LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er février 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 105 FS-D
Pourvoi n° P 21-12.907
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER FÉVRIER 2024
La société [7], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [8] ([8]), a formé le pourvoi n° P 21-12.907 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour d'appel de Nouméa (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [C] [N], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société d'assurances [6], dont le siège est [Adresse 3], ayant un établissement [Adresse 5],
3°/ à la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT), dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Coutou, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société [7], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [8] ([8]), les observations écrites de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société d'assurances [6], et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 12 décembre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Coutou, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, M. Rovinski, Mme Lapasset, MM. Leblanc, Pédron, Reveneau, conseillers, Mme Dudit, MM. Labaune, Montfort, Mme Lerbret-Féréol, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 3 décembre 2020), M. [N] (la victime), salarié de la société [8] (l'employeur), assurée auprès de la société [6] (l'assureur), a été victime d'un accident le 7 mars 2013 qui a été pris en charge au titre de la législation professionnelle par la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (la CAFAT).
2. La victime a saisi une juridiction d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et d'indemnisation des préjudices en résultant. La société [7] est intervenue volontairement à l'instance, en qualité de mandataire liquidateur de l'employeur, placé en liquidation judiciaire (le mandataire de l'employeur), de même que l'assureur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. Le mandataire de l'employeur fait grief à l'arrêt de fixer la créance de la victime au passif de ce dernier à la somme de 94 839 824 francs CFP, alors « qu'il résulte de l'article 34 du décret n° 57-245 du 24 février 1957, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-533 QPC du 14 avril 2016, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail peut demander réparation, auprès de l'employeur, de l'ensemble des dommages non couverts par les indemnités majorées accordées en vertu des dispositions du décret susmentionné, conformément aux règles de droit commun de l'indemnisation des dommages ; que l'assistance par tierce personne est couverte par la rente allouée et majorée en application des articles 27 et 34 du décret n° 57-245 du 24 février 1957 ; qu'en décidant le contraire, pour faire droit à la demande de la victime au titre de l'assistance par tierce personne, les juges du fond ont violé les articles 27 et 34 du décret n° 57-245 du 24 février 1957. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 27 et 34, alinéa 1er, du décret n° 57-245 du 24 février 1957, modifié, et 20 de la délibération n° 2 de l'assemblée territoriale du 26 décembre 1958, prise en application de ce décret, fixant les règles de calcul, les modalités de versement et les règles de révision de l'indemnité journalière et des rentes dues aux victimes atteintes d'une incapacité permanente et à leurs ayants droit en cas de décès :
5. Il résulte du deuxième de ces textes que lorsque l'accident est dû à une faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, les indemnités dues à la victime ou à ses ayants droit, en vertu du premier, sont majorées.
6. Les dispositions de ce texte, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-533 QPC du 14 avril 2016, ne font pas obstacle à ce qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur, et indépendamment de la majoration de la rente servie à la victime d'un accident du travail, celle-ci puisse lui demander réparation de l'ensemble des dommages non couverts par les indemnités majorées accordées en vertu des dispositions du décret du 24 février 1957 précité, conformément aux règles de droit commun de l'indemnisation des dommages.
7. Selon le troisième, en cas d'incapacité permanente, la victime a droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité permanente réduit de moitié pour la partie de ce taux qui ne dépasse pas 50 % et augmenté de moitié pour la partie qui excède 50 %. Si l'incapacité permanente est totale et oblige la victime, pour effectuer les actes ordinaires de la vie, à recourir à l'assistance d'une tierce personne, le montant de la rente est majoré mensuellement du salaire minimum interprofessionnel garanti.
8. Pour accueillir la demande de la victime au titre de l'assistance par tierce personne, après consolidation et lui allouer la somme de 56 343 236 francs CFP, l'arrêt relève que la législation calédonienne prévoit uniquement l'indemnisation de la tierce personne lorsque la victime justifie d'une incapacité permanente totale et que comme la législation nationale, le droit calédonien prévoit une indemnisation restrictive de ce poste de préjudice et un besoin d'assistance reconnu par le contrôle médical de la caisse. Il constate que l'incapacité permanente dont souffre la victime est de 75 % de sorte qu'elle ne peut bénéficier de la prestation complémentaire prévue par l'article 20 de la délibération n° 2 du 26 décembre 1958. Il en déduit que s'agissant d'un dommage non couvert par les indemnités majorées accordées en vertu du décret du 24 février 1957, la victime est fondée à réclamer à son employeur l'indemnisation de ce chef de préjudice.
9. En statuant ainsi, alors que le besoin d'assistance par tierce personne après consolidation est indemnisé dans les conditions prévues par la délibération n° 2 du 26 décembre 1958, prise en application du décret du 24 février 1957, de sorte que ce préjudice est couvert, même de manière restrictive, par les indemnités majorées accordées en vertu du décret précité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Mise hors de cause
10. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause l'assureur, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi, le pourvoi n'étant accueilli qu'en ce que l'arrêt fixe au passif de la société [8] le montant de la créance de la victime, au titre de son préjudice corporel et ne formulant aucune critique contre le chef du dispositif qui a dit que l'assureur devrait garantir exclusivement le paiement des cotisations complémentaires dues à la CAFAT en raison de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur qui est définitif.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe la créance de M. [N] au passif de la société [8], au titre de son préjudice corporel, à la somme de 94 839 824 francs CFP, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;
Met hors de cause la société d'assurances [6] ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa, autrement composée ;
Condamne la Caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) et M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du premier février deux mille vingt-quatre et signé par Léa Catherine, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.