LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 septembre 2023
Rejet
Mme TEILLER, président,
Arrêt n° 599 F-D
Pourvoi n° U 21-21.445
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2023
La Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de Bretagne, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-21.445 contre l'arrêt rendu le 22 juin 2021 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Yad marine, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Bretagne, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Yad marine, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 22 juin 2021, RG n° 19/04527), la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Bretagne (la SAFER) ayant notifié au notaire instrumentaire l'exercice de son droit de préemption sur une parcelle dont la vente avait été promise à la société Yad marine, celle-ci l'a assignée en annulation de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. La SAFER fait grief à l'arrêt d'annuler la décision de préemption, alors :
« 1°/ que l'acquéreur évincé peut présenter sa candidature à la rétrocession du bien préempté ; qu'il s'ensuit que, sauf à caractériser dès le stade de la préemption un engagement ferme et définitif de la SAFER à l'égard du rétrocessionnaire potentiel identifiable dans la décision de préemption, aucun détournement de pouvoir ne peut être retenue à son encontre tant qu'elle n'a pas procédé aux opérations de rétrocession ; qu'en l'espèce, il était constant que dans sa décision de préemption notifiée à la Sarl Yad, acquéreur évincé, la SAFER de Bretagne indiquait que d'autres candidatures étaient susceptibles de se manifester après l'accomplissement des formalités de publicité et lui rappelait qu'elle pouvait présenter sa candidature à l'attribution de tout ou partie du bien préempté ; qu'en retenant néanmoins, pour considérer que la SAFER aurait commis un détournement de pouvoir, qu'il n'est pas contesté que la SAFER a préempté le bien à la demande de la société Celtostrea, que la Sarl Yad marine et la Sarl Celtostrea sont les deux seules exploitations installées susceptibles d'être intéressées par cette parcelle actuellement enclavée de sorte que la mention relative à d'autres rétrocessionnaires potentiels devrait être considérée comme totalement illusoire compte tenu de la configuration des lieux puisque la SAFER n'aurait pas préempté la parcelle que souhaitait acquérir la Sarl Yad pour la lui rétrocéder ensuite, sans caractériser un engagement ferme et définitif de la SAFER à l'égard de la Sarl Celtostrea, seul à même de justifier de l'existence d'un détournement de pouvoir de la SAFER avant la procédure de rétrocession à laquelle la Sarl Yad avait été invitée à participer, la cour d'appel, qui a préjugé de l'attribution définitive du bien, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ que la SAFER ne procède à l'examen des projets susceptibles de répondre à l'objectif légal poursuivi par la préemption que lors de la procédure de rétrocession à laquelle l'acquéreur évincé peut participer ; que la SAFER n'a donc pas, pour justifier sa décision de préemption, à expliciter en quoi l'acquéreur évincé ne répondrait pas à l'objectif allégué et l'absence d'une telle explicitation ne saurait être constitutive d'un détournement de pouvoir ; qu'en retenant, pour considérer que la SAFER de Bretagne aurait commis un détournement de pouvoir et annuler la décision de préemption litigieuse, qu'au regard des circonstances particulières de l'espèce - la Sarl Celtostrea et la Sarl Yad marine étant prétendument les deux seules exploitations installées susceptibles d'être intéressées par la parcelle préemptée - la motivation serait insuffisante, la SAFER n'explicitant par aucune donnée concrète en quoi le projet de la société Yad marine, acquéreur évincé, ne répondrait pas à l'objectif allégué de consolidation des exploitations existantes afin de permettre à celles-ci d'atteindre une dimension économique viable, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et préjugé de l'attribution définitive du bien, a violé l'article L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime ;
3°/ qu'en toute hypothèse, le contrôle juridictionnel des décisions des SAFER se limite à l'appréciation de leur légalité et de leur régularité et ne peut concerner leur opportunité ; qu'en retenant, pour considérer que la SAFER aurait commis un détournement de pouvoir et annuler la décision de préemption litigieuse, que la Sarl Celtostrea, dont les gérants issus d'une famille d'ostréiculteurs reconnus, ne pourraient être qualifiés de jeunes exploitants dont il s'agirait de consolider l'entreprise, qu'à cet égard, il ressortirait des photographies du secteur ainsi que des plans cadastraux que la Sarl Celtostrea, rétrocessionnaire potentiel, disposerait d'ores et déjà sur le secteur d'infrastructures d'envergure et s'avérerait donc plus développée que la Sarl Yad, laquelle ne disposerait d'aucun bâtiment sur la partie Ouest de son exploitation, la cour d'appel, qui s'est livrée à un contrôle de l'opportunité de la décision de préemption et a préjugé de l'attribution définitive du bien, a violé l'article L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime ;
4°/ qu'en tout état de cause, l'annulation de la préemption pour détournement de pouvoir n'est justifiée que s'il est prouvé que la SAFER a exercé ses prérogatives dans l'intérêt particulier d'un agriculteur déterminé à l'avance ou a cherché à favoriser un agriculteur au détriment d'un autre ; que l'exercice du droit de préemption de la SAFER a pour objet, notamment, la consolidation d'exploitations afin de permettre à celles-ci d'atteindre une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes, dans les conditions prévues à l'article L. 331-2 ; qu'en l'espèce, il est constant que, dans sa décision de préemption, la SAFER de Bretagne a fait référence à cet objectif et motivé concrètement sa décision par le souhait d'une exploitation du secteur des biens en vente d'augmenter sa capacité de stockage ; qu'en retenant, pour considérer que la SAFER aurait commis un détournement de pouvoir et annuler la décision de préemption litigieuse, que la Sarl Celtostrea, dont les gérants issus d'une famille d'ostréiculteurs reconnus, ne peuvent être qualifiés de jeunes exploitants dont il s'agirait de consolider l'entreprise, qu'à cet égard, il ressortirait des photographies du secteur ainsi que des plans cadastraux que la Sarl Celtostrea, rétrocessionnaire potentiel, disposerait d'ores et déjà sur le secteur d'infrastructures d'envergure, considérations qui n'excluent nullement que la rétrocession de la parcelle litigieuse permette à l'exploitation envisagée de se consolider au regard des critères susvisés et d'améliorer sa répartition parcellaire, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser un détournement de pouvoir, a violé l'article L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime ;
5°/ qu'en toute hypothèse, une SAFER peut retenir, pour motiver une décision de rétrocession, des objectifs différents de ceux visés dans la décision de préemption ; qu'il s'ensuit que, sauf à caractériser dès le stade de la préemption un engagement ferme et définitif de la SAFER à l'égard du rétrocessionnaire potentiel identifiable dans la décision de préemption, aucun détournement de pouvoir ne peut être retenue à son encontre tant qu'elle n'a pas procédé aux opérations de rétrocession ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que dans sa décision de préemption, la SAFER de Bretagne énonçait que l'orientation choisie, à savoir la consolidation d'exploitations existantes, ne pouvait être considérée comme définitive et que d'autres candidatures étaient susceptibles de se manifester après l'accomplissement des formalités de publicité ; qu'en retenant néanmoins, pour considérer que la SAFER aurait commis un détournement de pouvoir et annuler la décision de préemption litigieuse, que la Sarl Yad avait été avisée du jour au lendemain de son audition par le Comité Régional de Conchyliculture qui a refusé de lui accorder un délai pour présenter ses observations et que la décision de préemption présenterait faussement le rétrocessionnaire potentiel comme étant spécialisé en production ostréicole sans caractériser un engagement ferme et définitif de la SAFER à l'égard de la Sarl Celtostrea, seul à même de justifier de l'existence d'un détournement de pouvoir de la SAFER avant la procédure de rétrocession à laquelle la Sarl Yad avait été invitée à participer, la cour d'appel, qui a préjugé de l'attribution définitive du bien, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 143-3 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
3. La cour d'appel a relevé que seules les deux exploitations qui étaient contiguës à la parcelle préemptée, celles des sociétés Yad marine et Celtostrea, étaient susceptibles d'être intéressées par cette parcelle enclavée, en sorte que la mention, dans la motivation de la décision de préemption, relative à d'autres rétrocessionnaires potentiels devait être considérée comme illusoire compte tenu de la configuration des lieux.
4. Sans être tenue d'accomplir les recherches visées par les première et cinquième branches, qui ne lui étaient pas demandées, elle a retenu que la SAFER n'avait pas préempté la parcelle que souhaitait acquérir la société Yad marine pour la lui rétrocéder ensuite et que le seul rétrocessionnaire possible s'avérait être la société Celtostrea, dont la SAFER avait faussement retenu, dans sa motivation, qu'elle était spécialisée en production ostréicole.
5. Elle a pu déduire, de ces seuls motifs, que la motivation développée par la SAFER n'était pas réelle et ne visait qu'à dissimuler la perspective de privilégier un exploitant au détriment d'un autre, et a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Bretagne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Bretagne et la condamne à payer à la société Yad marine la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-trois.