LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 mars 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 192 F-D
Pourvoi n° C 21-25.041
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 MARS 2023
Mme [C] [M], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° C 21-25.041 contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [W] [D], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Eymri, notaires associés, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de Me Descorps-Declère, avocat de Mme [M], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Eymri, de la SCP Doumic-Seiller, avocat de M. [D], après débats en l'audience publique du 31 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 novembre 2021), par acte authentique dressé par la société Eymri, notaires associés (le notaire), M. [D] a vendu divers lots de copropriété comprenant des combles aménagés à Mme [M].
2. Après avoir occupé personnellement le bien pendant six ans, Mme [M] l'a mis en location.
3. A la suite d'un contrôle de l'agence régionale de santé, le préfet du Val-d'Oise a fait interdiction à Mme [M] de louer ce bien et l'a contrainte à reloger sa locataire.
4. Par acte du 16 août 2017, Mme [M] a assigné M. [D] en nullité de la vente et en indemnisation sur le fondement de l'erreur et subsidiairement sur le défaut de délivrance. Elle a également assigné le notaire aux fins de remboursement des honoraires payés en raison d'un manquement à son obligation professionnelle d'information.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. Mme [M] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande dirigée à l'encontre du vendeur, alors :
« 1°/ que le droit de propriété portant sur un appartement comprend le droit de percevoir des loyers tirés de son éventuelle mise en location ; qu'en jugeant qu'aucune erreur sur les qualités substantielles du bien qui lui a été vendu ne serait constituée bien que celui-ci ne puisse légalement pas faire l'objet d'une location, dès lors que « Mme [M] l'a pour sa part acquis après l'avoir visité et l'avait donc estimé habitable pour elle-même et pour autrui puisqu'elle l'a mis en location après six années d'occupation », qu' « il est certain que lors de la vente, elle n'envisageait pas de le donner en location puisqu'elle indiquait à l'acte, comme à l'acte de prêt, qu'elle entendait en faire sa résidence principale » et que « Mme [M] ne peut se plaindre d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue au regard d'un événement survenu six ans après la vente et qui lui a révélé non pas que le bien était inhabitable puisqu'elle y a vécu durant six ans mais qu'elle ne pouvait désormais le louer », et en ignorant ainsi que dès la conclusion de la vente en 2006, Mme [M] a acquis comme logement d'habitation un bien privé de l'une de ses qualités substantielles dont elle pouvait légitimement penser pouvoir bénéficier, ce bien ne pouvant être mis en location parce que ne respectant pas les conditions d'habitabilité posées par les articles 40.3 et 40.4 du règlement sanitaire départemental, la cour d'appel a violé l'article 544 du code civil, ensemble son article 1110, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°/ qu'en jugeant que les surfaces inférieures aux surfaces légales du bien vendu « n'ont pu échapper à Mme [M] lorsqu'elle s'est présentée tant dans la promesse de vente qu'à l'acte de vente comme « démarcheuse négociatrice » par des motifs qui ne permettent ni de considérer que Mme [M] connaissait, lors de la vente, les règle posées aux articles 40.3 et 40.4 du règlement sanitaire départemental du Val-d'Oise, ni que le bien qu'elle acquérait ne respectait pas les conditions posées par ces règles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°/ qu'en tout état de cause, en jugeant dans le même temps que les surfaces inférieures aux surfaces légales du bien vendu « n'ont pu échapper à Mme [M] lorsqu'elle s'est présentée tant dans la promesse de vente qu'à l'acte de vente comme « démarcheuse négociatrice », et néanmoins que ce n'est que six ans après la vente qu'un événement « lui a révélé non pas que le bien était inhabitable puisqu'elle y a vécu durant six ans mais qu'elle ne pouvait désormais le louer », la cour d'appel, qui a statué par motifs contradictoires, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ qu'un local juridiquement inhabitable ne peut être vendu ni comme « appartement » ni comme « local d'habitation » ; qu'en excluant toute erreur de Mme [M] aux motifs que « ce bien n'est pas interdit à l'habitation mais ne peut être mis à la disposition d'un tiers » et que « Mme [M] ne peut se plaindre d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue au regard d'un événement survenu six ans après la vente et qui lui a révélé non pas que le bien était inhabitable puisqu'elle y a vécu durant six ans mais qu'elle ne pouvait désormais le louer », la cour d'appel, qui a méconnu que la qualification d'appartement ou de local d'habitation dépendait de l'habitabilité juridique du bien vendu et non de la circonstance que Mme [M] ait pu y vivre pendant six ans, a violé l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
5°/ que le règlement sanitaire départemental du Val d'Oise définit des conditions d'habitabilité applicables à tous les locaux d'habitation, et non uniquement aux logements destinés à la location ; qu'en considérant, pour exclure tout vice du consentement, que « ce bien n'est pas interdit à l'habitation mais ne peut être mis à la disposition d'un tiers », la cour d'appel a violé les articles 40.3 et 40.4 du règlement sanitaire départemental du Val-d'Oise, ensemble l'article 1110 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
6°/ que, subsidiairement, en jugeant qu'aucun défaut de conformité ne pouvait être allégué, bien que le bien vendu l'ait été comme un « appartement » destiné à devenir la résidence principale de Mme [M] et qu'il ne réponde pas aux conditions d'habitabilité posées aux articles 40.3 et 40.4 du règlement sanitaire départemental du Val d'Oise, la cour d'appel a violé ces derniers textes, ensemble l'article 1604 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. D'une part, ayant relevé que Mme [M] avait visité les lieux, les avaient acquis pour son usage d'habitation et y avait habité pendant six ans et retenu qu'il n'était pas établi qu'un projet de location du bien était envisagé lors de la signature du contrat de vente, la cour d'appel a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d'annulation de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue ne pouvait être accueillie.
7. D'autre part, ayant exactement relevé que la non-conformité suppose la délivrance d'une chose autre que celle faisant l'objet de la vente, la cour d'appel a pu retenir que le bien dont Mme [M] avait pris possession correspondait à la description et aux spécifications mentionnées à l'acte de vente et que la demande à ce titre devait être rejetée.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
9. Mme [M] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande dirigée à l'encontre du notaire, alors « qu'en jugeant que le notaire n'avait pas manqué à ses obligations en n'alertant pas Mme [M] de ce que le bien qu'elle acquérait, vendu comme un local d'habitation, n'était juridiquement ni habitable ni louable, au motif que Mme [M] n'avait pas précisé son intention de le donner en location et avait au contraire expressément indiqué qu'elle comptait l'affecter à son usage personnel en résidence principale, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
10. La cour d'appel a constaté que le notaire ne disposait que d'un certificat de mesurage qui mentionnait une surface privative de 30,79 mètres carrés dont seuls 19, 69 mètres carrés n'étaient pas pris en compte, qu'un certificat délivré par la commune attestait que l'immeuble n'était pas frappé de péril et ne mentionnait ni interdiction d'habiter, ni insalubrité.
11. Relevant qu'il n'appartenait pas au notaire de vérifier personnellement in situ les conditions d'habitabilité du bien faisant l'objet de la vente et que Mme [M] n'avait pas fait part de son intention de louer le bien acheté mais avait fait mentionner, tant dans l'acte de prêt que dans l'acte de vente, que l'appartement était acquis pour un usage personnel, la cour d'appel a pu retenir que le notaire n'avait commis aucun manquement à une obligation d'information au regard d'une mise en location éventuelle future du bien.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Descorps-Declère, avocat aux Conseils, pour Mme [M]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Madame [M] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes dirigées contre Monsieur [D] ;
ALORS en premier lieu QUE le droit de propriété portant sur un appartement comprend le droit de percevoir des loyers tirés de son éventuelle mise en location ; qu'en jugeant qu'aucune erreur sur les qualités substantielles du bien qui lui a été vendu ne serait constituée bien que celui-ci ne puisse légalement pas faire l'objet d'une location, dès lors que « Mme [M] l'a pour sa part acquis après l'avoir visité et l'avait donc estimé habitable pour elle-même et pour autrui puisqu'elle l'a mis en location après six années d'occupation » (arrêt, pp.5-6), qu' « il est certain que lors de la vente, elle n'envisageait pas de le donner en location puisqu'elle indiquait à l'acte, comme à l'acte de prêt, qu'elle entendait en faire sa résidence principale » (ibid. p.7) et que « Mme [M] ne peut se plaindre d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue au regard d'un événement survenu 6 ans après la vente et qui lui a révélé non pas que le bien était inhabitable puisqu'elle y a vécu durant six ans mais qu'elle ne pouvait désormais le louer » (ibid.), et en ignorant ainsi que dès la conclusion de la vente en 2006, Madame [M] a acquis comme logement d'habitation un bien privé de l'une de ses qualités substantielles dont elle pouvait légitimement penser pouvoir bénéficier, ce bien ne pouvant être mis en location parce que ne respectant pas les conditions d'habitabilité posées par les articles 40.3 et 40.4 du règlement sanitaire départemental, la cour d'appel a violé l'article 544 du code civil, ensemble son article 1110, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
ALORS en deuxième lieu QU'en jugeant que les surfaces inférieures aux surfaces légales du bien vendu « n'ont pu échapper à Mme [M] lorsqu'elle s'est présentée tant dans la promesse de vente qu'à l'acte de vente comme « démarcheuse négociatrice » » (arrêt, p.7), par des motifs qui ne permettent ni de considérer que Madame [M] connaissait, lors de la vente, les règle posées aux articles 40.3 et 40.4 du règlement sanitaire départemental du Val-d'Oise, ni que le bien qu'elle acquérait ne respectait pas les conditions posées par ces règles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
ALORS en troisième lieu QU'en tout état de cause, en jugeant dans le même temps que les surfaces inférieures aux surfaces légales du bien vendu « n'ont pu échapper à Mme [M] lorsqu'elle s'est présentée tant dans la promesse de vente qu'à l'acte de vente comme « démarcheuse négociatrice » » (arrêt, p.7), et néanmoins que ce n'est que six ans après la vente qu'un événement « lui a révélé non pas que le bien était inhabitable puisqu'elle y a vécu durant six ans mais qu'elle ne pouvait désormais le louer » (arrêt, p.7), la cour d'appel, qui a statué par motifs contradictoires, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS en quatrième lieu QU'un local juridiquement inhabitable ne peut être vendu ni comme « appartement » ni comme « local d'habitation » ; qu'en excluant toute erreur de Madame [M] aux motifs que « ce bien n'est pas interdit à l'habitation mais ne peut être mis à la disposition d'un tiers » (arrêt, p.7) et que « Mme [M] ne peut se plaindre d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue au regard d'un événement survenu 6 ans après la vente et qui lui a révélé non pas que le bien était inhabitable puisqu'elle y a vécu durant six ans mais qu'elle ne pouvait désormais le louer » (ibid.), la cour d'appel, qui a méconnu que la qualification d'appartement ou de local d'habitation dépendait de l'habitabilité juridique du bien vendu et non de la circonstance que Madame [M] ait pu y vivre pendant six ans, a violé l'article 1110 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
ALORS en cinquième lieu QUE le règlement sanitaire départemental du Val d'Oise définit des conditions d'habitabilité applicables à tous les locaux d'habitation, et non uniquement aux logements destinés à la location ; qu'en considérant, pour exclure tout vice du consentement, que « ce bien n'est pas interdit à l'habitation mais ne peut être mis à la disposition d'un tiers » (arrêt, p.7), la cour d'appel a violé les articles 40.3 et 40.4 du règlement sanitaire départemental du Val-d'Oise, ensemble l'article 1110 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
ALORS en sixième lieu QUE, subsidiairement, en jugeant qu'aucun défaut de conformité ne pouvait être allégué, bien que le bien vendu l'ait été comme un « appartement » destiné à devenir la résidence principale de Madame [M] et qu'il ne réponde pas aux conditions d'habitabilité posées aux articles 40.3 et 40.4 du règlement sanitaire départemental du Val d'Oise, la cour d'appel a violé ces derniers textes, ensemble l'article 1604 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Madame [M] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes dirigées contre la société EYMRI, notaires associés ;
ALORS QU'en jugeant que le notaire n'avait pas manqué à ses obligations en n'alertant pas Madame [M] de ce que le bien qu'elle acquérait, vendu comme un local d'habitation, n'était juridiquement ni habitable ni louable, au motif que Madame [M] n'avait pas précisé son intention de le donner en location et avait au contraire expressément indiqué qu'elle compter l'affecter à son usage personnel en résidence principale, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil.