LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 janvier 2023
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 73 FS-D
Pourvoi n° T 21-21.168
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2023
M. [T] [C], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 21-21.168 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [E] [S], divorcée [R], domiciliée [Adresse 2] (Italie),
2°/ au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, cour d'appel d'Aix-en-Provence, 20 place de Verdun, 13100 Aix-en-Provence,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations écrites et orales de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. [C], de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [S], et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen rapporteur, MM. Bruyère, Ancel, conseillers, Mme Dumas, conseiller référendaire complétant la chambre avec voix délibérative en application de l'article L. 431-3 du code de l'organisation judiciaire, Mmes Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Cazaux-Charles, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
La première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 juin 2021), rendu sur renvoi après cassation (18 novembre 2020, pourvoi n° 19-12.857), Mme [S] a assigné M. [C] en exequatur d'un acte de défaut de biens délivré contre celui-ci le 14 novembre 2002 par l'Office des poursuites du district de Lausanne.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième à sixième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [C] fait grief à l'arrêt d'accorder l'exequatur à l'acte de défaut de biens, alors « que l'article 47 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale subordonne l'exequatur d'une décision à la production, par la partie qui l'invoque, d'un document de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, la décision a été signifiée ; qu'en jugeant néanmoins que l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'Office des poursuites du district de Lausanne pouvait être exequaturé en France, par la considération que la loi fédérale suisse prévoirait l'envoi d'une copie de l'acte de défaut de biens au débiteur et que monsieur [C] n'aurait pas contesté un tel envoi - ce qui était au demeurant inexact (cf. conclusions de monsieur [C], p. 18) - et que ce dernier aurait pu s'expliquer sur la créance revendiquée par Mme [S] dans des procédures judiciaires antérieures à la délivrance de l'acte de défaut de biens le 14 novembre 2002 par l'Office des poursuites du district de Lausanne (arrêt, p. 7, §§ 2 et s.), cependant que cette considération était impropre à valoir constatation de la production par Mme [S], demanderesse à l'exequatur, d'un document de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, l'acte de défaut de biens aurait été signifié à M. [C], la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 47, alinéa 1, de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, la partie qui demande l'exécution doit produire tout document de nature à établir que, selon la loi de l'Etat d'origine, la décision est exécutoire et a été signifiée.
5. Ayant retenu que la loi fédérale prévoyait l'envoi d'une copie de l'acte de défaut de biens au débiteur et que cette formalité avait été observée, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision.
Sur le moyen, pris en sa septième branche
Enoncé du moyen
6. M. [C] fait grief à l'arrêt d'accorder l'exequatur à l'acte de défaut de biens, alors « que l'exécution en France d'une décision étrangère est soumise à la loi française quant à la prescription ; qu'en retenant néanmoins, pour juger que pouvait être accueillie la demande d'exequatur, que le délai de prescription de la créance constatée par un acte de défaut de biens était, selon le droit suisse, de vingt ans à compter de la délivrance de l'acte de défaut de biens, la cour d'appel, qui a appliqué de manière erronée les règles du droit suisse relatives à la prescription et non celles du for, a violé l'article 3 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Si les règles de prescription de l'Etat d'origine sont susceptibles d'affecter le caractère exécutoire du jugement et, par conséquent, l'intérêt à agir du demandeur à l'exequatur et si celles de l'Etat requis sont susceptibles d'affecter l'exécution forcée du jugement déclaré exécutoire, en revanche, l'action en exequatur elle-même n'est soumise à aucune prescription.
8. La cour d'appel a constaté qu'elle était saisie, par Mme [S], d'une demande d'exequatur d'un acte de défaut de biens délivré contre M. [C] par l'Office des poursuites du district de Lausanne.
9. Il en résulte que cette action n'était soumise à aucune prescription.
10. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [C] et le condamne à payer à Mme [S] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. [C]
Monsieur [C] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté ses demandes et confirmé l'ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance de Toulon le 18 janvier 2018 ayant prononcé l'exequatur de l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'Office des poursuites du district de Lausanne ;
1/ alors que l'article 47 de la Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale conclue à Lugano le 16 septembre 1988 subordonne l'exequatur d'une décision à la production, par la partie qui l'invoque, d'un document de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, la décision a été signifiée ; qu'en jugeant néanmoins que l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'office des poursuites du district de Lausanne pouvait être exequaturé en France, par la considération que la loi fédérale suisse prévoirait l'envoi d'une copie de l'acte de défaut de biens au débiteur et que monsieur [C] n'aurait pas contesté un tel envoi – ce qui était au demeurant inexact (cf. conclusions de monsieur [C], p. 18) – et que ce dernier aurait pu s'expliquer sur la créance revendiquée par madame [S] dans des procédures judiciaires antérieures à la délivrance de l'acte de défaut de biens le 14 novembre 2002 par l'office des poursuites du district de Lausanne (arrêt, p. 7, §§ 2 et s.), cependant que cette considération était impropre à valoir constatation de la production par madame [S], demanderesse à l'exequatur, d'un document de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, l'acte de défaut de biens aurait été signifié à monsieur [C], la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2/ alors que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer, fût-ce par omission, l'écrit qui lui est soumis ; qu'en retenant que l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'office des poursuites du district de Lausanne serait de droit exécutoire, dès lors qu'il pourrait donner lieu à exécution immédiate de la part du créancier (arrêt, p. 6, in fine) et ce, sans considération du temps écoulé, cependant qu'il résultait au contraire très clairement des extraits de décisions de justice et de doctrine suisses produites aux débats par monsieur [C] que c'était uniquement « le commandement de payer dans la poursuite qui a(vait) abouti à la délivrance du premier acte de défaut de biens (qui) conservait son caractère exécutoire (et ce) pendant six mois, mais pas davantage » (conclusions de monsieur [C], p. 23, § 7 visant sa pièce d'appel n° 28), la cour d'appel a dénaturé, par omission, la pièce d'appel numérotée 28 produite par monsieur [C] et méconnu le principe susvisé ;
3/ alors, en tout état de cause, que les moyens pouvant être opposés dans l'État d'origine et, par suite, dans l'État requis, à l'exécution effective d'une décision de justice, peuvent être appréciés dans l'instance sur recours contre la décision d'exequatur, même si lesdits moyens ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère exécutoire de la décision étrangère, apprécié formellement au stade de la requête en exequatur ; qu'en écartant cependant le moyen pertinent soulevé par monsieur [C] au soutien de son recours contre la décision d'exequatur de l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'office des poursuites du district de Lausanne, pris de ce que les conditions d'efficacité et d'exécution d'un tel acte exigées par le droit suisse et notamment celle tenant à la réalisation d'un acte de continuation de la poursuite dans les six mois de la réception dudit acte de défaut de biens, n'avaient pas été respectées (conclusions de monsieur [C], pp. 22 à 26), par la considération que les règles du droit suisse invoquées par monsieur [C] auraient été relatives la procédure de mise en oeuvre d'une voie d'exécution en Suisse et n'ôteraient pas son caractère exécutoire à l'acte de défaut de biens (arrêt, p. 6, in fine), considération impropre à priver d'effet le moyen soulevé à l'encontre de la demande en exequatur, la cour d'appel a violé l'article 36 de la Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale conclue à Lugano le 16 septembre 1988 ;
4/ alors que le juge, tenu en toutes circonstances de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut retenir, dans sa décision, les documents invoqués par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en affirmant, pour écarter tout doute sur l'authenticité du duplicata de l'acte de défaut de biens produit aux débats par madame [S] au soutien de sa demande en exequatur, qu'il n'était pas établi que la signature figurant sur cet acte serait tronquée, « vu la présentation complète de l'acte sur toute sa hauteur » (arrêt, p. 6, § 9), donc en se fondant sur la consultation d'un document présenté par le conseil de madame [S] à la juridiction au cours de l'audience et pourtant non versé aux débats ni soumis à la discussion contradictoire des parties, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du code de procédure civile ;
5/ alors, en tout état de cause, qu'à supposer qu'en visant « la présentation complète de l'acte sur toute sa hauteur » (arrêt, p. 6, § 9), l'arrêt ait entendu se référer au seul acte de défaut de biens produit aux débats par madame [S] au soutien de sa demande en exequatur, savoir un simple duplicata revêtu en fin de première page d'une signature manuscrite tronquée et invisible en sa plus grande partie, la cour d'appel a dénaturé cette pièce et méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
6/ alors que dans la mesure où la Convention de Lugano ne prévoit aucune sanction de la violation des prescriptions de son article 33, dont il résulte que le requérant doit faire élection de domicile dans le ressort de la juridiction saisie, cette sanction doit être déterminée par la loi de l'État requis ; qu'en se bornant néanmoins à retenir, pour juger dépourvue de conséquence juridique l'absence d'élection de domicile de la demanderesse à l'exequatur dans le ressort de la juridiction saisie, que si la Convention de Lugano, en son article 33, imposait une telle obligation, elle ne prévoyait aucune sanction à sa méconnaissance (arrêt, p. 6, § 1), la cour d'appel a violé ce texte ;
7/ alors que l'exécution en France d'une décision étrangère est soumise à la loi française quant à la prescription ; qu'en retenant néanmoins, pour juger que pouvait être accueillie la demande d'exequatur, que le délai de prescription de la créance constatée par un acte de défaut de biens était, selon le droit suisse, de vingt ans à compter de la délivrance de l'acte de défaut de biens (arrêt, p. 7, in fine), la cour d'appel, qui a appliqué de manière erronée les règles du droit suisse relatives à la prescription et non celles du for, a violé l'article 3 du code civil.