LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 septembre 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 623 F-D
Pourvoi n° P 21-22.429
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2023
1°/ la société SMABTP, dont le siège est [Adresse 11],
2°/ la société Soltechnic, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° P 21-22.429 contre l'arrêt rendu le 12 juillet 2021 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [B] [F], domiciliée [Adresse 12],
2°/ à la société Swisslife assurances de biens, société anonyme, dont le siège est [Adresse 9],
3°/ à M. [L] [X], domicilié [Adresse 8],
4°/ à Mme [C] [X], domiciliée [Adresse 3],
5°/ à Mme [A] [X], domiciliée [Adresse 6],
6°/ à Mme [P] [X], domiciliée [Adresse 7],
tous les quatres pris en leur qualité d'héritier de [D] [X], décédé le 13 décembre 2019,
7°/ à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],
8°/ à la société La Sauvegarde, dont le siège est [Adresse 4],
9°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 13],
10°/ à la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits du groupe Azur lui-même venant aux droits de la socité GAMF,
11°/ à la société Aviva, société anonyme, dont le siège est [Adresse 10], venant aux droits de la société Eurofil,
défendeurs à la cassation.
Mme [F], M. [X], Mmes [C], [A], [P] [X] ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt ;
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation ;
Les demandeurs au pourvoi incident éventuel invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société SMABTP et de la société Soltechnic, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [F], de Mmes [C], [A], [P] [X], de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Swisslife assurances de biens, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Generali IARD, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 12 juillet 2021), la société Swisslife assurances de biens (la société Swisslife), assureur multirisques habitation de Mme [F] et de [D] [X], aux droits duquel viennent M. [L] [X] et Mmes [C], [P] et [A] [X], en leurs qualités d'héritiers de leur père décédé, a indemnisé des désordres de fissuration affectant leur maison, dus à des mouvements de terrain consécutifs à plusieurs épisodes de sécheresse, ayant fait l'objet d'arrêtés de catastrophe naturelle.
2. En 2004, la société Soltechnic, assurée auprès de la SMABTP, a réalisé un confortement des fondations par micro-pieux.
3. En 2009, [D] [X] et Mme [F] ont constaté l'apparition de nouvelles fissures.
4. La société Swisslife a refusé de prendre en charge ce sinistre.
5. [D] [X] et Mme [F] ont, après expertise, assigné en réparation les sociétés Swisslife et Soltechnic. La SMABTP ainsi que la société Generali IARD, précédent assureur multirisques habitation, ont été appelées en la cause.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. La société Soltechnic et la SMABTP font grief à l'arrêt de dire que la première a engagé sa responsabilité décennale et de les condamner in solidum à payer diverses sommes aux consorts [F] [X] à titre de réparation, alors :
« 1°/ que la garantie décennale d'un constructeur ne peut pas être mise en oeuvre pour des désordres qui ne sont pas imputables à son intervention ; que, pour retenir la responsabilité décennale de la société Soltechnic, la cour d'appel a constaté que, selon l'expert judiciaire, « l'apparition de désordres ponctuels sur les murs extérieurs malgré les reprises par micro-pieux réalisées conduisait à diagnostiquer des insuffisances des semelles de fondations fonctionnant comme longrines,surchargées par le tassement de la dalle flottante et les efforts parasites sur les semelles et « bloquées » au niveau des micro-pieux, précisant que la faiblesse structurale des fondations, qui n'apparaissait pas lors des reconnaissances, s'est manifestée lors du transfert de charges sur les micro pieux », et « le dallage intérieur assis sur des argiles très gonflantes aurait dû être repris par micro-pieux ou remplacé par un plancher hourdis », et qu'il avait préconisé « une réparation consistant en une reprise généralisée du dallage par micro-pieux associée à la réalisation généralisée de longrines sous les murs extérieurs », et elle a affirmé qu'« au regard de ces éléments techniques et objectifs, [?] l'insuffisance des travaux réalisés en 2004, source des désordres aggravés constatés par l'expert judiciaire en 2012, est imputable d'une part, à la conception des travaux de reprises réalisée par Soltechnic en 2000 et 2002, d'autre part, à la réalisation des travaux de confortement par micro-pieux par cette dernière en 2004 sur des semelles de fondations fonctionnant comme longrines structurellement insuffisantes et sans prise en compte de la dalle flottante dont elle avait pourtant dès 2002 identifié la faiblesse » ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que les travaux de la société Soltechnic n'avaient pas permis de remédier à l'insuffisance structurelle des semelles de fondations de la maison, et à la faiblesse originelle de la dalle flottante, de sorte que, s'ils avaient certes été insuffisants, les travaux de la société Soltechnic n'étaient pas la cause des désordres, ni de leur aggravation, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1792 du code civil ;
2°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'expert judiciaire relevait que « les désordres observés proviennent de mouvements différentiels du complexe d'assise du dallage consécutifs aux phénomènes de retrait/gonflement des argiles constituant le sol d'assise, en période de sécheresse climatique et de réhydratation », « on est dans la situation de désordres déclenchés par la sécheresse du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1997 [?] : la solution de réparation préconisée était insuffisante (non reprise des dallages, pas de mesures de prévention recommandées), et les désordres ont continué à apparaître sous l'effet des conditions météorologiques ultérieures » , et « on est donc bien dans la situation de désordres générés par la sécheresse de 1989-1997, insuffisamment réparés, et qui ont évolué avec le temps, en fonction des conditions météorologiques (puviométrie), ce dont il résultait que les désordres litigieux étaient causés par la seule défectuosité de la structure des fondations et de l'assise du dallage, et qu'ils se poursuivaient sous l'effet des éléments climatiques, nonobstant les travaux réalisés par la société Soltechnic, qui s'étaient seulement révélés insuffisants, sans causer, ni aggraver les désordres constatés ; qu'en affirmant toutefois, pour retenir la responsabilité décennale de la société Soltechnic, que « l'insuffisance des travaux réalisés en 2004 [était] source des désordres aggravés constatés par l'expert judiciaire en 2012 », la cour d'appel a dénaturé, par omission, le rapport d'expertise judiciaire en violation du principe selon lequel le juge a l'interdiction de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
3°/ que tout jugement doit être motivé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, par voie de simple affirmation, sans analyser, fût-ce sommairement, les conclusions contraires du rapport de l'expert judiciaire, qui relevait que « les désordres observés proviennent de mouvements différentiels du complexe d'assise du dallage consécutifs aux phénomènes de retrait/gonflement des argiles constituant le sol d'assise, en période de sécheresse climatique et de réhydratation », « on est dans la situation de désordres déclenchés par la sécheresse du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1997 [?] : la solution de réparation préconisée était insuffisante (non reprise des dallages, pas de mesures de prévention recommandées), et les désordres ont continué à apparaître sous l'effet des conditions météorologiques ultérieures » et « on est donc bien dans la situation de désordres générés par la sécheresse de 1989-1997, insuffisamment réparés, et qui ont évolué avec le temps, en fonction des conditions météorologiques (pluviométrie) », et dont il résultait que les désordres litigieux étaient causés par la seule défectuosité de la structure des fondations et de l'assise du dallage, et continuaient à évoluer
sous l'effet des éléments climatiques, nonobstant les travaux réalisés par la
société Soltechnic, qui s'étaient seulement révélés insuffisants, sans causer, ni aggraver les désordres constatés, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel a relevé que la société Soltechnic, spécialisée et reconnue dans le domaine des travaux de sols et fondations spéciales, sollicitée par l'expert d'assurance, après une étude de sols réalisée en 2000 qui avait attribué les désordres à des mouvements de retraits argileux sous les semelles de l'ouvrage à la suite d'épisodes de sécheresse et identifié le phénomène de retrait-gonflement des argiles comme de grande ampleur, avait préconisé une solution profonde de reprise par micro-pieux et la réalisation de brochages en périphérie de la dalle flottante.
8. Elle a constaté que, si la société Soltechnic avait réalisé, sous la maîtrise d'ouvrage des propriétaires de la maison, les renforcements de liaison en tête de micro-pieux, elle n'avait pas fait de réserve sur l'absence de consolidation du dallage, qu'elle avait pourtant préconisée, ni appelé l'attention des maîtres de l'ouvrage sur ce point.
9. Elle a encore relevé que l'expert judiciaire imputait les désordres relevés en 2012 se manifestant, notamment, par un important tassement en partie centrale de la dalle flottante intérieure, à l'insuffisance des semelles de fondations fonctionnant comme longrines et aux efforts parasites par transfert de charges des micro-pieux sur les semelles, et retenait que le dallage intérieur assis sur des argiles très gonflantes aurait dû être également repris par micro-pieux ou remplacé par un plancher hourdis.
10. Elle a pu en déduire, sans procéder par voie d'affirmation ni dénaturer par omission le rapport d'expertise que, si les désordres trouvaient leur cause originelle dans les épisodes de sécheresse, leur aggravation, constatée par l'expert en 2012, était également imputable à la conception et à la réalisation des travaux de reprise par la société Soltechnic sans prise en compte suffisante de la dalle flottante dont celle-ci avait pourtant dès 2002 identifié la faiblesse.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui n'est qu'éventuel, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Soltechnic et la SMABTP aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Soltechnic et la SMABTP et les condamne à payer à Mme [F], M. [L] [X] et Mmes [C], [P] et [A] [X] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-trois.