LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 septembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 943 F-D
Pourvoi n° P 21-11.320
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 SEPTEMBRE 2022
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Jura, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-11.320 contre le jugement rendu le 25 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier (pôle social), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [V] [Z], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de son fils, [D] [Z],
2°/ à M. [D] [Z],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vigneras, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Jura, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [Z] et M. [Z], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vigneras, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier, 25 novembre 2020), rendu en dernier ressort, le fils mineur de Mme [Z] (l'assurée) a été victime d'un accident domestique survenu au domicile de celle-ci, en France. Il a été hospitalisé en urgence en Suisse.
2. La caisse primaire d'assurance maladie du Jura (la caisse) ayant refusé de prendre en charge les frais hospitaliers restant à la charge de l'assurée, celle-ci a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief au jugement de la condamner à rembourser à l'assurée une certaine somme, alors « que la règle posée à l'article R. 160-2 du code de la sécurité sociale et faisant produire effet au silence gardé par la caisse ne joue qu'en présence d'une demande d'autorisation préalable portant sur des soins programmés à l'étranger ; qu'en opposant à la Caisse une prétendue autorisation résultant du silence par elle gardée, quand la demande de l'assurée, datée du 3 mars 2019, portait sur des soins prodigués dès le 2 mars 2018, date de l'accident survenu à son fils, ce dont il se déduisait que sa demande ne pouvait être regardée comme une demande d'autorisation préalable portant sur des soins programmés à l'étranger, les juges du fond ont violé l'article R. 160-2 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 160-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-736 du 3 mai 2017, applicable au litige :
4. Aux termes de ce texte, les caisses d'assurance maladie ne peuvent procéder que sur autorisation préalable au remboursement des frais de soins dispensés aux personnes bénéficiaires de la prise en charge des frais de santé au titre des articles L. 160-1 et L. 160-2 et aux personnes qui leur sont rattachées au sens des règlements européens dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou en Suisse, dans le cadre d'un déplacement aux fins de recevoir un traitement adapté, lorsque ces soins impliquent le séjour du patient concerné dans un établissement de soins pour au moins une nuit ou nécessitent le recours aux infrastructures ou aux équipements médicaux hautement spécialisés et coûteux, qui figurent sur une liste établie par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé. L'assuré social adresse la demande d'autorisation à sa caisse de rattachement. La décision est prise par le contrôle médical. Elle doit être notifiée dans un délai compatible avec le degré d'urgence et de disponibilité des soins envisagés et au plus tard deux semaines après la réception de la demande de l'intéressé ou, le cas échéant, de la demande de l'institution de l'Etat de résidence. En l'absence de réponse à l'expiration de ce dernier délai, l'autorisation est réputée accordée.
5. Pour ordonner la prise en charge des soins litigieux, le jugement retient qu'à défaut de réponse de la caisse, dans le délai de quinze jours, à la demande de prise en charge de soins hospitaliers engagés le 2 mars 2018, qui lui avait été présentée le 3 mars 2019, l'assurée a bénéficié d'une autorisation implicite de prise en charge.
6. En statuant ainsi, alors que le régime d'autorisation implicite prévu par l'article R. 160-2 du code de la sécurité sociale ne s'applique qu'en cas de demande d'autorisation préalable de soins dits programmés, le tribunal a violé ce texte par fausse application.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare le recours de Mme [Z] recevable, le jugement rendu le 25 novembre 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Besançon ;
Condamne Mme [Z] et M. [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie du Jura
Le jugement attaqué, critiqué par la Caisse, encourt la censure ;
EN CE QU' il a infirmé la décision de la commission de recours amiable du 16 octobre 2019 et condamné la Caisse à rembourser à Mme [Z] la somme de 657,42 euros, relative aux soins engagés pour son fils [D] ;
ALORS QUE, premièrement, la règle posée à l'article R. 160-2 du code de la sécurité sociale et faisant produire effet au silence gardé par la Caisse ne joue qu'en présence d'une demande d'autorisation préalable portant sur des soins programmés à l'étranger ; qu'en opposant à la Caisse une prétendue autorisation résultant du silence par elle gardée, quand la demande de Mme [Z], datée du 3 mars 2019, portait sur des soins prodigués dès le 2 mars 2018, date de l'accident survenu à son fils, ce dont il se déduisait que sa demande ne pouvait être regardée comme une demande d'autorisation préalable portant sur des soins programmés à l'étranger, les juges du fond ont violé l'article R. 160-2 du code de la sécurité sociale ;
ALORS QUE, deuxièmement, sont pris en charge par l'assurance maladie les soins inopinés dispensés au cours d'un séjour temporaire de l'assuré dans un Etat membre de l'Union européenne ou en Suisse ; qu'en ordonnant la prise en charge des soins dispensés à [D] [Z] en Suisse, quand l'accident dont il a été victime était survenu en France, ce dont il se déduisait que [D] [Z] ne séjournait pas en Suisse à cette date, les juges du fond ont violé les articles R. 160-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 19 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et l'article 25 du règlement (CE) n°987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 qui en fixe les modalités d'application ;
ALORS QUE, troisièmement, sont pris en charge par l'assurance maladie les soins inopinés dispensés au cours d'un séjour temporaire de l'assuré dans un Etat membre de l'Union européenne ou en Suisse ; qu'en ordonnant la prise en charge des soins dispensés à [D] [Z] en Suisse, sans rechercher comme ils y étaient invités si [D] [Z] séjournait en Suisse lors de l'accident, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles R. 160-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 19 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et l'article 25 du règlement (CE) n°987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 qui en fixe les modalités d'application ;
ALORS QUE, quatrièmement, en statuant comme ils l'ont fait, au motif inopérant que l'établissement de soins le plus proche et le plus performant était situé en Suisse, les juges du fond ont violé les articles R. 160-1 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 19 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et l'article 25 du règlement (CE) n°987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 qui en fixe les modalités d'application ;
ALORS QUE, cinquièmement, et en tout état, le point de savoir si l'état de santé de l'assuré requérait de le conduire, plutôt que vers un établissement situé en France, vers un établissement situé en Suisse, compte tenu de sa proximité et de la qualité des soins qui y sont dispensés, constituait une difficulté d'ordre médical ; que sans pouvoir la trancher eux-mêmes, les juges du fond avaient l'obligation de prescrire une expertise médicale ; que faute de l'avoir fait, les juges du fond ont violé les articles L. 141-1 et L. 141-2 du code de la sécurité sociale.