LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 décembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 850 F-D
Pourvoi n° H 21-19.640
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
1°/ M. [T] [F],
2°/ Mme [W] [J], épouse [F],
tous deux domiciliés [Adresse 7],
ont formé le pourvoi n° H 21-19.640 contre l'arrêt rendu le 26 avril 2021 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [I] [L],
2°/ à Mme [O] [Y], épouse [L],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jariel, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de M. et Mme [F], de la SCP Alain Bénabent , avocat de M. et Mme [L], après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jariel, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 26 avril 2021), par acte du 28 octobre 1995, M. et Mme [L] ont acquis des parcelles cadastrées [Cadastre 2] et [Cadastre 1] qui bénéficient d'une servitude conventionnelle de passage grevant la parcelle [Cadastre 3] appartenant à M. et Mme [F].
2. M. et Mme [L] ont réalisé des travaux de construction d'une centrale hydroélectrique et d'aménagement des rives en 1996 et 1997, puis ont édifié une digue en 2007. En 2014, ils ont entrepris des travaux pour équiper la centrale hydroélectrique d'une passe à poissons mais se sont alors heurtés à l'opposition de leurs voisins qui, soutenant que la servitude de passage avait une vocation exclusivement agricole, ont refusé le passage des engins de chantier et obstrué la voie d'accès.
3. M. et Mme [L] ont assigné M. et Mme [F] en rétablissement du passage et en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. et Mme [F] font grief à l'arrêt de dire que la servitude conventionnelle de passage vaut pour tout type de véhicule sans distinction et, notamment, sans restriction quant à la nature ou à l'usage agricole, alors :
« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'acte de vente notarié du 28 octobre 1995, conclu entre M. [K] et M. et Mme [F], constitue sur la parcelle [Cadastre 3] une servitude de passage au profit des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 1] prévoyant que le « droit de passage ainsi concédé sur la parcelle section [Cadastre 3] pourra être exercé en tout temps et à toute heure, à pieds ou avec tous véhicules ou engins agricoles, par toutes personnes voulant aller et revenir aux dites parcelles section [Cadastre 6] et [Cadastre 1], puis ultérieurement et dans les mêmes conditions par tous les propriétaires successifs du fonds dominant, le tout à charge de prendre toutes précautions utiles pour empêcher toutes détériorations au fond servant » ; qu'il résulte clairement de la lecture de cet acte que la servitude est expressément réservée à des véhicules ou engins agricoles ; qu'en affirmant dès lors que « le bénéfice du droit de passage octroyé vaut pour tout type de véhicule sans distinction, notamment sans restriction à leur nature ou leur usage agricole mais pouvant être autre et particulièrement de chantier », la cour d'appel a ouvertement dénaturé le sens de la clause précitée, méconnaissant ainsi le principe susvisé ;
2°/ que le juge doit examiner, même sommairement, toutes les pièces versées aux débats par les parties ; que dans leurs écritures, M. et Mme [F] invoquaient les termes d'une attestation établie par Maître [N], notaire rédacteur de l'acte de vente du 28 octobre 1995, lequel confirmait que la servitude litigieuse avait été stipulée pour l'exploitation de parcelles à vocation agricole ; qu'en ne procédant à aucune analyse de cette attestation, pourtant régulièrement produite aux débats, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que la volonté des parties s'apprécie au jour de l'acte litigieux ; qu'en entreprenant d'analyser la volonté des parties quant à la vocation de la servitude litigieuse au regard d'événements survenus en 1996, 1997 et 2007, soit postérieurement à la constitution de cette servitude, instituée par l'acte de vente notarié du 28 octobre 1995, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu l'article 1103, du code civil ;
4°/ que M. et Mme [F] faisaient valoir, que seul l'accès par la rive gauche du Dadou avait été utilisé pour les travaux réalisés antérieurement à l'année 2014 ; qu'en retenant que, s'agissant des travaux antérieurs à l'année 2014 l'expert judiciaire confirmait que les berges du Dadou avait été utilisées pour les travaux en cause, sans répondre précisément aux conclusions susvisées faisant valoir que seule la rive gauche du Dadou avait été utilisée pour les travaux réalisés antérieurement à l'année 2014, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. D'une part, c'est par une interprétation nécessaire et exclusive de dénaturation que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur une pièce qu'elle écartait, a souverainement retenu qu'aux termes de l'acte du 28 octobre 1995, la servitude consentie « pour le passage à pied ou avec tous véhicules ou engins agricoles », pouvait s'exercer avec tout type de véhicule et, notamment, de chantier, dès lors que le fonds dominant était destiné à une exploitation industrielle, et non agricole, comme indiqué dans cet acte précisant que, de ce fait, le bien n'était pas susceptible d'être préempté par la SAFER.
6. D'autre part, répondant aux conclusions de M. et Mme [F] qui soutenaient, qu'avant 2014, les engins de chantier avaient emprunté la rive gauche du cours d'eau, la cour d'appel a souverainement retenu que les factures produites, ainsi que le témoignage du maire, établissaient qu'en 1996, 2007 et 2013, le passage de camions de livraison s'était effectué par la rive droite.
7. Par ces seuls motifs, elle a légalement justifié sa décision de ce chef.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. M. et Mme [F] font grief à l'arrêt de dire qu'ils ont engagé leur responsabilité civile pour avoir entravé l'exercice de la servitude de passage et de les condamner à payer à M. et Mme [L] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que la cassation qui interviendra du chef du premier moyen de cassation, qui critique le chef de dispositif de l'arrêt attaqué affirmant que la servitude litigieuse valait pour tout type de véhicule sans distinction, entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt attaqué qui retient l'existence d'une entrave mise à la circulation d'engins de chantier sur le chemin servant d'assiette à cette servitude et condamne à ce titre M. et Mme [F] à indemniser M. et Mme [L] et ce, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°/ que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en affirmant que M. et Mme [F] avaient engagé leur responsabilité civile vis à vis de M. et Mme [L] en commettant une entrave à l'exercice de la servitude de passage litigieuse, tout en constatant que, s'agissant de la solution de substitution proposée par M. et Mme [F], laquelle aurait permis à M. et Mme [L], selon le rapport d'expertise, d'utiliser une voie d'acheminement satisfaisante pour la réalisation de leurs travaux, l'expert « n'a pu déterminer ce qui s'était réellement passé et aucun élément ne permet davantage à ce jour de départager les parties sur leurs affirmations contraires », la cour d'appel qui, en l'état de cette incertitude, n'a pas caractérisé la faute civile commise par M. et Mme [F], a violé l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
9. La cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.
10. Ayant constaté que l'usage de la servitude avait été entravé par les propriétaires du fonds servant qui, en connaissance de cause, avaient labouré et cultivé le terrain d'assiette jusque-là carrossable, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs que ceux-ci avaient commis une faute engageant leur responsabilité civile.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [F]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. et Mme [F] reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la servitude conventionnelle de passage grevant la parcelle cadastrée section [Cadastre 3] à [Localité 5] au bénéfice des parcelles cadastrées section [Cadastre 2] et [Cadastre 1] valait pour tout type de véhicule sans distinction, notamment sans restriction à une nature ou un usage agricole ;
ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'acte de vente notarié du 28 octobre 1995, conclu entre M. [K] et M. et Mme [F], constitue sur la parcelle [Cadastre 3] une servitude de passage au profit des parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 1] prévoyant que le « droit de passage ainsi concédé sur la parcelle section [Cadastre 3] pourra être exercé en tout temps et à toute heure, à pieds ou avec tous véhicules ou engins agricoles, par toutes personnes voulant aller et revenir auxdites parcelles section [Cadastre 6] et [Cadastre 1], puis ultérieurement et dans les mêmes conditions par tous les propriétaires successifs du fonds dominant, le tout à charge de prendre toutes précautions utiles pour empêcher toutes détériorations au fond servant » (acte de vente du 28 octobre 1995, p. 4, alinéa 2) ; qu'il résulte clairement de la lecture de cet acte que la servitude est expressément réservée à des véhicules ou engins agricoles ; qu'en affirmant dès lors que « le bénéfice du droit de passage octroyé vaut pour tout type de véhicule sans distinction, notamment sans restriction à leur nature ou leur usage agricole mais pouvant être autre et particulièrement de chantier » (arrêt attaqué, p. 8, alinéa 2), la cour d'appel a ouvertement dénaturé le sens de la clause précitée, méconnaissant ainsi le principe susvisé ;
ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QUE le juge doit examiner, même sommairement, toutes les pièces versées aux débats par les parties ; que dans leurs écritures (conclusions d'appel du 5 juillet 2019, p. 8, alinéa 7), M. et Mme [F] invoquaient les termes d'une attestation établie par Maître [N], notaire rédacteur de l'acte de vente du 28 octobre 1995, lequel confirmait que la servitude litigieuse avait été stipulée pour l'exploitation de parcelles à vocation agricole ; qu'en ne procédant à aucune analyse de cette attestation, pourtant régulièrement produite aux débats (pièce n° 21 du bordereau annexé aux conclusions d'appel des exposants), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, EN TROISIEME LIEU, QU'en toute hypothèse, la volonté des parties s'apprécie au jour de l'acte litigieux ; qu'en entreprenant d'analyser la volonté des parties quant à la vocation de la servitude litigieuse au regard d'événements survenus en 1996, 1997 et 2007, soit postérieurement à la constitution de cette servitude, instituée par l'acte de vente notarié du 28 octobre 1995 (arrêt attaqué, p. 8, alinéa 3), la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu l'article 1103, du code civil ;
ET ALORS, EN DERNIER LIEU, QU' en tout état de cause encore, M. et Mme [F] faisaient valoir (conclusions du 5 juillet 2019, p. 9, alinéas 6 à 9), que seul l'accès par la rive gauche du Dadou avait été utilisé pour les travaux réalisés antérieurement à l'année 2014 ; qu'en retenant que, s'agissant des travaux antérieurs à l'année 2014 l'expert judiciaire confirmait que les berges du Dadou avait été utilisées pour les travaux en cause, sans répondre précisément aux conclusions susvisées faisant valoir que seule la rive gauche du Dadou avait été utilisée pour les travaux réalisés antérieurement à l'année 2014, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
M. et Mme [F] reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'ils avaient commis une entrave à l'exercice de la servitude de passage et engagé leur responsabilité civile vis à vis de M. et Mme [L] et de les avoir condamnés à payer à ces derniers la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts, outres les intérêts au taux légal ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la cassation qui interviendra du chef du premier moyen de cassation, qui critique le chef de dispositif de l'arrêt attaqué affirmant que la servitude litigieuse valait pour tout type de véhicule sans distinction, entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt attaqué qui retient l'existence d'une entrave mise à la circulation d'engins de chantier sur le chemin servant d'assiette à cette servitude et condamne à ce titre M. et Mme [F] à indemniser M. et Mme [L] et ce, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en toute hypothèse, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en affirmant que M. et Mme [F] avaient engagé leur responsabilité civile vis à vis de M. et Mme [L] en commettant une entrave à l'exercice de la servitude de passage litigieuse, tout en constatant que, s'agissant de la solution de substitution proposée par M. et Mme [F], laquelle aurait permis à M. et Mme [L], selon le rapport d'expertise (p. 18, alinéa 3), d'utiliser une voie d'acheminement satisfaisante pour la réalisation de leurs travaux, l'expert « n'a pu déterminer ce qui s'était réellement passé et aucun élément ne permet davantage à ce jour de départager les parties sur leurs affirmations contraires » (arrêt attaqué, p. 9, alinéa 4), la cour d'appel qui, en l'état de cette incertitude, n'a pas caractérisé la faute civile commise par M. et Mme [F], a violé l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil.
Le greffier de chambre