LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 février 2024
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 136 F-B
Pourvoi n° M 22-18.728
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 FÉVRIER 2024
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorismes et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 22-18.728 contre l'arrêt rendu le 24 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige l'opposant à Mme [H] [N], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorismes et d'autres infractions, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [N], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 mars 2022) et les productions, le 12 janvier 2011, [H] [N], née le [Date naissance 2] 1998, qui se trouvait dans la basilique de [Localité 4], a subi de graves brûlures lorsque ses vêtements ont pris feu à proximité de cierges.
2. Après avoir déposé une main courante auprès du commissariat de police de [Localité 4], sa mère, agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure, a, le 2 juillet 2013, assigné la paroisse de [Localité 4] devant un tribunal de grande instance afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis par sa fille. Par jugement du 29 mai 2015, ce tribunal l'a déboutée de ses demandes.
3. Par ordonnance du 12 février 2018, le conseiller de la mise en état a radié du rôle la procédure d'appel dirigée contre ce jugement, laquelle n'avait pas été reprise par Mme [N], devenue majeure.
4. Après avoir déposé plainte, le 6 juillet 2018, Mme [N] a saisi, le 22 octobre 2018, une commission d'indemnisation des victimes d'infraction (la CIVI) à fin d'indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action, alors :
« 1°/ que les délais de forclusion ne sont ni suspendus ni interrompus par la minorité du demandeur à l'action ; qu'en jugeant que le délai de forclusion de trois ans pour saisir la CIVI, imparti par l'article 706-5 du code de procédure pénale, aurait été suspendu pendant la minorité de Mme [N], la cour d'appel a violé les articles 2220 et 2235 du code civil, ensemble l'article 706-5 du code de procédure pénale ;
2°/ que la CIVI ne relève le requérant de la forclusion que lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits ou lorsqu'il démontre un motif légitime ; qu'en jugeant que « [H] [N] âgée de 12 ans lors de l'accident, pour être née le [Date naissance 2] 1998, était empêchée d'agir du fait de sa minorité » et « qu'en raison de la carence de son représentant légal à agir devant la CIVI, elle n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits en justice », cependant qu'elle relevait également que, représentée par sa mère et assistée par un avocat, Mme [N] avait introduit une instance civile en réparation de son préjudice, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'impossibilité dans laquelle Mme [N] se serait trouvée de saisir également la CIVI, ni un quelconque motif légitime autorisant à la relever de la forclusion, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 706-5 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 2220 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par les règles relatives à la prescription. Ni l'article 706-5, alinéa 1, du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-833 du 2 juillet 2020, ni aucune autre disposition ne prévoient l'application au délai de forclusion de l'article 2235 du code civil, relatif à la suspension de la prescription contre les mineurs non émancipés.
7. C'est donc à tort que la cour d'appel a retenu que la suspension de la prescription au profit des mineurs n'est pas écartée pour l'application de l'article 706-5 du code de procédure pénale, alors que le délai institué par cet article est un délai de forclusion.
8. Cependant, il résulte de ce même article, que la commission relève le requérant de la forclusion, notamment, lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou pour tout autre motif légitime.
9. L'arrêt, après avoir constaté qu'aucune plainte n'avait été déposée par la représentante légale de Mme [N] à la suite de l'accident dont cette dernière, alors mineure, avait été victime, retient qu'elle était empêchée d'agir du fait de sa minorité et qu'en raison de la carence de sa représentante légale qui n'avait pas agi devant la CIVI, elle n'avait pas été en mesure de faire valoir ses droits en justice jusqu'à ce que, devenue majeure le 5 mars 2016, elle dépose plainte, puis saisisse la CIVI, mettant ainsi en évidence l'existence d'un motif légitime, pour Mme [N], d'être relevée de la forclusion.
10. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action et déclaré recevable la requête présentée par Mme [N].
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. Le FGTI fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la requête présentée par Mme [N], d'ordonner une expertise médicale, de fixer à 150 000 euros le montant de la provision, allouée à celle-ci, à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et de dire qu'il serait tenu au versement de cette provision, alors « que le juge de l'indemnisation doit caractériser l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction justifiant l'indemnisation du requérant sur le fondement des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale ; que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ; qu'en se bornant à relever, pour juger que « le caractère matériel de l'infraction de blessures involontaires » serait en l'espèce démontré, que « l'absence d'extincteurs conforme aux exigences de l'article R. 123-11 du code de la construction et de l'habitation, pour ce type d'établissement recevant du public, constitue une négligence de la part des responsables tenus à une obligation de sécurité, qui a contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou qui n'a pas permis de l'éviter », la cour d'appel, qui n'a caractérisé ni la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ni la faute caractérisée d'une personne physique auquel elle imputait une simple « négligence » en relation de causalité indirecte avec la survenance du dommage, a privé sa décision de base légale au regard des articles 706-3 du code de procédure pénale, 121-3 et 222-19 du code pénal. »
Réponse de la Cour
12. Après avoir retenu, par motifs propres et adoptés, que l'accident est survenu dans un établissement recevant du public qui, aux termes de l'article R. 123-1 du code de la construction et de l'habitation et de l'arrêté du 26 juin 2008 pris pour son application, doit être doté d'un service de surveillance et de moyens de secours appropriés, lesquels consistent notamment, pour la défense contre l'incendie, en des extincteurs portatifs installés à raison d'au moins un appareil pour 200 m² par niveau, de sorte que la basilique dans laquelle a eu lieu l'accident aurait dû être équipée d'au moins 20 extincteurs au rez-de-chaussée afin d'assurer la sécurité et la protection des fidèles et des visiteurs, l'arrêt énonce qu'il résulte des témoignages des amies qui accompagnaient Mme [N], le jour de l'accident, qu'aucun extincteur n'a été trouvé dans le bâtiment, ni par elles, ni par les personnes présentes venues lui porter secours et que ces témoignages sont corroborés par les déclarations de l'administrateur de la basilique faites à la presse au mois d'août 2011 dans lesquelles il reconnaissait que la remise aux normes électriques et de sécurité incendie de l'édifice se poursuivait.
13. Il ajoute que l'absence, dans ce type d'établissement recevant du public, d'extincteurs en conformité avec les exigences de l'article R. 123-11 du code précité constitue une négligence de la part des responsables, tenus à une obligation de sécurité, qui a contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage.
14. En l'état de ces constatations et énonciations, dont il ressort qu'était ainsi caractérisée, à l'encontre des personnes en charge de la surveillance et de la sécurité de la basilique dont la négligence avait contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage, une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il était démontré que les faits dont avait été victime Mme [N] présentaient le caractère matériel de l'infraction de blessures involontaires.
15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à Mme [N] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-quatre, et signé par lui et Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.