LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2024
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 106 F-B
Pourvoi n° S 21-21.719
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2024
La Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-21.719 contre l'arrêt rendu le 30 avril 2021 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre civile TGI), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [F] [E], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la SCP Stéphane Selier et Jean-Christophe Pueyo, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La SCP Stéphane Selier et Jean-Christophe Pueyo a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, quatre moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vendryes, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la SCP Stéphane Selier et Jean-Christophe Pueyo, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [E], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Vendryes, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 30 avril 2021), le 2 juillet 2007, M. [E] a souscrit auprès de la Société générale (la banque) un crédit immobilier.
2. Par ordonnance du 4 février 2014, sur requête du débiteur, un juge d'un tribunal d'instance a suspendu l'exécution de ses obligations pour vingt-quatre mois en application de l'article L. 313-12 du code de la consommation, abrogé par l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et remplacé par l'article L. 314-20 dudit code, les sommes dues ne produisant pas d'intérêts pendant ce délai.
3. Par courrier du 24 août 2015, la banque a prononcé la déchéance du terme.
4. Les 10 novembre et 10 décembre 2015, la SCP Selier-Pueyo, huissier de justice, a procédé à des actes d'exécution sur des biens du débiteur.
5. Le débiteur a assigné la banque et l'huissier de justice devant un tribunal de grande instance, qui, par jugement du 9 mars 2018, a dit que l'ordonnance du 4 février 2014 était exécutoire et opposable à la banque, que la déchéance du terme avait été prononcée abusivement le 24 août 2015 et qu'elle était valable au 8 février 2016, condamné le débiteur au paiement d'une somme au titre du capital restant dû et des intérêts, et condamné la banque et la SCP Selier-Pueyo au paiement de dommages et intérêts au demandeur à raison des actes d'exécution sur le véhicule.
6. M. [E] a relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le pourvoi principal, pris en ses deuxième et quatrième moyens
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le pourvoi principal, pris en son premier moyen
Enoncé du moyen
8. La banque fait grief à l'arrêt de lui déclarer opposable l'ordonnance exécutoire du juge du tribunal d'instance de Saint-Pierre en date du 4 février 2014, de dire qu'elle a abusivement prononcé la déchéance du terme du prêt immobilier par lettre recommandée avec avis de réception en date du 24 août 2015, de dire que la déchéance du terme a été irrégulièrement prononcée, de la débouter de sa demande en paiement au titre du solde du prêt immobilier consenti à M. [E], et de la condamner à payer à M. [E] la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral avec intérêts à compter de la date de sa décision, alors « que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ; qu'il en résulte que la décision accordant un délai de grâce à un consommateur n'est pas opposable au créancier concerné lorsque celui-ci n'a, par omission ou par fraude, pas été mis en cause par le demandeur, une telle décision ne pouvant être rendue qu'à l'issue d'une procédure contradictoire ; qu'en jugeant néanmoins que l'ordonnance du 4 février 2014 octroyant un délai de grâce à M. [E] était opposable à la banque et que cette dernière avait commis une faute en prononçant la déchéance du terme du prêt accordé à M. [E], bien qu'il résultait de ses propres constatations que la banque n'avait pas été mise en cause dans le cadre de cette procédure, qui ne pouvait s'inscrire que dans un cadre contradictoire, la cour d'appel a violé l'article 14 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. En vertu de l'article L. 313-12 du code de la consommation dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, l'exécution des obligations du débiteur peut être, notamment en cas de licenciement, suspendue par ordonnance du juge d'instance dans les conditions prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du code civil. L'ordonnance peut décider que, durant le délai de grâce, les sommes dues ne produiront point intérêt. En outre, le juge peut déterminer dans son ordonnance les modalités de paiement des sommes qui seront exigibles au terme du délai de suspension ou surseoir à statuer sur ces modalités jusqu'au terme du délai de suspension.
10. Aux termes de l'article 14 du code de procédure civile, nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.
11. Il résulte de l'article 493 du code de procédure civile que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
12. Selon l'article 851, alinéa 1, du même code, issu du décret n° 75-1123 du 5 décembre 1975 devenu l'article 845, issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, le juge du tribunal d'instance est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi.
13. Ayant retenu que dans le cas prévu à l'article L. 313-12 du code de la consommation, le juge du tribunal d'instance était susceptible d'être saisi par voie de requête afin de suspendre les obligations du débiteur dans les conditions prévues aux articles 1244-1 et suivants du code civil, la cour d'appel en a justement déduit, sans violer le principe de la contradiction, que ce juge n'avait pas à être nécessairement saisi par voie d'assignation.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
15. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « que lorsqu'il recourt à la procédure sur requête pour l'obtention de l'ordonnance de grâce prévue par l'article L. 313-12 devenu L. 341-20 du code de la consommation, le consommateur est en toute hypothèse tenu de respecter les dispositions des articles 493 et suivants du code de procédure civile déterminant les conditions dans lesquelles une ordonnance sur requête est susceptible d'acquérir un caractère exécutoire ; qu'il résulte de l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile qu'une ordonnance sur requête n'est pas exécutoire lorsque son bénéficiaire s'abstient de laisser à la disposition de la partie adverse une copie de sa requête, dans des conditions la privant de la faculté d'exercer ses droits et d'apprécier l'opportunité d'exercer une voie de recours ; qu'en se bornant, pour dire que la banque avait commis une faute en n'exécutant pas l'ordonnance de suspension du 4 février 2014, à affirmer que la minute de cette ordonnance avait prétendument été reçue par la banque dans son courrier du 19 août 2014, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Monsieur [E] n'avait pas omis de laisser à la banque une copie de sa requête, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-12 du code de la consommation, ensemble l'article 495 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
16. Aux termes de l'article 495, dernier alinéa, du code de procédure civile, copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée.
17. Pour retenir que l'ordonnance était exécutoire et opposable à la banque, l'arrêt relève qu'elle n'a pas contesté l'ordonnance sur requête du 4 février 2014, dont le caractère exécutoire résultait de la simple délivrance de la minute et que celle-ci avait été reçue par lettre recommandée avec avis de réception le 19 août 2014.
18. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle l'y était invitée, si la banque avait été destinataire de la copie de la requête, sans laquelle l'ordonnance ne lui était pas opposable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
19. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le pourvoi principal entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif condamnant la SCP Stéphane Selier et Jean-Christophe Pueyo, huissier de justice, à payer à M. [E] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer les autres griefs du pourvoi principal et sur les griefs du pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée.
Condamne M. [E] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du huit février deux mille vingt-quatre et signé par Mme Isabelle Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.