LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 février 2023
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 138 F-D
Pourvoi n° Z 21-18.092
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2023
M. [L] [Y], domicilié [Adresse 4], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Établissements Demarre, a formé le pourvoi n° Z 21-18.092 contre l'arrêt rendu le 15 avril 2021 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [B] [G], domicilié [Adresse 3],
2°/ à M. [H] [C], domicilié [Adresse 1], avocat,
3°/ à la société MMA IARD,
4°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 2],
5°/ à la société SMJ, dont le siège est [Adresse 4], prise en qualité d'ancien liquidateur judiciaire de la société Établissements Demarre,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de Me Occhipinti, avocat de M. [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Établissements Demarre, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [G], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [C] et des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. [Y] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société SMJ.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 avril 2021) et les productions, par un arrêt du 21 avril 2000, une cour d'appel a, à la suite de détournements de fonds commis par [K] [G] avec la participation de son épouse au préjudice de la société Etablissements Demarre (la société), condamné solidairement Mme [G], sa fille Mme [F] [G], et son fils M. [B] [G] en qualité d'héritiers, à verser une certaine somme à l'administrateur judiciaire de la société.
3. Auparavant, le 14 novembre 1996, la liquidation judiciaire de la société avait été prononcée.
4. Par un arrêt du 5 juillet 2006, sur une action en responsabilité civile professionnelle engagée par les consorts [G] à l'encontre de M. [C], avocat, une cour d'appel a prononcé un sursis à statuer sur le montant de la garantie, due par ce dernier, des condamnations prononcées solidairement à leur encontre jusqu'à l'exécution contre Mme [G] et le recouvrement de la succession de [K] [G], avec épuisement de l'actif.
5. Le 17 avril 2018, en vertu de l'arrêt du 21 avril 2000, la société SMJ a fait délivrer, en qualité de liquidateur judiciaire de la société, un commandement de payer à M. [B] [G].
6. Par jugement du 16 juin 2020, saisi de la contestation d'une saisie-attribution pratiquée le 7 novembre 2019 par la société SMJ sur les comptes bancaires de ce dernier, un juge de l'exécution a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'arrêt du 21 avril 2000.
7. Par ordonnance du 4 novembre 2020, M. [Y] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire de la société en lieu et place de la société SMJ.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. M. [Y], en qualité de liquidateur de la société, fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable comme prescrit à agir en exécution de l'arrêt du 21 avril 2000 de la cour d'appel de Versailles notamment à l'encontre de M. [B] [G] et en conséquence de donner mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 7 novembre 2019 en vertu de cet arrêt, à l'encontre de M. [B] [G] sur les comptes ouverts par celui-ci dans les livres de la société BNP Paribas, pour avoir paiement de la somme en principal de 1 144 589,29 euros, alors « qu'un commandement de payer en vue d'une saisie-vente interrompt la prescription de la créance ; qu'en refusant tout effet interruptif de prescription au commandement délivré à M. [G], la cour d'appel a violé les articles 2244 du code civil, et L 221-1 et R 221-1 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2244 du code civil et L. 221-1 du code des procédures civiles d'exécution :
9. Il résulte de ces textes que le commandement à fin de saisie-vente qui, sans être un acte d'exécution, engage la mesure d'exécution forcée, interrompt le délai de prescription de la créance qu'elle tend à recouvrer.
10. Pour dire que le liquidateur, ès-qualités, ne peut se prévaloir d'aucun acte interruptif de prescription, l'arrêt retient que le commandement de payer n'est pas un commandement préalable à la mise en oeuvre d'une mesure d'exécution forcée, saisie-vente ou saisie immobilière, mais une simple sommation de payer faite au débiteur par voie d'huissier en amont de toute procédure d'exécution forcée, et qu'il ne peut par suite être regardé comme engageant une mesure d'exécution et, a fortiori, comme « un acte d'exécution forcée » prévu à l'article 2244 du code civil.
11. En statuant ainsi, alors que le commandement délivré le 17 avril 2018 constituait un commandement à fin de saisie-vente qui engageait la mesure d'exécution et avait interrompu le délai de prescription, la cour d'appel a violé les textes précités.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré M. [Y], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Etablissements Demarre irrecevable comme prescrit à agir en exécution de l'arrêt du 21 avril 2000 de la cour d'appel de Versailles notamment à l'encontre de M. [G] et donné en conséquence mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 7 novembre 2019 en vertu de cet arrêt, à l'encontre de M. [B] [G], sur les comptes ouverts par celui-ci dans les livres de la société BNP Paribas, pour avoir paiement de la somme en principal de 1 144 589,29 euros, l'arrêt rendu le 15 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne M. [G], M. [C] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [G], M. [C] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et les condamne à payer à M. [Y], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Etablissements Demarre, la somme de globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Occhipinti, avocat aux Conseils, pour M. [Y]
M. [Y], ès qualités de liquidateur de la société Etablissements Demarre, reproche à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déclaré irrecevable comme prescrit à agir en exécution de l'arrêt du 21 avril 2000 de la cour d'appel de Versailles notamment à l'encontre de M. [B] [G] et d'AVOIR en conséquence donné mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 7 novembre 2019 en vertu de cet arrêt, à l'encontre de M. [B] [G] sur les comptes ouverts par celui-ci dans les libres de la société BNP Paribas, pour avoir paiement de la somme en principal de 1 144 589,29 €
1°) - ALORS QU'un commandement de payer en vue d'une saisie-vente doit, en application de l'article R 221-1 du code des procédures civiles d'exécution, comporter la mention du titre exécutoire fondant les poursuites, la somme due en principal, intérêts et frais et le taux des intérêts, ainsi que commandement d'avoir à payer la dette dans un délai de huit jours faute de quoi le débiteur peut y être contraint par la vente forcée de ses biens meubles ; que le commandement délivré à M. [G] vise l'arrêt en vertu duquel il est délivré, détaille la somme due comme le texte précité le prévoit (p. 1 et p. 2 § 1) et mentionne ensuite (p. 2 § 3) qu'à défaut de paiement de la somme en question, « vous pourrez y être contraint par la SAISIE ET LA VENTE de vos biens meubles à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la date figurant en tête du présent acte » ; qu'en estimant qu'il s'agissait d'un commandement de payer « ordinaire », simple sommation de payer n'étant pas le préalable à une mesure d'exécution forcée, la cour d'appel a dénaturé cet acte, en violation du principe interdisant au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
2°) - ALORS QU'un commandement de payer en vue d'une saisie-vente interrompt la prescription de la créance ; qu'en refusant tout effet interruptif de prescription au commandement délivré à M. [G], la cour d'appel a violé les articles 2244 du code civil, et L 221-1 et R 221-1 du code des procédures civiles d'exécution.