué ne pouvait retenir la compétence de la juridiction spécialisée, soit du Tribunal de grande instance de Marseille, sans avoir préalablement tranché la question de savoir si le sigle litigieux pouvait avoir le caractère d'une marque ; qu'elle a ainsi violé les dispositions des articles L.711-1, L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle et D. 211-6-1 du Code de l'organisation judiciaire.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Observations préalables sur la recevabilité immédiate du second moyen :
1. Depuis le décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014 relatif à la procédure civile de la Cour de cassation, l'article 607-1 du Code de procédure civile précise que « peut également être frappé de pourvoi en cassation l'arrêt par lequel la cour d'appel se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond du litige ».
Le texte ne faisant aucune restriction, il faut en déduire que lorsque la Cour d'appel se prononce par un même arrêt, distinct de celui se prononçant au fond, sur la compétence et sur l'exception de procédure, le pourvoi formé contre cet arrêt est recevable pour le tout.
Ainsi la Cour de cassation a récemment déduit de ce texte qu'est immédiatement recevable le pourvoi contre un arrêt par lequel une cour d'appel se borne à statuer sur une exception de connexité (Civ. 2e., 1er mars 2018, N°16-22.987, Bull. n°39).
En conséquence, l'exposante est recevable à formuler un moyen contre le chef de l'arrêt qui a rejeté l'exception de nullité.
Et à supposer que l'on puisse considérer que ce chef de l'arrêt ne pourrait être critiqué qu'en même temps qu'un éventuel pourvoi formé contre l'arrêt au fond, l'exposante se réserve de refaire avec un éventuel pourvoi contre l'arrêt au fond, un pourvoi contre l'arrêt attaqué, qui sera alors limité au chef qui a statué sur l'exception de procédure.
2. En tout état de cause, la demanderesse au pourvoi invoque à l'appui de sa demande de cassation un moyen d'excès de pouvoir, lequel est immédiatement recevable en vertu des dispositions des articles 607 et 608 du Code de procédure civile, ensemble les principes qui régissent l'excès de pouvoir (Soc., 4 février 2014, N°12-27.113, Bull. n°43 ; Com., 3 février 2015, N°13-26.277).
En l'espèce, en refusant de trancher une partie du litige, à savoir l'exception de nullité soulevée par l'exposante, pour des motifs totalement erronés, la Cour a méconnu son office et commis un excès de pouvoir.
IL EST FAIT GRIEF l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'exception de nullité de l'assignation ;
AUX MOTIFS QUE
« Si l'article 118 du Code de procédure civile dispose que les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond peuvent être proposées en tout état de cause, il ajoute cependant qu'il n'en est ainsi qu'à moins qu'il en soit disposé autrement ; l'article 74 du même code impose que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond, et ce alors même qu'elles seraient régies par des règles d'ordre public ; il résulte de l'articulation de ces deux textes que toutes les exceptions de nullité de fond, fussent-elles d'ordre public, doivent être présentées simultanément, c'est à dire dans les mêmes conclusions dès lors que la procédure est écrite.
En l'espèce, madame [V] a déposé le 7 septembre 2018 devant le juge de la mise en état des conclusions soulevant une exception d'incompétence territoriale au profit du tribunal de grande instance de TOULON ; ce n'est que dans un second temps, par conclusions déposées le 26 septembre 2018 qu'elle a soulevé une exception tendant à faire déclarer nul l'acte introductif d'instance ; c'est dès lors en faisant une exacte application de l'article 74 du code de procédure civile que le juge de la mise en état, après avoir constaté que l'exception de nullité n'avait pas été soulevée simultanément avec l'exception d'incompétence, l'a déclarée irrecevable, sans qu'il puisse lui être reproché de ne pas avoir soulevé d'office l'éventuelle irrégularité de l'acte. »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur l'exception de nullité
En application de l'article 74 du Code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.
Il résulte de ce texte que l'exception de nullité d'une assignation qui n'a pas été soulevée, conformément à l'art. 74, simultanément avec l'exception d'incompétence, est irrecevable.
En l'espèce, par conclusions en date du 7 septembre 2018, [B] [X] épouse [V] a soulevé une exception d'incompétence du tribunal et ce n'est que le 26 septembre 2018, par des conclusions d'incident en réponse, qu'elle a excipé de la nullité de l'assignation.
Conformément à la règle posée par l'article 74 du code de procédure civile, cette exception de nullité aurait dû être soulevée simultanément avec l'exception d'incompétence.
A défaut, elle est irrecevable et il n'y a pas lieu de l'examiner. »
ALORS QUE les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure, tel le défaut de pouvoir d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale, peuvent être proposées en tout état de cause ; que dès lors, en déclarant irrecevable comme soulevée tardivement, l'exception de nullité opposée par Mme [V] fondée sur le défaut de pouvoir de M. [H] pour représenter la prétendue société de droit portugais GEDS, la Cour d'appel a méconnu son office en refusant de trancher le litige par une fausse application des dispositions des articles 117 et suivants du Code de procédure civile, excédant ainsi ses pouvoirs.